Connu pour son esprit taquin dans un vestiaire, Joris Segonds raconte en quoi le chambrage permet de maintenir, au quotidien, une bonne ambiance au sein d’une équipe. Au passage, l’ouvreur revient sur son coup de moins bien aperçu ces dernières semaines, sa récente paternité ou, encore, la période particulière des matchs pendant les fêtes de Noël.
Quel est le ressenti après une nouvelle claque prise à l’extérieur ?
Il y a forcément de la frustration, parce qu’on avait fait une bonne semaine de travail, malgré toutes les absences. Je nous sentais prêts pour défier la Rochelle, mais on a tous reçu une belle claque. On ne s’attendait pas à ramasser autant. Cette semaine, on avait mis le curseur assez haut sur certains points, notamment la discipline. Quand on revient de là-bas avec 17 pénalités contre nous, ça fait mal… On se dit que, finalement, on n’a rien respecté.
Arrivez-vous à comprendre pourquoi l’équipe affiche un visage complètement différent à l’extérieur ?
J’ai l’impression que, des fois, on veut tous essayer de sauver la patrie. On a regardé les vidéos, tout le monde a envie, mais il y en a un petit peu trop et on fait des erreurs de cadets. Sur un hors-jeu, par exemple : ce n’est pas parce qu’on n’a pas envie de défendre. C’est justement qu’on est pressés d’aller défendre. Chacun fait sa petite faute et, derrière, ça fait effet boule de neige avec, au bout du compte, dix-sept pénalités. À ce niveau-là, ce n’est pas possible, car ça fait 50 points.
Comment était l’ambiance, lundi matin ?
Quand tu prends 50 points et que le week-end d’avant, tu en as pris 70, la fierté en prend un coup, dans la tête, ça cogite un peu. Toutefois, en vidéo, on avait le sourire, parce qu’on reste un sacré groupe, mais quand on s’est mis à bosser, tout le monde l’a enlevé, ce sourire. Personne ne le dit, mais je pense que l’ego de chacun a été touché. Cette petite coupure de Noël va nous permettre de passer un peu de temps en famille. Je suis sûr, à 200 %, que tout le monde va penser à ce match contre Paris et faire le nécessaire pour être en forme samedi.
Ressentez-vous plus de pression que d’habitude avant ce week-end ? L’histoire se répète et après une claque à l’extérieur, la victoire est impérative…
Tout le monde veut nous faire tomber à la maison et on a cette pression à chaque fois. On a perdu contre les Stormers, c’était à domicile. On s’est fait peur contre Lyon et il n’y a rien à dire si on le perd. Depuis deux ans, il y a eu plusieurs rencontres comme ça. La pièce est tombée du bon côté, pourvu que ça dure, mais si on veut éviter de vraiment se mettre en danger, c’est à nous de faire un match correct, en gommant cette indiscipline. Avec dix-sept pénalités face à Paris, je ne vois pas comment on pourrait gagner.
Ce match arrive deux jours après Noël. Qu’est-ce que ça implique ?
Ça tombe le jeudi, il y a des vacances imposées par la Ligue. On a eu entraînement lundi matin et l’équipe se retrouvera vendredi. Ça fait toujours plaisir de voir nos familles pendant la coupure, beaucoup de mecs sont loin d’elles, donc ça va amener un coup de boost et de fraîcheur à certains. […] On reçoit en sortant de trois défaites, donc ça rajoute de la pression, mais aucun joueur ne fera n’importe quoi pendant Noël, car tout le monde est conscient du gros morceau qui arrive samedi.
Quel fut le programme de la séance de lundi ?
On a fait une petite clarté, car nous sommes rentrés à deux heures du matin dimanche. Nous avons un programme à suivre jusqu’à vendredi. Tout le monde va faire le boulot, car c’est light de ne se retrouver que vendredi pour jouer un match de haut niveau. Même si tout le monde va un peu manger, car ce sont les fêtes, je n’ai aucun doute sur le fait que le lendemain, beaucoup de joueurs iront faire de l’activité pour éliminer tout ça.
Qu’avez-vous prévu pour Noël ?
Je ne bouge pas, je reste ici, comme j’ai eu la petite il y a deux semaines. Il y a cinq heures de route pour rentrer chez moi, donc ça fait un peu loin. La famille va venir pour un petit repas. Ensuite, je vais vite basculer sur le Stade français, car il faudra être prêt physiquement. Nous allons réveillonner le 24 au soir, puis j’irai m’entraîner le 25.
