Seul aux manettes du projet Normand’Hy depuis 2021, le spécialiste français des gaz industriels Air Liquide achève enfin la construction de son électrolyseur à membrane échangeuse de protons (PEM), le plus puissant d’Europe, permettant de produire un hydrogène bas carbone par électrolyse de l’eau. Implanté dans la zone industrielle de Port-Jérôme en Normandie, la mise en service se fera progressivement courant 2026.

Entre Air Liquide et la Normandie, l’idylle se poursuit au fil des décennies. Installé depuis plus de cinquante ans dans cette région industrielle qui engloutit chaque année un tiers de la production nationale d’hydrogène (soit plus de 300 000 t/an), le gazier français finalise la construction d’un électrolyseur à membrane échangeuse de protons (PEM) de 200 MW, le plus puissant d’Europe jamais démarré pour la production d’hydrogène bas carbone. L’usine est implantée à Saint-Jean-de-Folleville (Seine-Maritime), dans la zone industrielle de Port-Jérôme. Sa mise en route est prévue pour 2026, pour une pleine puissance qui devrait être atteinte à la fin de l’année. À titre de comparaison, les unités PEM les plus importantes jamais mises en service par Air Liquide, en opération à Bécancour (Canada) et à Trailblazer (Allemagne), atteignent une puissance de 20 MW.

450 millions d’euros d’investissement

« Nous avons mis cinq années à construire, car le projet est fondamentalement compliqué, avec beaucoup d’argent mobilisé, d’entreprises, de collectivités locales ou encore les autorités », résume Nicolas Droin, directeur général d’Air Liquide France Industrie. « Et cinq ans, cela reste extrêmement rapide ». Le chantier a nécessité la participation de près de 150 entreprises sous-traitantes, avec jusqu’à 500 ouvriers et techniciens mobilisés sur le chantier. « À terme, le projet va générer 40 emplois, afin d’assurer le fonctionnement du site », ajoute le directeur. En totalité, le projet aura nécessité 450 millions d’euros d’investissement, dont une enveloppe 190 millions d’euros de l’État et une participation de la région Normandie.

La technologie de l’électrolyseur repose sur des cellules individuelles PEM empilées les unes sur les autres. Au sein de chaque cellule, une membrane polymère conductrice de protons sépare physiquement l’hydrogène et l’oxygène. Quand le courant électrique passe, les molécules d’eau se dissocient : les protons traversent la membrane et se transforment en hydrogène gazeux, tandis que l’oxygène est évacué séparément.

À l’heure actuelle, Air Liquide poursuit l’installation des douze modules d’électrolyse de 11,7 MW, répartis au sein des deux immenses hangars du site de Port-Jérôme, pour un total de 288 cellules PEM. Des modules fabriqués dans une gigafactory à Berlin, détenue par une coentreprise entre Air Liquide (25,1 %) et Siemens Energy (74,9 %), puis assemblés dans la région de Roanne. Toutes ces unités sont raccordées à un poste électrique de 225 kV construit par RTE sur site, alimenté par deux lignes haute tension en provenance des réseaux de Sandouville et Port-Jérôme, acheminant de l’électricité renouvelable ou nucléaire.

Décarboner les industries

« Une fois que le dihydrogène sort de l’électrolyseur, c’est là que le savoir-faire d’Air Liquide intervient sur toutes les étapes d’après », précise Rahim Salemkour, directeur du projet Normand’Hy. Compression du gaz à 6 puis 36 bars, purification pour atteindre la bonne norme de qualité, puis passage par un poste de comptage et de certification… L’hydrogène pourra ensuite être injecté dans la canalisation de 30 km, un maillage régional desservant les clients industriels du bassin havrais d’Air Liquide, ou finira sa course au sein d’un centre de conditionnement – dernière étape du projet – où les poids lourds pourront venir s’alimenter en carburant.

