Article paru dans 1899 L’Hebdo N.15 en avril 2024.

Débarqué fin février à la tête du plus fada des clubs français, le Montpelliérain de 70 ans, biberonné au ballon rond et à la pétanque depuis sa plus tendre enfance, s’éclate à Marseille. Où son tempérament de sudiste épouse les excès de la cité phocéenne.

Casquette vissée sur le crâne, survêtement bleu et blanc, doudoune sans manches. Jean-Louis Gasset est un sudiste jusqu’au bout de la visière.

« Son kif, c’est de se balader en short et en claquettes, avec sa casquette. C’est comme cela qu’il descend au terrain de boules en bas de chez lui », rigole un proche de l’entraîneur de l’OM. « Il a le look du joueur de boules !, abonde, dans un éclat de rire, René Girard, ex-international et ancien coach, aujourd’hui à la retraite. En même temps, il a le boulodrome à côté de sa maison. Quand tu vas chez lui, tu fais l’apéro, tu manges un morceau et tu sais comment ça va finir : en partie de boules ! On fait les équipes, et ça joue à la pétanque. C’est un filou, Jean-Louis, ce n’est ni un tireur ni un pointeur, il est entre les deux ! », se marre le coach champion de France avec Montpellier en 2012.

Son père Bernard fut cofondateur du MHSC

Entre les deux, mais les pieds tanqués dans cette passion transmise par son père, Bernard, cofondateur du MHSC (le centre d’entraînement porte son nom) avec « Loulou » Nicollin. Un fort en gueule, autodidacte volubile, bouliste émérite et fin connaisseur du football, présenté comme le « patron des gitans ».

Un homme auquel « Louis Nicollin ne pouvait rien refuser, car il savait tout ce qu’il lui devait. Un jour, Bernard a dit à « Loulou » qu’il voulait monter un club de boules pour devenir champion d’Europe. Et il a dit banco. C’était le Team Nicollin Montpellier, qui est devenu champion d’Europe avec des cadors », éclaire un ami de la famille. « Bernard jouait avec des grandes vedettes de la pétanque, des champions comme René Lucchesi (le père de Franck, Ndlr) ou Marco Foyot », rembobine Patrick Cubaynes, ancien attaquant de l’OM (1986-87) et de Montpellier (1987-89), à l’époque où Jean-Louis Gasset était alors l’adjoint de Pierre Mosca.

Du MHSC au TNM, avec la Paillade en toile de fond

Deux univers et un même environnement pour l’entraîneur olympien, biberonné au ballon rond et au bouchon par son paternel. « Il était fort à la pétanque, confirme Jean-Louis Gasset. Le 13 avril, ça faisait 22 ans qu’il est parti, j’ai eu ma mère qui m’a dit qu’elle allait au cimetière, je lui ai répondu que j’allais au Parc Borély. On était de repos, j’ai dit à Ghislain (Printant, son adjoint) : ‘allez, on y va’. J’ai revu les allées, le château où il faisait les parties contre des gens que vous ne connaissez pas, j’avais 14-15 ans, je venais à La Marseillaise chaque année. Moi, je jette une ou deux boules, je m’amuse, mais j’aime la pétanque, j’aime la coinche. »

À Marseille, donc, pas si loin de ses racines et de son triangle intime : Montpellier, où il a tout vécu, Saint-Georges d’Orques, le fief familial où il réside encore, et Nant (dans l’est de l’Aveyron), où sa mère vit quelques mois dans l’année. « C’est la femme de ma vie, j’ai la chance de l’avoir à 93 ans, savoure l’entraîneur de l’OM, qui lui a demandé son accord avant de signer à Marseille. L’amener au Vélodrome ? Non, tu veux que je la tue ? Déjà sur son canapé j’ai peur de la tuer… Elle a vécu dans le football depuis toujours, mon père était le meilleur ami de Nicollin, elle a trempé dedans tout le temps. Quand elle voit ce que je fais, elle dit tout le temps : ‘Il doit être content là-haut' », raconte-t-il, ému.

