DISPARITION – Figure de la chanson française des années 1960 à 1980, l’interprète de Vous étiez belle, madame, est décédée dimanche à l’âge de 82 ans.
Le 7 novembre 1965, une jeune femme timide, vêtue d’une modeste robe noire, apparaît pour la première fois à la télévision. Sélectionnée pour participer au « Jeu de la chance », l’ancêtre de tous les concours de chant d’aujourd’hui, elle s’appelle Georgette Lemaire. Après une courte présentation par Roger Lanzac, elle interprète L’Hymne à l’amour. Plébiscitée par un vote téléphonique des téléspectateurs, la « candidate numéro 5 du jour » devient « la numéro un de la semaine ».
Le lendemain, la presse consacre des articles à celle que l’on surnomme déjà « la nouvelle Piaf ». Elle triomphe à nouveau les dimanches suivants avec Padam Padam, puis Le Dénicheur, avant d’être éliminée le 21 novembre par une autre inconnue, Mireille Mathieu. « Ce jeu de la chance est devenu pour moi celui de la malchance », dira plus tard Georgette Lemaire en dressant le bilan de sa carrière, mais aussi de sa vie.
Née le 15 février 1943, Georgette Kibleur grandit entre Paul, un père ouvrier dans une usine à Ivry, et Léone, une mère diminuée par la maladie. Enfant rebelle, elle déteste l’école, à l’exception des cours de chant. Le professeur, qui a remarqué la puissance de sa voix, conseille à ses parents, de l’inscrire au Conservatoire. C’est, hélas, financièrement impossible. Au lendemain de ses 14 ans, à la veille du certificat d’études, elle entre dans la vie active. Elle travaille dans une bijouterie, qu’elle quitte au lendemain de sa rencontre avec Daniel Lemaire, son aîné de deux ans. Le coup de foudre est tel qu’elle l’épouse trois ans plus tard, et devient la mère de deux enfants. Dans le studio de 12 m2 où la famille vit entassée, elle chante à longueur de journée. Grâce à Yvonne, sa belle-mère, elle se produit, pour le plaisir, chez Louisette, un restaurant du Marché aux Puces. C’est là qu’elle découvre une annonce recherchant des candidats pour ce « Jeu de la chance » qui va bouleverser son destin.
Première partie de Georges Brassens
Son élimination n’empêche pas les organisateurs de galas de lui faire des propositions, souvent bien modestes. Grâce à un imprésario, Eddy Marouani, elle rencontre Charles Dumont qui lui écrit la chanson phare de son premier 45 tours, À faire l’amour sans amour. C’est ainsi que débute une période faste avec des refrains régulièrement diffusés sur les ondes, Et si c’était vrai et Les tambours. Elle les interprète en 1967 à Bobino, pendant un mois, en première partie de Georges Brassens, l’un des premiers à avoir remarqué son talent.
Georges Brassens et Georgette Lemaire à l’avant-première de Georges Brassens à Bobino, le 10 janvier 1967.
Giovanni Coruzzi / Bridgeman Images
Elle se retrouve en 1968 à l’Olympia, en « vedette américaine » d’Enrico Macias. C’est là qu’elle crée son plus grand succès, Vous étiez belle madame, de Jean-Jacques Debout et Pascal Sevran. Elle multiplie les tournées en France avec Alain Barrière, Nicoletta et Joe Dassin. Elle se produit aussi à Londres, Bruxelles, Varsovie, Bucarest et Acapulco.
En revanche, en coulisses, les fausses notes se multiplient. Tombée amoureuse de Bob Sellers, son pianiste, elle divorce mais conserve, à la scène, le nom de Georgette Lemaire. Peu après être devenue mère pour la troisième fois, les rapports se tendent avec le nouvel homme de sa vie. La séparation survient au moment où elle entre dans une zone de turbulences financières dont elle ne va jamais sortir. Les ventes de disques sont en chute libre et les demandes de galas, naturellement peu nombreuses. Pascal Sevran et Jacques Martin deviennent les seuls à lui demeurer fidèles en l’accueillant dans « La chance aux chansons » et « Dimanche Martin ».
Menaces d’expulsion
La tournée Âge tendre à laquelle elle va participer pendant un an va être celle de ses adieux. Elle finit par se retrouver dans l’impossibilité de payer son loyer. Elle va vivre des années entre tribunaux, constats d’huissier et menaces d’expulsion. Malgré des appels au secours dans la presse, elles vont finir par se concrétiser. Elle écrit une lettre à François Mitterrand, qui, touché par sa situation, la fait nommer au Conseil Économique et Social parmi les « membres de la section des relations extérieures ». Cela lui permet de payer le loyer de l’appartement de Créteil, obtenu sur une intervention du Président de la République. Deux ans plus tard, elle se retrouve à nouveau à la rue. Des fans qui lui sont demeurés fidèles vont l’héberger avant qu’elle obtienne une place à Nogent-sur-Marne, dans une maison réservée aux artistes nécessiteux. C’est là qu’elle a terminé sa vie, à 82 ans. Charles Dumont lui avait dit un jour : « Tu es un personnage de série noire ». Un titre, en ce qui la concerne, à mettre au pluriel.