« T’as pas une pièce ? » Le jeune qui fait la manche n’a pas vingt ans. Tim Deguette passe devant, il a le même âge et pourrait être son pote. Mais il n’a « jamais de monnaie, désolé » et repart, penaud, frustré.

La scène se déroule il y a trois ans, à Lille et tracasse le jeune étudiant : « Maintenant que l’argent est dématérialisé, qu’on paie tout en sans contact, comment vont faire les personnes sans domicile fixe ? » à cette brûlante question, l’ingénieux obstiné oppose une brillante solution en distribuant aux plus précaires une carte de paiement couplée à un QR code.

Baptisé Solly – « parce que la solidaire peut vaincre la solitude » – le concept est simple : lorsqu’un donateur scanne le code avec son téléphone, il est renvoyé sur une page où il devra remplir ses coordonnées, les infos de sa carte bancaire et le montant du don (défiscalisable).

Si ça peut faire peur, soyez rassurés, tout est anonymisé et sécurisé. Sur les six prochains mois, épaulé par deux collègues, le diplômé lillois d’Esupcom âgé de 22 ans, lance une phase de test avec 1.000 cartes. Il sillonne désormais une douzaine de villes de France*, dont Nice, où nous l’avons rencontré, début décembre, juste avant une maraude. Un lot de 80 cartes sera distribué d’ici les prochains soirs.

*Lille, Amiens, Strasbourg, Sergi-Argenteuil, Clermont-Toulouse-Bordeaux, Chambéry-Lyon, et Nice.

Que peut-on payer avec cette carte ?

On peut payer des biens de première nécessité : alimentation, hébergement, vêtements, santé, hygiène. Et aussi de la culture. Tout ce qui peut faciliter la vie des bénéficiaires. La carte fonctionne comme une MasterCard, elle est acceptée partout en France. Cependant, les dépenses en ligne, les retraits en cash et les achats d’alcool ou de stups sont interdits.

Pourquoi interdire l’achat de stupéfiants et d’alcool ? Les personnes souffrant d’addiction en ont besoin.

Avant de lancer nos cartes, nous avons questionné plusieurs centaines de potentiels donateurs Plus de 70 % d’entre eux se demande ce que devient leur don. Ils redoutent qu’il soit dépensé pour se droguer. Certaines associations le déplorent car il y a des bénéficiaires, en effet, qui ont besoin de ces substances.

J’ai suivi les maraudes des Soldats du sourire à Lille, j’ai aussi échangé en amont avec des personnes à la rue. Donc je comprends la problématique. Mais avec Solly, nous faisons le choix d’une solution rapide à mettre en place qui répond aux attentes du plus grand nombre de donateurs.

Comment obtenir ces cartes ?

Elles sont progressivement distribuées par l’association les Anges de la Baie qui les proposera aux bénéficiaires majeurs en ayant le plus besoin*. Contrairement à une carte classique, il n’est pas nécessaire d’avoir une carte nationale d’identité ou une attestation d’hébergement. L’argent est reversé sur un compte du CIC.

*Les Anges de la Baie maraudent les vendredis soir à 20h, au départ de la Porte Fausse, à l’entrée du Vieux-Nice.

Les vols sont fréquents à la rue. Ces cartes ne vont-elles pas attiser les convoitises ?

Il faut un code pin pour utiliser la carte. Son propriétaire, dont le compte est consultable par nos équipes, peut faire opposition en appelant le 01.85.74.57.45 ou en saisissant l’association référente. Une seule nouvelle carte pourra être redonnée.

Pourquoi avoir mis un plafond de dépense ?

Par mois, nous limitons la collecte à 500 euros et la dépense à 1 500 euros. Nous ne voulons pas que la manche remplace un vrai emploi. Le plafond dissuade aussi une exploitation par des réseaux illicites. Quant au don, il est au minimum de deux euros.

Comment vous financez-vous ?

On part du principe que l’État participe au projet via la défiscalisation des dons. Donc nous ne sommes pas subventionnés. Récompensés par plusieurs prix d’innovation et suivis par des mécènes nous avons touché plus de 100.000 euros.

Nous avons aussi levé une cagnotte en ligne de 80.000 euros. Tout est parti dans le lancement du projet. À terme, avec les coûts de transaction, un bénéficiaire nous coûte 80 euros par an. Voilà pourquoi nous prélevons une commission de 9 % sur chaque don. Si à la fin de l’année, on arrive à dégager de la marge, on réinjecte l’argent chez Lazare et Toit à moi, deux associations spécialisées dans le logement des sans-abri.

Six mois de test, et après ?

Après, on avisera. Si ça fonctionne, on partira sur une distribution à grande échelle. Mais ça ne sera plus de mon fait. Je suis ce projet à temps plein…sur mon temps libre. Je suis en recherche d’emploi et je ne compte pas professionnaliser Solly. Ça doit rester une solution autogérée et autofinancée par des bénévoles.