Peau burinée par le soleil, traits creusés par les années, le septuagénaire, débarqué en Provence pour une mission commando de 4 mois, a beau être un sudiste « dans toute sa splendeur », comme le dit Girard, il a découvert à Marseille une autre galaxie. Un autre monde, lui, pourtant passé par le PSG et l’équipe de France, mais aussi Bordeaux et Saint-Étienne.

Gili : « Il ne laisse pas les choses à moitié faites »

« Là je vois les choses différemment, sûrement parce que mon fils est dans son staff aussi, concède également René Girard. Mais l’OM, c’est grandiose, la caisse de résonance est énorme. C’est un grand club, et pourtant j’en ai vu. Je pense que Jean-Louis était le garçon qu’il fallait. Dans un moment compliqué, quand ça bouillonne tout autour, il ne faut pas en rajouter. Ses prédécesseurs étaient des gens de caractère, mais il fallait ramener du calme. Et dans cette cocotte-minute marseillaise, il était à mon sens le garçon qu’il fallait. Il me rappelle Gérard Gili, et même Michel Hidalgo, des gens posés. »

Jean-Louis Gasset au Petanq' Business tour au domaine de Vallongue à Eygalières, en juillet 2025.Jean-Louis Gasset au Petanq’ Business tour au domaine de Vallongue à Eygalières, en juillet 2025. / Photo Patrick LEPICOUCHE

« Jean-Louis est un passionné de foot, il vit foot 24h sur 24, appuie justement Gérard Gili. On a travaillé deux ans ensemble, on passait des heures entières à refaire les matches, à être perfectionnistes, à trouver les solutions quand on avait des problèmes. En ce moment il en a, et je ne doute pas un seul instant qu’il passe jour et nuit à essayer de trouver des solutions. Il ne laisse pas les choses à moitié faites. Sa motivation est intacte. On a presque le même âge. Qu’il se retrouve à ce niveau-là à cet âge, il faut en profiter tous les jours. À un moment, on forçait les entraîneurs à s’arrêter à 65 ans, puis Raymond Goethals a gagné la Ligue des champions à 73, ça a donné une espérance. Lui, à 70 ans, est sur le terrain, pour un événement majeur. Donc je me dis que quelques fois, les cheveux blancs, c’est l’expérience et pas seulement la vieillesse. »

« J’imagine les supporters quand ils voient le football d’aujourd’hui et ce qu’ils ont connu… »

« Il est calme, mais je l’ai vu s’énerver une fois quand il était entraîneur de la réserve de Montpellier, et il valait mieux s’enlever du milieu ! », se marre Cubaynes. « L’OM, c’est un club où il n’y a jamais de répit, que ce soit aux matches, aux entraînements ou dans la vie de tous les jours, reprend Girard. Quand je croise un Marseillais ou un supporter de l’OM, je lui dis : ‘Vous êtes comme le chiendent, vous poussez partout !’ (rires) Tu ne peux pas aller dans un endroit sans voir un petit avec un maillot de l’OM. C’est une institution ! Quand il a signé, je me suis dit qu’il ne le faisait pas par hasard. Il a senti que c’était une superbe opportunité, qui ne se présente pas deux fois dans une carrière d’entraîneur. C’est mûrement réfléchi de sa part, et il va rendre au centuple ce que l’OM attend de lui », prédit le père de Nicolas, arrivé avec Gasset en tant que préparateur physique. « C’est super, pour Nico, c’est une étape fantastique, et ça me permet de venir au stade ! (rire) J’élargis mon périmètre de jeune retraité, je vais à Montpellier, je viens à Marseille », se réjouit René.

