(Paris) Un bijou moderne dans un écrin ancien : la fondation du joaillier Cartier a inauguré cet automne un nouveau musée d’art contemporain en plein cœur de Paris, le dernier-né d’une série d’institutions privées liées à de grands noms du luxe.

Publié à
11 h 30

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Un ancien grand magasin du XIXe siècle a été complètement transformé pour accueillir la nouvelle adresse, un projet d’environ 230 millions d’euros (375 millions de dollars canadiens), entièrement assumé par des fonds privés.

La Fondation Cartier avait déjà pignon sur rue boulevard Raspail depuis 1994, à l’écart du circuit touristique classique. Avec un nouvel emplacement entre le Louvre et le Palais-Royal, le nouveau musée se retrouve au cœur du Paris des cartes postales.

« On voulait un lieu qui nous permettrait d’avoir plus d’audience internationale », indique en entrevue la Franco-Québécoise Béatrice Grenier, directrice projets stratégiques et internationaux à la Fondation Cartier.

Sortir de la rive gauche pour aller vers de nouveaux publics et pouvoir offrir à ces publics une expérience complète du musée, avec des espaces pour la programmation pédagogique, un auditorium, un restaurant qui va ouvrir en début d’année prochaine.

Béatrice Grenier, directrice projets stratégiques et internationaux à la Fondation Cartier

Sur le boulevard Raspail, l’établissement « commençait à être un peu à l’étroit ».

PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, COLLABORATION SPÉCIALE

La fondation s’est installée dans un ancien grand magasin du XIXe siècle.

L’architecte de renommée mondiale Jean Nouvel s’est vu confier l’énorme projet de rénovation. Il avait conçu l’incarnation précédente de la Fondation Cartier, boulevard Raspail. Cette fois, le concepteur voulait « mettre la Fondation dans Paris » et « donner plus d’espace aux artistes », en plus d’ajouter de l’ouverture vers l’extérieur, explique-t-il dans une vidéo en ligne.

Résultat : un grand musée avec plus de 6500 mètres carrés (70 000 pieds carrés) d’espaces d’exposition, cinq fois plus qu’auparavant. Il est articulé autour de « cinq plateformes qui peuvent être organisées sur différents niveaux sur une hauteur de 11 mètres », décrit Béatrice Grenier.

C’est un Rubik’s Cube géant qui permet de concevoir une nouvelle architecture pour chaque exposition.

Béatrice Grenier, directrice projets stratégiques et internationaux à la Fondation Cartier

Un auvent de verre « minimaliste » court sur quelque 150 mètres de la façade, donnant un air contemporain à ce bâtiment ancien.

  • La série Tokyo Color par le photographe japonais Daido Moriyama fait partie de l’exposition inaugurale.

    PHOTO ALAIN JOCARD, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

    La série Tokyo Color par le photographe japonais Daido Moriyama fait partie de l’exposition inaugurale.

  • Le nouveau musée compte plus de 6500 mètres carrés d’espaces d’exposition.

    PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, COLLABORATION SPÉCIALE

    Le nouveau musée compte plus de 6500 mètres carrés d’espaces d’exposition.

  • L’expo inaugurale compte 600 œuvres.

    PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, COLLABORATION SPÉCIALE

    L’expo inaugurale compte 600 œuvres.

  • Les artistes exposés viennent de tous les coins du monde.

    PHOTO PHILIPPE TEISCEIRA-LESSARD, COLLABORATION SPÉCIALE

    Les artistes exposés viennent de tous les coins du monde.

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600 œuvres pour l’expo inaugurale

Entre les murs du musée, mi-novembre, ces immenses planchers mouvants étaient bien visibles, avec leurs systèmes de câbles et de poulies. Les ascenseurs se trouvent dans les parties immobiles du bâtiment. « C’est la première fois que je viens, témoigne Marie-Pierre Franc, qui avait déjà visité la Fondation Cartier dans son incarnation précédente. C’est surprenant, il y a des tas de choses très surprenantes. »

« Je suis favorablement impressionné, dit René Peter, un touriste allemand. Je suis surpris de voir la taille et de voir à quel point le bâtiment est ouvert. On peut voir tous les étages à la fois. »

L’exposition inaugurale de la Fondation Cartier, intitulée Exposition générale, regroupe quelque 600 œuvres. « Ce sont pour la plupart des commandes que la Fondation Cartier a faites à des artistes tout au long des 40 dernières années et qui sont entrées dans la collection, dit Béatrice Grenier. Ça offre un portrait très singulier de la création contemporaine récente. » Les artistes exposés viennent de tous les coins du monde.

PHOTO MARTIN BUREAU, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Une exposition de photographies de l’artiste Cindy Sherman à la Fondation Louis Vuitton en 2020.

Une tendance immanquable

La Fondation Cartier s’inscrit dans une tendance immanquable à Paris : l’ouverture de musées privés par des acteurs du monde du luxe. La Fondation Louis Vuitton s’est offert un bâtiment futuriste de l’architecte Frank Gehry dans le bois de Boulogne en 2014, puis le milliardaire François Pinault (Gucci, Balenciaga, Yves Saint Laurent) a ouvert son propre musée à la Bourse de Commerce en 2021. D’autres institutions de moins grande ampleur ont aussi vu le jour.

« Il y a eu deux phénomènes : une accélération – parce qu’il y a eu une concurrence [entre fondations] – et, par ailleurs, un changement d’échelle », explique Philippe Dagen, historien de l’art et critique d’art, en entrevue téléphonique. « On est en présence de fondations installées dans des bâtiments […] avec des architectures intérieures ou extérieures très spectaculaires, sur un modèle qui trouverait plutôt des points de comparaison soit dans les pays du Golfe, soit éventuellement aux États-Unis. »

« [Ces nouvelles institutions] créent clairement une concurrence : je peux témoigner du fait que par certaines institutions publiques, cela a été perçu comme un danger », dit-il.

La Fondation Vuitton peut organiser des manifestations qu’à l’heure actuelle aucun musée français ne serait susceptible de financer.

Philippe Dagen, historien de l’art et critique d’art

La galeriste Nathalie Obadia voit positivement toutes ces ouvertures. Dans une tribune de 2021, elle a toutefois mis de l’avant la nécessité de clarifier la distinction entre musées privés et musées publics dans l’espace public, observant qu’aller chez « Vuitton », chez « Pinault » ou chez « Pompidou » semblait équivalent pour les plus jeunes. Une autre question, « c’est de voir qu’il n’y a peut-être pas assez d’artistes de la scène française, a-t-elle dit. Il ne faut pas que Paris devienne seulement l’amplificateur des succès des artistes étrangers ».

Béatrice Grenier, elle, rejette toute mise en opposition entre musées publics et privés. « C’est un faux débat, dans la mesure où il y a la place pour tous », assure-t-elle. « C’est une diversité qu’on apporte à la ville. Ce n’est pas du tout une dynamique de compétition. »