Un moustique en train de transmettre le paludisme.Considéré comme l’animal le plus meurtrier au monde, le moustique est responsable de près de 730 000 décès chaque année, dont 600 000 suite au paludisme. © Jcomp / Freepik

Chaque année, les moustiques sont responsables de centaines de milliers de morts à travers le monde. Ces petits insectes transmettent de nombreuses maladies, du chikungunya au virus Zika en passant par la dengue et, bien sûr, le paludisme, un fléau sanitaire majeur qui pourrait bien nous concerner un jour, en raison du réchauffement climatique.

Face à la résistance croissante des moustiques aux insecticides classiques, les chercheurs multiplient les pistes innovantes. Parmi elles, une idée audacieuse : transformer le sang humain en poison mortel pour ces insectes.

C’est précisément ce que suggère une étude récente, relayée par plusieurs médias scientifiques et faisant état des travaux de chercheurs suisses, américains et britanniques. Un médicament déjà utilisé pour traiter une maladie rare pourrait rendre le sang humain létal pour les moustiques. Une avancée qui suscite autant d’espoir que d’interrogations.

Une molécule déjà connue : la nitisinone

La découverte repose sur un médicament existant : la nitisinone, prescrit dans le cadre du traitement d’une maladie génétique appelée la tyrosinémie de type 1. Ce traitement, déjà autorisé en France, agit en bloquant une enzyme impliquée dans le métabolisme de certains acides aminés, dont la tyrosine.

Mais cette même enzyme est aussi cruciale pour les moustiques : elle leur permet de digérer le sang humain, riche en protéines. En l’inhibant, la nitisinone provoque chez les moustiques une accumulation toxique de tyrosine, qui entraîne leur mort dans les heures suivant le repas sanguin.

Selon les résultats publiés dans Science Translational Medicine, jusqu’à 97 % des moustiques ayant ingéré le sang de volontaires traités par ce médicament sont morts dans les 24 heures.

Un effet prolongé et sans danger pour l’humain ?

Les chercheurs soulignent un autre atout de la nitisinone : sa persistance dans le sang. Une seule dose administrée aux participants a suffi pour rendre leur sang toxique aux moustiques pendant près de deux semaines.

Du côté des effets sur l’humain, la nitisinone est bien tolérée dans le cadre médical actuel. Mais une utilisation massive, à grande échelle et dans un tout autre objectif (celui de tuer des insectes), soulève des questions d’ordre éthique et sanitaire. Peut-on, doit-on, transformer temporairement la physiologie humaine pour réguler une population de moustiques ?

Une arme potentielle contre le paludisme

Le paludisme a causé près de 620 000 décès en 2021 selon l’OMS, et continue de toucher prioritairement des enfants de moins de 5 ans. Si le moustique meurt avant de pouvoir transmettre le parasite Plasmodium, la chaîne de transmission est brisée.

D’où l’intérêt d’une telle stratégie : il ne s’agit pas de traiter les humains atteints, mais d’éradiquer le vecteur de la maladie. Des campagnes massives de prise de nitisinone pourraient théoriquement faire chuter la population de moustiques et donc les cas de paludisme.

Des simulations informatiques montrent qu’une telle approche, si elle était appliquée dans des zones à forte endémie, pourrait être aussi efficace que les insecticides actuels… tout en évitant les problèmes de résistance.

Sang humain contre moustiques : des limites à ne pas ignorer

Cette stratégie innovante, bien que prometteuse, reste encore expérimentale. Plusieurs obstacles doivent être levés avant d’envisager une mise en œuvre concrète : des essais cliniques supplémentaires sont nécessaires pour évaluer la sécurité d’un usage préventif à grande échelle. En outre, le risque de résistance chez les moustiques, comme cela a été observé avec les insecticides, reste possible.

Autres freins, l’impact environnemental d’une telle approche, qui n’est pas encore connu, et une indispensable acceptation sociale : proposer à des millions de personnes en bonne santé de prendre un médicament dans le but de tuer des moustiques ne va pas de soi.

L’idée de rendre le sang humain toxique pour les moustiques pourrait ainsi révolutionner la lutte contre les maladies vectorielles, en particulier le paludisme. En misant sur un médicament déjà existant, les chercheurs ouvrent une nouvelle voie, à la croisée de la pharmacologie et de la santé publique. Toutefois, la prudence reste de mise : ce concept encore en phase de test doit être encadré par de rigoureuses études avant d’envisager une utilisation à large échelle…

À SAVOIR

La malaria et le paludisme désignent en réalité la même maladie : “malaria” est le terme anglophone, tandis que “paludisme” est son équivalent en français. Tous deux font référence à une infection causée par des parasites du genre Plasmodium, transmis à l’homme par la piqûre de moustiques Anopheles infectés. En français médical, on privilégie le mot paludisme, dérivé du latin palus (marais), en référence aux zones humides où les moustiques prolifèrent. Le terme malaria, plus utilisé dans les pays anglo-saxons, vient de l’italien mal’aria (“mauvais air”), car on pensait autrefois que la maladie était due aux émanations marécageuses. Il n’y a donc pas de différence biologique entre les deux termes, seulement une différence linguistique et culturelle.

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