Gueule de bois et âge : l’idée reçue qui vacille
Vous avez l’impression que les lendemains deviennent plus corsés
avec les années ? Les chiffres et la biologie racontent une
histoire moins linéaire. Des chercheurs, de l’Université d’Utrecht
à des spécialistes français, ont passé au crible ce que l’alcool
fait à nos organismes selon l’âge. Verdict provisoire : la
perception et la physiologie ne vont pas toujours dans le même
sens. Et c’est précisément là que le sujet devient intéressant.
Car une vaste étude et des explications physiologiques se
répondent sans se superposer. D’un côté, les déclarations de
buveurs montrent des écarts surprenants ; de l’autre, le
fonctionnement du foie, du sommeil et de l’hydratation évolue au
fil des décennies. Entre 20 et 70 ans, rien ne reste identique.
Deux caps se profilent.
Étude néerlandaise : qui souffre le plus après une soirée
?
Menée à l’Université d’Utrecht et publiée en 2021 dans la revue
Alcohol and Alcoholism (Alcohol Hangover Across the Lifespan:
Impact Of Sex and Age), l’étude a suivi 761
buveurs âgés de 18 à 94 ans. Sur une échelle de 0
à 10, les 18-35 ans ont rapporté les
gueules de bois les plus sévères, quand les
46-65 ans décrivaient des symptômes environ deux
fois moins intenses à consommation équivalente. Les
hommes disaient souffrir davantage que les femmes
à presque tous les âges, écart qui disparaissait après 66
ans. Les plus âgés se sentaient aussi moins ivres, à dose
comparable.
« Avec l’âge, l’organisme évolue : on prend du poids et donc le
volume d’eau contenu dans notre corps diminue. Or, plus ce volume
diminue, plus l’alcoolémie monte rapidement et fortement », explique
Mickael Naassila, professeur de physiologie et président de la
Société Française d’Alcoologie, à Actu.fr. « Plus on vieillit, plus
on a un pic d’alcoolémie qui augmente », précise Mickael
Naassila.
À partir de quel âge la gueule de bois bascule vraiment ?
Premier tournant autour de 25-30 ans : le pic
d’alcoolémie monte plus haut à quantité identique,
et la sensation d’ivresse peut changer. Certaines études sur les
effets subjectifs vont dans ce sens, comme le rappelle l’expert :
« Des études ont interrogé ces effets subjectifs ressentis, et ont
démontré que plus, on prend de l’âge, plus on a des effets
ressentis forts (même si cette théorie n’est pas partagée par tous
les spécialistes). » En clair, la biologie pousse dans une
direction, quand le ressenti déclaré varie selon les
générations.
Sur le plan mécanique, le foie devient moins performant avec
l’âge. Les enzymes (alcool déshydrogénase et aldéhyde
déshydrogénase) ralentissent, l’acétaldéhyde –
très toxique – persiste davantage. « Avec l »âge, on peut avoir un
foie moins efficace dans la dégradation de l’alcool. Comme
l’alcoolémie est plus forte, le foie à plus de soucis à évacuer
l’acétaldéhyde, la première molécule présente dans l’alcool à être
dégradée. Or cette molécule est très toxique pour les cellules,
donc si on est moins efficace à l’évacuer, les effets sont plus
importants… », souligne Mickael Naassila.
Après 60 ans, que change une gueule de
bois ?
Second cap après 60 ans : le corps contient
moins d’eau, l’alcool agit davantage comme diurétique, la
déshydratation s’installe vite. Chaque verre « pèse » plus lourd,
avec bouche sèche, maux de tête et fatigue qui s’attardent. Le
sommeil, déjà plus léger et fragmenté avec l’âge, est encore plus
perturbé par l’alcool : moins de phases profondes, réveils
précoces, récupération ralentie. Les lendemains se ressentent plus
longtemps.
À ces paramètres s’ajoutent une inflammation de fond plus
fréquente et des traitements médicamenteux susceptibles d’interagir
avec l’alcool. La sévérité ressentie dépend alors d’un faisceau de
facteurs, pas seulement de la dose. « En clair, plus l’alcoolémie
est importante, plus on a des effets importants le lendemain. Et
puis quand on prend de l’âge, on est plus sensible à la
déshydratation, aux problèmes de sommeil, à l’hypoglycémie, aux
effets toxiques de l’alcool en somme », rappelle Mickael Naassila.
L’abus d’alcool est dangereux pour la santé.