Souvenez-vous de cette scène culte du premier Jurassic Park : un moustique figé dans l’ambre rempli de sang de dinosaure aspiré à la seringue et quelques manipulations génétiques plus tard, un rugissement de T-Rex déchire la jungle d’Isla Nublar. Si ce scénario de ce film légendaire relève de la pure science-fiction (sans parler des suites à répétition, qui ont poussé le bouchon un peu loin), Steven Spielberg, en reprenant le roman de Michael Crichton, avait finalement eu du flair.
Le moustique, parasite agaçant à souhait qu’on éclate à coups de claquettes tous les étés, est en réalité un « disque dur biologique » sur six pattes. Une étude très sérieuse publiée dans Scientific Reports vient de confirmer que ces insectes sont des espions hors pair pour les biologistes et écologues de tous bords. En Floride, des chercheurs de l’université locale ont troqué le chapeau d’Alan Grant pour des séquenceurs ADN de pointe. Leur mission ? Prouver que le moustique est le meilleur outil de recensement de la faune jamais inventé par l’évolution.
Des « drones » biologiques ultra-efficaces
Dès qu’un moustique vous pique (ou pique votre chien), il effectue sans le savoir un prélèvement biologique de haute précision. Pour les chercheurs de l’Université de Floride, ces « repas sanguins » sont de véritables mines d’or pour le suivi de la faune.
Pourquoi s’embêter à installer des centaines de pièges photographiques coûteux qui ratent les petits animaux cachés sous les feuilles, ou les oiseaux dans la canopée quand on peut laisser des milliers de micro-seringues ailées faire le sale boulot ? En analysant plus de 2 000 spécimens de moustiques collectés dans la réserve de DeLuca, l’équipe a pu dresser un inventaire ultra-complet de l’écosystème local : 86 espèces de vertébrés ont été identifiées.
Autant dire que le panorama était exhaustif : des ratons laveurs, des coyotes, des cerfs de Virginie, des serpents, des aigles, et même des alligators ou des tortues gophères. Les femelles moustiques, poussées par l’instinct ne font aucune discrimination lorsqu’il s’agit de ponctionner du sang nécessaire à la maturation de leurs œufs. Elles capturent ainsi l’empreinte génétique de tout ce qui bouge, permettant aux scientifiques de savoir exactement quelles populations habitent une zone donnée, comment elles se déplacent et si certaines espèces menacées sont encore présentes.
Les données en temps réel : des preuves à courte échéance
C’est ici que la réalité s’éloigne encore plus de la fiction de Spielberg, mais c’est pour la bonne cause. Contrairement à l’ADN fossilisé dans l’ambre qui attendait sagement depuis des millions d’années, l’ADN collecté par un moustique est une donnée ultra-périssable.
Une fois le sang aspiré, les acides nucléiques qu’il contient se dégradent en seulement 24 à 48 heures dans l’estomac de l’insecte. De plus, un moustique est un piètre voyageur : il s’éloigne rarement à plus de quelques centaines de mètres de sa source de nourriture. Pour les écologues, c’est une aubaine.
Les échantillonnages d’ADN environnemental obtenus par l’air ou par l’eau peuvent parfois dater de plusieurs semaines et avoir dérivé sur des kilomètres. Au contraire, en livrant ces données fraîches, le moustique offre aux chercheurs une géolocalisation temporelle et géographique quasi parfaite. Prenons un exemple : si de l’ADN de raton laveur est retrouvé dans un spécimen, c’est la preuve irréfutable que le mammifère était là, et a été piqué précisément à cet endroit, il y a moins de deux jours.
« Les moustiques sont généralement perçus comme des nuisibles ou des vecteurs de maladies, ce qui est largement mérité », reconnaît Lawrence Reeves, entomologiste à l’université de Floride. « Mais dans leurs écosystèmes, ils jouent aussi des rôles importants, et nous montrons ici qu’ils peuvent aider à surveiller d’autres animaux, pour mieux les conserver ou mieux gérer les milieux naturels », continue le chercheur.
Ils ne nous aideront pas, certes à transformer un poulet en vélociraptor, mais cette nouvelle méthode de monitoring de la faune s’avère extrêmement fiable en plus d’être très économique. On pourrait, théoriquement, l’extrapoler en de nombreux endroits du globe pour garder un œil sur les espèces d’animaux menacées, mais aussi détecter l’arrivée d’espèces invasives avant que leurs populations ne deviennent incontrôlables. Cela dit, cela ne nous aidera pas à apprécier plus les moustiques ou à oublier qu’ils sont les animaux les plus mortels de la planète (environ 830 000 décès annuels), mais ces travaux montrent tout de même qu’ils revêtent un certain intérêt écologique. Ce qui, au vu de leur statut et de leur réputation, n’était pas gagné d’avance.
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