Jean-Louis, lui, « kiffe le moment », selon sa formule consacrée, et n’oublie jamais le passé. « De Montpellier, Marseille, c’est la porte à côté, 1h15 de route, dit l’ancien adjoint de Luis Fernandez et Laurent Blanc, un peu vite (attention les radars). C’est là qu’on venait voir les grands matches. J’imagine les supporters quand ils voient le football d’aujourd’hui et ce qu’ils ont connu, cette nostalgie, je la comprends… L’autre fois, à la soirée des légendes, j’ai vu (Josip) Skoblar, j’étais comme un gamin… Skoblar-Magnusson, c’était du rêve. J’avais eu la chance de connaître Joseph Bonnel, il m’a fait signer à Béziers à 18 ans. Diego Lopez, Yegba Joseph… Ils avaient 35 ans, j’en avais 18. Skoblar, ba-ba-ba (sic) ! La dernière fois, quand il me fait un signe (il lève le pouce) du style « Bon travail ». Putain… Tu sais qui tu es ? (sourire) Il me dit : ‘On fait une photo ?’ ‘Volontiers, je vais l’encadrer !’ Quand je vois tous ces grands joueurs, il y avait Jean-Pierre (Papin), Didier Drogba, Sonny Anderson, waouh ! Ces gens, ils ont connu ça », raconte Gasset, les yeux remplis d’étoiles.Sans manquer d’évoquer sa rencontre avec le Boss.

« J’avais déjà fait Marseille, j’ai connu Bernard Tapie pendant trois semaines et j’en suis le plus heureux du monde. Il a voulu me charmer parce que Gérard Gili lui avait dit du bien de moi. Il m’a appelé et rien que ce coup de téléphone résonne dans ma vie. Puis on a parlé football ici et j’ai compris pourquoi il pouvait en parler », commente l’Héraultais, qui a réussi à hisser l’OM en demi-finale de la Ligue Europa.

Cubaynes : « Quand tu es réglo avec lui, c’est un amour »

« Jean-Louis est un mec comme il n’en existe plus beaucoup. Il mange football, il dort football, il respire football, il vit football, résume René Girard. On s’est connu sur les terrains, on était deux numéros 6, moi à Nîmes, lui à Montpellier… On s’était salué quelques fois, puis on s’est retrouvé dans la vie de tous les jours avec des amis communs, dont Faouzi Mansouri, décédé aujourd’hui, qui a fini de faire le lien entre nous. Un jour pourtant, Jean-Louis m’a dit : ‘Je te détestais sur le terrain…’ (rires) On s’est frictionné quelques fois alors qu’on ne se connaissait pas particulièrement. Mais il y en avait un qui venait d’un côté du Vidourle et l’autre, de l’autre côté, sourit le Gardois, originaire de Vauvert. Les antagonismes se créent sans savoir ni pourquoi ni comment. C’était un joueur de tempérament, il savait ce qu’il voulait et il savait se faire respecter. J’apprécie l’homme, il est simple, un mec à l’ancienne qui bande pour le foot, excusez-moi de l’expression. Il a baigné dans le Sud, avec tout ce que ça comporte. C’est un mec entier et fiable. Il a le jargon des sudistes, cette façon de glisser un petit mot gentil et, aussi, d’allumer. »

« Quand tu es réglo avec lui, c’est un amour. C’est en ça que c’est un vrai mec du Sud. Il te donne tout, mais si tu lui fais une crasse, t’es mort. C’est un super type, s’enthousiasme Patrick Cubaynes. Jean-Louis est un ami. Avant de l’avoir comme entraîneur, on jouait l’un contre l’autre, lui à Montpellier et moi à Nîmes. Il y avait une rivalité sportive, montée en épingle. Bon, ça rentrait un peu plus que d’habitude… Et lui n’était pas le dernier à envoyer les pieds ! Mais c’était un bon joueur aussi, un peu comme Franck Lucchesi, un mec hargneux qui allait au charbon. Il a fait sa petite carrière à Montpellier. Quand il était adjoint, c’était comme notre frère, un type extraordinaire à tous points de vue », se remémore le « Cub » depuis son bastion de Villeneuve-lez-Avignon.

Balle au pied ou boule en main, l’entraîneur de l’OM trimballe encore sa simplicité en toute discrétion. « Si Jean-Louis sous-pèse chaque mot qu’il utilise, c’est en opposition à la figure paternelle, qui avait un langage très fleuri et des manières peu communes », théorise l’ami de la famille Gasset.

Il n’en reste pas moins un homme du Sud.