« L’hydrogène reste essentiel à la décarbonation de l’industrie et des transports », insiste Armelle Levieux, directrice innovation et technologie d’Air Liquide. Avec une capacité de 28 000 tonnes par an d’hydrogène, la production de l’électrolyseur de Port-Jérôme devrait permettre d’éviter 250 000 tonnes de CO₂ émis chaque année. La moitié des volumes produits partiront en direction de la plateforme de raffinage-chimie de TotalEnergies à Gonfreville (Seine-Maritime), afin de désulfurer son essence. Par le biais d’un accord, daté de 2023, la compagnie pétrolière s’était engagée à approvisionner en électricité renouvelable la moitié des besoins énergétiques de l’électrolyseur, tandis qu’Air Liquide lui fournissait en retour la moitié des volumes d’hydrogène produits. Cette année-là, TotalEnergies avait lancé un appel d’offres pour l’achat de 500 000 tonnes par an d’hydrogène bas carbone pour décarboner ses raffineries européennes, le groupe espérant éviter l’émission d’environ 5 millions de tonnes de CO₂ par an de ses sites à horizon 2030.

Une extension déjà envisagée

En parallèle, près de 10 % de la production de l’électrolyseur de Port-Jérôme seront destinés à la mobilité décarbonée de l’axe Seine. 40 % de la production cherchent encore preneur, Air Liquide assurant que les discussions vont bon train, notamment avec des clients pétroliers présents sur le réseau. « Les raffineurs restent les plus gros consommateurs, avec un cadre réglementaire et économique très stable dans le temps », souligne Nicolas Droin.

« Nous étudions déjà la possibilité d’ajouter une extension de 100 MW », précise Nicolas Droin. Le projet Normand’Hy est implanté sur une parcelle de 29 hectares, anciennement une plaine agricole. Situé juste avant l’embouchure de la Seine, le projet occupe pour l’heure uniquement une dizaine d’hectares, qui ont dû être rehaussés de deux mètres face aux risques d’inondation.

Sur le bassin normand, les clients chimistes d’Air Liquide privilégient à l’heure actuelle l’hydrogène en provenance des deux unités de reformage du méthane du gazier, situées à quelques dizaines de kilomètres de Normand’hy. La question du surcoût par rapport à du dihydrogène traditionnel reste un élément central. « À ce stade, la molécule (dihydrogène bas carbone ndlr) est en moyenne trois fois plus chère que la molécule traditionnelle », avoue Armelle Levieux. « Nous sommes sur une courbe de montée en puissance très rapide de cette technologie », précise Nicolas Droin. Un développement qui participera à une baisse du prix. L’évolution des pratiques, notamment accompagnée par l’évolution du cadre réglementaire en matière de décarbonation de l’industrie, pourrait aussi aider à faire décoller une nouvelle demande en hydrogène bas carbone.

2025 : une année record en termes d’investissements

L’année 2025 s’avère déjà être une bonne cuvée pour Air Liquide. Avant même la publication des traditionnels résultats annuels durant les premiers mois de 2026, le spécialiste français des gaz industriels est déjà sur les bases d’un grand cru, avec des décisions d’investissement industriel et financier s’élevant à 3,2 Mdrs € de janvier à septembre 2025.

Son portefeuille de projets en cours d’exécution atteint un nouveau record à 4,9 Mdrs €, en hausse par rapport aux 4,6 Mdrs € enregistrés fin juin 2025. Sur cet indicateur, la meilleure année jamais réalisée, l’exercice 2023, a seulement culminé à 4,2 Mdrs € pour l’ensemble des douze mois. Air Liquide continue de dérouler une stratégie fondée sur des investissements à long terme combinés à des moteurs de croissance diversifiés, permettant au groupe de balancer entre ses différentes activités.

Sur les 70 projets encours à travers le monde, un tiers sont liés au secteur de l’électronique. Dans les semi-conducteurs, le gazier s’est lancé dans la construction d’unités de production de gaz industriels en Allemagne (plus de 250 M€ investis) et aux États-Unis (43 M€ investis) pour soutenir les besoins de ce secteur porteur. Autre fait marquant, la décision finale d’investissement dans le projet ELYgator, un électrolyseur d’une capacité de 200 MW qui verra le jour dans le port de Rotterdam (Pays-Bas).

En termes de puissance, le projet est équivalent à celui en cours de finalisation à Port-Jérôme (Normandie), mais diverge un peu sur l’aspect technologique, puisque cette usine néerlandaise intègre deux procédés distincts, PEM et alcaline. Le coût total de l’opération devrait s’élever à plus de 500 M€. L’un des principaux clients pour cette nouvelle production d’hydrogène bas carbone : la plateforme de raffinage et de pétrochimie de TotalEnergies à Anvers.