En 2014, le jeune Souleymanou Ben Oumar a décidé de quitter son pays à l’âge de 12 ans pour la France. Et c’est à Montpellier qu’il va rencontrer Mireille Chevalier devenue depuis sa maman de cœur.

Rien que dans son regard, on aperçoit cette flamme, cette incroyable lueur qui brille comme si tout était possible. Souleymanou Ben Oumar est la preuve vivante que quitter son pays pour s’installer en France est un véritable parcours du combattant. Et peu importe ce qu’en disent ou en pensent les rageux, derrière ce départ, il y a des humains pour qui rien n’est acquis…

Car Souleymanou est né bien loin de Montpellier à plus de 5 000 km, quelques jours avant Noël, en décembre 2001. Dans son petit village du Cameroun, il grandit avec sa grand-mère et son petit frère malade. Il n’a pas accès à l’école, ni aux soins médicaux et entend une histoire fabuleuse sur ce qu’est la vie en France. Et c’est à ce moment-là qu’il va se prendre à rêver…

Du haut de ses 12 ans avec un ami, il va préparer soigneusement son départ. Les deux garçons s’attellent aux travaux des champs plus que de raison. La moindre petite pièce va être mise de côté dans le plus grand secret et à l’aide de ce modeste trésor en poche, ils en sont certains, ils vont pouvoir arriver jusqu’en France où une vie meilleure les attend.

Et un beau matin de 2014, « nous sommes partis sans prévenir personne. Ma grand-mère n’aurait jamais accepté ». Mais les deux comparses ne s’attendaient pas à ce qu’ils allaient devoir affronter..

Un sacré périple pour arriver en Europe

La route va être semée d’embûches. D’autant plus qu’ils ont plusieurs milliers de kilomètres et pas mal de frontières à franchir. De ce périple qui a duré plusieurs années, il en retiendra sûrement chaque minute, chaque lieu traversé… Les différents passages aux frontières avec le Nigeria, le Niger, l’Algérie puis le Maroc. « La difficulté, c’était qu’on était des enfants… »

Les passeurs toujours prêts à faire monter les prix, les coups de chance comme ce couple qui les a pris en voiture et leur bienveillance à l’égard de ces petits voyageurs. La débrouille, les échanges de bons procédés, les bakchichs. Mais aussi les moments très rudes, où ils se retrouvent accrochés dans un camion en plein désert. « Ceux qui tombaient étaient abandonnés sur place. » Ou encore les « gens tellement épuisés qu’ils délaissaient leurs sacs ».

Pendant que le jeune duo, lui, s’accroche et se refuse au moindre doute. « À partir d’un niveau, il faut avancer, tu ne peux plus faire demi-tour. » Et ce même quand il apprend la mort de son petit frère.

Les cachettes pour feinter la police, les chiens, l’abus envers les sans-papiers, les dettes qu’ils doivent rembourser aux passeurs. « En Algérie on a dû rester plusieurs mois à travailler pour payer ce qu’on devait…. » Mais il aime aussi se remémorer les rencontres, l’entraide, la solidarité entre ceux qui souhaitent « passer de l’autre côté ».

Jusqu’à leur arrivée à la fameuse frontière à quelques encablures de l’enclave espagnole : Ceuta. Pendant sept longs mois, ils vont tenter de traverser. « Nous vivions dans la « forêt » ». Chaque soir, cet espoir.

Et enfin ce 25 décembre 2015. Il y a dix ans. « Un merveilleux souvenir », confie le jeune homme un discret sourire aux lèvres. « C’était le soir de Noël : nous avons pu poser le pied en Europe. » Ce petit pas plein de promesses. Et pourtant ils n’étaient pas au bout de leur peine.

Des mois avant d’arriver en France

S’enclenche alors une nouvelle étape. C’est en Espagne que les deux copains vont être séparés. Souleymanou se retrouve seul à Madrid pris en charge par une ONG. Et une erreur d’aiguillage le fait arriver à Berlin au lieu de Paris. « Ce n’était pas prévu. »

Il a pu retrouver son compagnon de route des années après

Quant à son fidèle compagnon de route, dont il préfère ne pas divulguer son identité, il a pu le retrouver des années après leur séparation en Espagne. « Grâce aux réseaux sociaux et notamment Facebook. Ça a été un soulagement de le savoir en France et à l’abri. »

Lui a eu davantage de chance au départ. « Il est arrivé en France directement et par la suite a obtenu rapidement son titre de séjour et un emploi dans un garage après son apprentissage dans l’automobile. Il a même pu retourner plusieurs fois au village. »

Mais depuis, son titre n’a pas été renouvelé. « Il a beaucoup de difficultés avec les papiers. Mais quand ce sera réglé, on ira ensemble au Cameroun. On se l’est promis. Ça serait formidable de pouvoir le faire. »

Les deux jeunes hommes se sont revus à plusieurs reprises. « Chaque fois, pour les vacances, il vient ici ou je monte chez lui à Poitiers. On passe Noël ensemble, les anniversaires… »

« Lui aussi fait partie de la famille », ajoute Mireille. Un peu comme des frères, ils sont restés complices surtout après tout ce qu’ils ont traversé ensemble.

C’est lors d’un transfert pour la France quelques mois plus tard qu’il se retrouve par hasard à Montpellier. Le 6 mars 2017, il a 15 ans et ça y est il est en France. « Je suis sorti de la gare tard dans la nuit et je suis allé à la police avec mon acte de naissance comme seul papier pour me déclarer. »

À partir de ce moment-là, il sera pris en charge : remise à niveau pour enfin pouvoir être scolarisé en septembre 2018 en CAP maçonnerie. Mais un jour, la police vient le chercher, l’adolescent est placé en garde à vue avant d’être incarcéré pour des problèmes de papiers. À sa sortie, il dort ici et là. Avant de faire la rencontre qui va changer sa vie.