Que vous inspire le fait de devoir jouer pendant les fêtes de Noël ?
On s’y fait. Dans tous les cas, on n’a pas le choix, mais Jack Willis l’a dit il n’y a pas longtemps : il ne faut pas oublier la chance qu’on a d’être rugbyman professionnel. Là, oui, c’est un peu embêtant de ne pas pouvoir faire Noël en famille, mais on vit de notre passion. Bien manger, faire la fête avec nos proches, ce n’est que partie remise. Une carrière ne dure pas vingt ans.
Sur le plan personnel, quel regard portez-vous sur votre début de saison ?
Le début de saison se passait bien, mais depuis deux ou trois semaines, à l’image de l’équipe, je suis mi-figue mi-raisin. Il y a des bons trucs et des choses pas terribles. Il va falloir, moi aussi, que je retrouve mon niveau du début de saison pour faire un gros match samedi. Avec l’équipe, il faut qu’on élève ce curseur, qu’on retrouve ce plaisir à jouer, qu’on tienne le ballon. C’est rare qu’on soit autant dominés dans la possession, comme sur les deux ou trois derniers matchs. Quand tu es dix, c’est dur de se mettre en évidence lorsque tu n’as pas trop de ballons. Défendre, ce n’est pas mon point fort, je préfère forcément attaquer, et en ce moment, on passe plus de temps à défendre.
Vous êtes un peu en dedans en ce moment. Vous venez de devenir papa, c’est un gros chamboulement. Est-ce lié ?
Cette paternité, ce n’est que du plaisir. La petite est arrivée la veille du match contre les Stormers. Dans la tête, ça allait, mais physiquement c’était un peu dur. C’est la première fois qu’avant la mi-temps, j’étais presque fatigué, j’avais des crampes. J’avais très peu dormi la semaine, mais ce n’est pas une excuse. Face à La Rochelle, c’est juste moi qui suis passé à côté. J’en suis conscient. Il faut des matchs comme ça pour faire grandir les hommes, se dire les choses en face. J’ai analysé mon match, j’ai vu ce qui allait, ce qui n’allait pas. Ça fait du bien, dans les têtes, de voir les axes de progression et les points sur lesquels il faut travailler.
En quoi cette paternité, même toute récente, vous change-t-elle ?
Je prends goût à tout ça, je me dis que tout est positif. C’est quelque chose de nouveau. Ça fait toujours plaisir d’avoir un petit enfant à la maison. Au stade, je m’implique à 100 % et je sais que j’ai cette chance, en rentrant à la maison, d’avoir ce petit sourire. Après, ça ne change rien à mes habitudes, à ma façon de m’entraîner et d’aborder les matchs.
Avant de devenir papa, vous avez été dans la liste des 42 pour préparer la tournée. Comment aviez-vous accueilli cette convocation ?
Ça fait toujours plaisir d’être appelé en équipe de France. J’étais très content d’autant que la tournée avait lieu en France et c’était la première fois que j’étais appelé lors d’un rassemblement autre qu’en été.
Est-ce un marqueur de confiance ?
Oui, mais comme je l’ai dit, je ne suis pas du genre à me poser 1 000 questions. J’ai pris ça comme du bonus, quelque chose de positif. Le plus important, c’est que je sois concentré à 200 % avec le club. J’étais le plus heureux d’être dans la liste, mais depuis plusieurs semaines, mon genou gonflait après les matchs. Nous avons reçu Montauban et nous avons décidé, avec le club, de le ponctionner. J’ai été forfait pour la tournée, mais mon corps reste mon outil de travail. Il faut savoir faire attention. Je ne regrette pas du tout d’avoir déclaré forfait pour bien soigner ce genou, même si ça fait un petit pincement au cœur de voir les mecs jouer devant la télévision…
Au vu de votre début de saison relativement convaincant, le Tournoi fait-il partie de vos objectifs ?
Franchement, ce qui m’importe le plus, c’est le Top 14 et les rencontres qui arrivent avec Bayonne. Tout le monde me parle du 6 Nations. Le seul objectif que j’ai, c’est espérer gagner les matchs contre le Stade français et Montpellier. Le tournoi arrive dans très longtemps. Il peut y avoir de la casse, des révélations, des mecs hors forme. Il y a tellement d’aléas dans la vie que je prends les choses telles qu’elles viennent. Si je suis appelé, tant mieux. Si je n’y suis pas, tant pis. Ce n’est que du bonus.
