Pour le président américain Donald Trump, la barrière entre les sphères du privé et du professionnel est bien fine. Emploi de son gendre Jared Kushner en tant qu’émissaire diplomatique ainsi que du père de ce dernier, Charles Kushner, comme ambassadeur en France, nomination de son ami Steve Witkoff en tant qu’envoyé spécial au Proche-Orient… Le clan gravitant autour de Donald Trump, composé en grande partie de pontes du secteur immobilier, occupe désormais une place de choix dans la politique étrangère américaine, ses membres servant d’intermédiaires et de négociateurs détachés des canaux diplomatiques traditionnels, pour le profit des États-Unis autant que le leur.

Le nouvel envoyé spécial américain pour la Biélorussie, John Coale, n’échappe pas à la règle : si cet avocat de formation a soutenu le camp démocrate en 2016, l’homme de loi s’est par la suite rapproché des positions trumpistes, jusqu’à devenir un avocat personnel de l’homme fort du parti républicain.

Nommé à son poste en novembre dernier, John Coale s’est retrouvé dans une position vitale, en tant que l’une des personnes les mieux placées pour accomplir l’un des objectifs centraux de l’administration Trump : la réintégration pacifique de la Russie à l’ordre international, qui ouvrirait la voie à de juteux accords commerciaux et l’exploitation de ses ressources naturelles.

Séduire par l’exemple

Car le président biélorusse, Alexandre Loukachenko, est l’un des dirigeants les plus proches de Vladimir Poutine, qu’il côtoie depuis plus d’un quart de siècle. Le dirigeant de la Biélorussie, qui s’est déjà décrit comme « le dernier et le seul dictateur en Europe », profite de longue date de cette relation de confiance pour servir de passerelle entre l’autocrate du Kremlin et le reste du continent, une position lui permettant également de réaffirmer son indépendance vis-à-vis d’un voisin russe expansionniste.

Ce rôle d’entremetteur s’est effacé ces dernières années, suite à la répression du mouvement démocratique biélorusse et du soutien à l’invasion à grande échelle par la Russie de l’Ukraine, ayant poussé l’Occident à imposer de lourdes sanctions contre l’une des économies les moins développées du continent. Le retour au pouvoir de Donald Trump ouvre cependant de nouvelles possibilités pour Minsk, la Maison Blanche comptant se servir de la Biélorussie comme d’un exemple pour montrer au Kremlin les dividendes que pourrait retirer la Russie d’un arrêt des hostilités contre Kiev, selon le Wall Street Journal.

« Table des gens cool »

Ce rapprochement discret américano-biélorusse a débuté bien avant la nomination de John Coale, Minsk libérant plusieurs prisonniers américains au compte-goutte dès le début du mandat du président Trump, afin de montrer la bonne volonté de son régime. L’irruption de l’avocat américain dans le dossier biélorusse a cependant permis d’accélérer le processus, bien que John Coale ne s’attendait absolument pas à devoir gérer les relations diplomatiques de Washington avec Minsk.

Envoyé en urgence en Biélorussie quelques mois avant sa nomination officielle afin de gérer le rapatriement d’un détenu, le citoyen américain et biélorusse Youras Ziankovich, l’avocat lui-même a rapidement admis son manque d’expérience sur le dossier. « Ma première pensée a été : mais où est-ce que c’est ? » a notamment déclaré John Coale, selon le Wall Street Journal.

Catapulté à Minsk, le proche de Donald Trump a alors directement entamé les négociations au cours d’un dîner ponctué d’une myriade de verres de vodka avec Alexandre Loukachenko, lui indiquant qu’il pourrait quitter la « table des perdants », où siègent Téhéran, Caracas et Pyongyang, pour rejoindre la « table des gens cool », aux côtés de l’oncle Sam. Un petit discours ayant apparemment convaincu l’autocrate biélorusse de libérer, quelques heures plus tard Youras Ziankovich, dont le cas n’a jamais été expressément mentionné durant le repas. « Nous avons parlé et ri, et [Youras] est libre, et tout le monde est content », mentionne John Coale au sujet de cet épisode.

Cette première étape a été suivie de plusieurs rounds de négociations plus ou moins informelles durant lesquelles Minsk a monnayé la libération de centaines de prisonniers politiques – une denrée dont la dictature ne manque pas – en échange de la levée de certaines sanctions. Ces discussions entre John Coale et un Alexandre Loukachenko ont permis aux deux hommes de nouer une relation amicale, le président biélorusse allant jusqu’à poser une question personnelle à l’avocat entre deux toasts de vodka : ce dernier avait-il perdu du poids ?

John Coale a alors précisé à son hôte qu’il prenait du Zepbound, un médicament amaigrissant en vente aux États-Unis… et des officiels américains ont étudié suite à cette rencontre le moyen de fournir au chef d’État de 71 ans ce traitement.

Succès en demi-teinte

Cette relation amicale a-t-elle porté ses fruits ? À première vue, tout semble l’indiquer : la Biélorussie a relâché 14 prisonniers en juin, dont le mari de la cheffe de l’opposition Svetlana Tikhanovskaïa, puis 52 détenus en septembre et 123 autres en décembre. Minsk a de son côté obtenu un allégement des sanctions sur la compagnie aérienne nationale biélorusse Belavia, en manque critique de pièces détachées pour ses Boeing – Alexandre Loukachenko évoquant en privé l’achat potentiel de nouveaux avions américains – ainsi que sur l’industrie du potassium biélorusse, qui abrite certains des plus grands dépôts au monde.

Le régime biélorusse a également indiqué aux diplomates américains comment négocier avec le président russe, a facilité la rencontre entre Vladimir Poutine et Donald Trump en Alaska, et s’est grandement impliqué dans les négociations pour mettre fin au conflit.

Mais l’administration américaine pourrait avoir trop facilement cédé sur plusieurs points, permettant au président biélorusse de reprendre sa politique d’équilibriste entre la Russie et l’Occident après avoir obtenu ce qu’il désirait de Washington : Alexandre Loukachenko a ainsi annoncé le 18 décembre que les prochains avions achetés par la Biélorussie seraient russes, et non américains.