Rencontre avec Mireille Chevalier, sa maman de cœur

Celle qui va devenir son ange gardien le prendra sous son aile le 4 juillet 2018. Depuis les deux ne se sont plus quittés. « J’avais de la place chez moi et depuis il est resté », sourit-elle avec un regard empli de tendresse en direction de ce jeune garçon devenu grand.

« Mireille, c’est une maman », confie-t-il avec une extrême pudeur. Et elle de rebondir : « Souleymanou fait partie de la famille à part entière maintenant, tout le monde l’a adopté. Mon fils ne cesse de répéter que ses filles ont un frère supplémentaire. »

« Il nous a apporté tellement de choses dans nos vies, il nous a fait découvrir sa culture, sa cuisine, sa bienveillance. »

« Je n’ai malheureusement pas eu la chance de revoir ma grand-mère »

« Je ne voulais pas donner des nouvelles à ma grand-mère avant d’avoir véritablement réussi à arriver », explique Souleymanou, un peu de tristesse dans la voix. « J’ai attendu que ce soit le bon moment. »

Lorsqu’il arrive chez Mireille en juillet 2018, soit plus de quatre années après son départ, il décide de la contacter (sûrement sous l’insistance de sa nouvelle colocataire). Un coup de téléphone s’organise dans son village et au bout du fil la voix de celle qui l’a élevé se fait entendre.

Mireille a d’ailleurs filmé cet appel et garde la vidéo précieusement. « C’était vraiment émouvant, un moment suspendu dans le temps », explique-t-elle.

Souleymanou se souvient de chaque mot qu’elle a prononcé. « Elle m’a surtout dit qu’elle était contente et soulagée… Et aussi qu’elle espérait que j’allais revenir pour me voir. » Malheureusement ça ne se fera jamais. « Je n’ai pas eu la chance de pouvoir la revoir, elle est décédée. » Mais elle était fière de lui et de son parcours.

Et ensemble ils vont affronter les hauts et les bas. Comme une mère, elle va l’accompagner, le regarder s’épanouir « et le protéger aussi. »

Les deux préfèrent oublier les coups du sort qui se sont accumulés. Comme pour leurs anniversaires respectifs : celui de Souleymanou, « on l’attendait, il a été arrêté et conduit au commissariat ». Et une autre fois, celui de Mireille. « Ma fille était venue le chercher pour partir en week-end en Camargue, il était introuvable. » Là aussi, il a passé la nuit en garde à vue. Faute de papiers… Toujours la même rengaine. Il fera même un tour en centre de rétention dont il ne souhaite pas garder de souvenir. « Il y avait des bagarres et j’avais peur d’avoir fait tout ça pour rien et de devoir repartir. »

Mais le destin en a décidé autrement. Le soutien indéfectible de Mireille, de sa « nouvelle » famille, sa carte consulaire en poche puis son passeport et cet espoir d’obtenir un jour le précieux sésame : son titre de séjour… Tout ceci lui permet d’avancer, encore et toujours.

Le lycée, les stages dans une entreprise… Très vite, il devient salarié, empoche un CDI et aujourd’hui il est même associé dans la Scop où il a commencé et dont les membres ne tarissent pas d’éloges à son sujet. « Souleymanou est un membre indispensable de l’entreprise, sérieux, volontaire, efficace, patient, présent avec un tel niveau de compétences et de qualités humaines. »

Le titre tant convoité, il l’obtiendra de la préfecture en février 2025. Valable une année seulement, Souleymanou espère qu’il sera renouvelé.

« C’est un garçon si volontaire. Il est l’exemple de même de l’intégration », déclare avec ferveur sa maman de cœur qui espère que la durée sera plus longue. Histoire de voir venir avec un peu de sérénité.

Prochaine étape : le permis. « Même si on a pris l’habitude de vivre ensemble, je sais qu’un jour il prendra son envol. » Aujourd’hui à 24 ans, Souleymanou arrive à se projeter un peu. « Mon rêve : avoir une grande ferme en France. »

Et Mireille en est convaincue, il peut tout réussir : « Il a une bonne étoile, malgré tout. »

« Un retour au pays très émouvant »

Cet été, titre de séjour en poche et congés à prendre, il a pu retourner pour la première fois au Cameroun. Et pour la toute première fois aussi, il a pris l’avion. « J’avais le cœur qui battait très fort. »

Une fois dans le pays, il doit parcourir plus de 1 200 km en car pour se rendre dans son village. De Douala en passant par Yaoundé, pour atteindre Gouara. « Mon village se trouve à 7 km de Gouara de là. » Il y retrouve ses oncles, tantes, cousins et cousines.

« Mais surtout tout a bien changé. Et les enfants vont à l’école maintenant… », déclare Souleymanou ravi. Sa famille cultive du maïs et des patates douces. « Ils voulaient que je rapporte à Mireille plein de patates douces et un mouton. On en rit encore quand je raconte l’anecdote. »

Le jeune homme est rentré de ses vacances ressourcé. « Les retrouvailles ont été merveilleuses et pleines d’émotions. J’ai pu recréer du lien avec mes racines. Ça fait du bien mais je suis heureux d’avoir pu reprendre ma vie ici… »