Ces retrouvailles avec Paris, ce week-end, vous permettent-elles de brancher vos anciens collègues ?
Oui, forcément, car j’ai de très bons amis là-haut. Affronter Paris, c’est toujours particulier, car c’est le club avec lequel j’ai découvert le Top 14. Maintenant, je suis Bayonnais. L’an dernier, quand on les a battus ici, j’étais le premier à les chambrer. Quand on est montés à Paris, j’étais aussi le premier à les chambrer pour leur dire de faire attention. Bon, on a perdu, donc je me suis fait chambrer à mon tour. Là, ils ont retrouvé la gagne, ils arrivent équipés, avec de la confiance. Il faudra faire attention à ça, car le Stade français marche énormément à la confiance. Je sais que ce sera un énorme défi, pour nous, ce week-end en conquête.
Quelle est votre cible préférée à Paris ?
Il y en a beaucoup… Ryan Chapuis, je le chambre tous les jours, même quand on ne joue pas l’un contre l’autre. Je ne sais pas s’il va jouer. Même s’il joue, il me dira une connerie. On apprendra les équipes le vendredi.
Sur quoi le taquinez-vous ?
Tout, il n’y a pas que des sujets sur le terrain. Ça reste des amis, on se connaît en dehors du rugby. Grâce à ce sport, j’ai réussi à créer de belles amitiés. Ça fait toujours plaisir de les affronter.
Le vestiaire de Bayonne est-il plus chambreur que celui de Paris ?
Ouf, franchement, les deux sont très chambreurs… À Bayonne, même les jeunes qui montent avec les professionnels sont énormément chambreurs, alors qu’à Paris, les anciens arrivaient à calmer les jeunes. Ici, un jeune qui vient de faire deux matchs peut, d’un coup, aller chambrer Arthur Iturria, le capitaine.
Avez-vous un exemple ?
Oh, Capilla, l’an dernier, avant de jouer, chambrait tout le monde. C’est aussi ce qui fait le charme de cette équipe. On ne se prend pas la tête, tout le monde est au même niveau. Je trouve ça trop bien. Tout le monde se met des pièces, ça fait du bien.
Vous n’êtes pas le dernier à ce jeu-là…
Même si tu n’en mets pas, tu en reçois… J’aime en mettre, j’ai l’habitude d’en prendre et nous avons un vestiaire qui rigole pas mal. Il n’y a pas une journée sans ça.
À Bayonne, qui est votre cible favorite ?
Il y en a un paquet… Iturria en prend beaucoup, Capilla c’est mon top un. Mais bon, je suis aussi le sien. On ne fait que ça. Le matin, on ne s’est même pas encore dit bonjour qu’on se met une pièce. C’est drôle, on en rigole. Il ne faut pas qu’on perde cette joie de vivre.
Le jeu se poursuit même sur les réseaux sociaux…
Oui, mais même entre nous, en interne, des fois, on s’écrit juste pour se mettre une pièce. On ne se dit rien d’autre. On a ce petit jeu avec Esteban, ça fait pas mal de temps. Il y a Tom (Spring) aussi. Ça fait rire le vestiaire et ça nous fait rire aussi. Si on ne s’appréciait pas comme ça, on ne se permettrait pas de se mettre des pièces.
Quid de Nadir Megdoud, qui vous a récemment quitté pour signer à Grenoble ?
Il y a des joueurs, comme ça, qui ont cette bêtise en eux. Avec Nadir, on a perdu un élément qui en avait une belle.
Diriez-vous que votre vestiaire ressemble, finalement, à une grande cour de récréation ?
Oui ! On a beau dire ce qu’on veut, on est quand même des enfants. Nous avons beau être jeunes ou en fin de carrière, on est tous des enfants, heureux de jouer tous ensemble. Ce ballon nous rend un peu plus enfants. Je trouve ça incroyable. On ne perd pas cette énergie, cette bonne attitude, cet humour. C’est quelque chose de beau, qu’il faut garder. Il y a des moments compliqués, d’autres incroyables, mais l’humour fait la force d’une équipe. Si on ne garde pas ça, s’il n’y a plus de sourires dans le vestiaire, ça peut devenir très compliqué. Chez nous, tout se passe très bien et il faut que ça dure.