Dans l’obscurité d’une grotte caribéenne, des scientifiques cherchaient des traces d’extinctions anciennes. Ils ont trouvé bien plus : des abeilles qui construisaient leurs nids à l’intérieur des ossements laissés par des chouettes géantes. Cette découverte fortuite révèle un comportement totalement inédit dans le monde des insectes fossiles et bouleverse notre compréhension de ces pollinisateurs méconnus.
Une trouvaille totalement inattendue
Lazaro Viñola Lopez ne s’attendait certainement pas à faire l’histoire de la paléontologie des insectes ce jour-là. Doctorant au Musée d’histoire naturelle de Floride, il participait à des fouilles dans la Cueva de Mono, une grotte située en République dominicaine. Son objectif : documenter les extinctions d’espèces causées par les changements climatiques et l’activité humaine pendant le Quaternaire récent. Primates, rongeurs, lézards… voilà ce que son équipe espérait mettre au jour.
Mais la grotte recelait des milliers de fossiles d’hutias, ces rongeurs apparentés aux cobayes, une découverte déjà remarquable compte tenu de leur rareté dans la région. C’est en examinant une mandibule particulièrement bien conservée que Viñola Lopez remarqua quelque chose d’étrange : sa surface était inhabituellement lisse et uniforme. Un détail qui allait le mener sur une piste totalement inattendue.
Un puzzle paléontologique
Les insectes se fossilisent rarement dans ce type d’environnement, ce qui explique pourquoi personne ne les cherchait activement. Viñola Lopez, fort de son expérience sur les fossiles de dinosaures, pensa d’abord à des nids de guêpes. Mais les caractéristiques observées ne correspondaient pas. Il fallut du temps et plusieurs expéditions supplémentaires pour assembler les pièces du puzzle.
La solution se révéla encore plus surprenante : ces traces appartenaient à Osnidum almontei, une espèce disparue d’abeilles fouisseuses ayant vécu il y a plusieurs milliers d’années. L’équipe découvrit ensuite d’autres nids similaires à l’intérieur d’une vertèbre d’hutia et même dans la cavité pulpaire d’une dent de paresseux, ces mammifères aujourd’hui disparus des Caraïbes.
Crédit : Jorge MachukyIllustration de la façon dont les abeilles fouisseuses primitives de l’île d’Hispaniola utilisaient des cavités fossilisées pour construire leurs nids cavernicoles.Un cycle de vie macabre
La reconstitution du contexte apporte un éclairage fascinant sur cet écosystème ancien. La Cueva de Mono servait de refuge à une population d’effraies des clochers géantes qui y rapportaient régulièrement leurs proies. Ces chouettes chassaient les hutias et utilisaient la grotte comme garde-manger ou dépotoir. Les ossements s’accumulaient, se mélangeaient au sol de la caverne, créant involontairement un habitat idéal.
Ces abeilles solitaires, bien différentes de leurs cousines sociales que nous connaissons, y trouvèrent une opportunité remarquable. Les cavités naturelles des os enterrés – alvéoles dentaires, canaux vertébraux – offraient des structures parfaites pour y établir leurs nids. Bien que l’environnement extérieur leur soit peu favorable, la grotte contenait suffisamment de terre accumulée pour répondre à leurs besoins.
Source: DRImages tomodensitométriques et photographiques du crâne de Plagiodontia araeum (rongeur) et de l’ichnofossile Osnidum almontei (MNHNSD FOS 25.6385). (a–c) Crâne en vue occlusale. (a) Photographie. (b) Image non transparente issue du scanner, mettant en évidence l’ichnofossile en violet. (c) Image tomodensitométrique à 95 % de transparence, mettant en évidence l’ichnofossile en violet. (d) Ichnofossile isolé sur le scanner.Une diversité insoupçonnée
Cette découverte, publiée dans les Actes de la Royal Society B Biological Sciences, révèle l’extraordinaire diversité comportementale des abeilles. Contrairement à l’image populaire des ruches bourdonnantes et des sociétés organisées, la majorité des espèces d’abeilles mènent une existence solitaire et utilisent une variété stupéfiante de matériaux pour construire leurs nids.
Mais Osnidum almontei se distingue même parmi ces espèces solitaires. Aucune abeille connue, vivante ou fossile, n’utilise régulièrement des ossements enfouis comme site de nidification. De plus, un seul autre cas d’abeilles fouisseuses nichant dans une grotte a été documenté, sans impliquer de restes animaux.
Des leçons pour l’avenir
Cette découverte a transformé la méthodologie de l’équipe. Désormais, les chercheurs examinent chaque fossile avec une vigilance accrue avant tout nettoyage, conscients que d’autres traces comportementales pourraient se cacher dans les sédiments. Ils travaillent actuellement à décrire les nombreuses autres espèces découvertes dans la grotte, dont certaines pourraient être entièrement nouvelles pour la science.
Au-delà de l’anecdote, ces abeilles préhistoriques nous rappellent que la nature réserve toujours des surprises, même dans les endroits où personne ne pense à chercher.