Il y a des parfums qui font office de boussole. À Rennes, dès que le thermomètre fléchit et que les lumières de Noël scintillent, un effluve boisée s’empare de la place de la Mairie. Elle s’échappe d’une drôle de locomotive noire, immobile et fumante. À son bord, Sébastien Lopez remue ses marrons avec une régularité de métronome.

Sébastien n’est pas simplement un vendeur de rue ; il est le gardien d’un héritage. « Je suis tombé dedans comme dans la marmite d‘Obélix », confie-t-il. Voilà quarante ans qu’il occupe le poste, succédant à son père et à son grand-père. La saga a débuté au sortir de la guerre, en 1946. Depuis, les modes ont passé, mais le petit cornet, lui, reste immuable.

La résistance du goût

Face à ce que Sébastien appelle avec une pointe d‘ironie la « génération Mc Do », sa locomotive fait figure de bastion de résistance. On travaille le marron de Redon, local, sélectionné pour sa qualité. Le geste est presque chorégraphique : il faut brasser, surveiller la cuisson, servir le client avec ce mot gentil qui transforme l’achat en un moment d’échange.

Pour les clients, ce passage est un rituel. On y vient pour le goût, bien sûr, mais surtout pour les souvenirs. Pour cette étudiante qui a fini ses cours ou cette grand-mère qui retrouve les saveurs de son enfance, le marron chaud est un doudou comestible, un rempart contre la grisaille hivernale.

Une quatrième génération en piste

La pérennité de ces métiers d’autrefois semble parfois fragile, mais ici, l‘avenir s’écrit déjà au présent. Esteban, le fils de Sébastien, incarne cette quatrième génération résolue à ne pas laisser s’éteindre la flamme. S’il n’épaule son père que le week-end pour l’instant, son ambition est claire : reprendre définitivement le flambeau. Loin d’être une contrainte, c’est une véritable fierté pour le jeune homme de s’inscrire dans cette lignée et de protéger un savoir-faire familial presque centenaire. La relève est là, motivée par le désir profond de transmettre, à son tour, ce goût de l’authentique aux générations futures.