Déguster un rāmen est un acte de résistance. Dans une Europe où la tradition veut que les maîtres-coqs se retranchent derrière leurs portes battantes, avaler une soupe de nouilles au comptoir d’une cuisine ouverte confère à votre repas une saveur agréablement iconoclaste. Résistance, aussi, face à la tyrannie de nos tablées géantes et de nos agapes à rallonge, inconnues de ces gargotes typiques du Japon où l’on mange le plus souvent en solo et sur le pouce.

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Incarnation de la soul food à la japonaise, le rāmen prouve, s’il le fallait, que le sushi n’incarne plus l’épitomé de la cuisine du Soleil Levant. Avec la floraison de propositions alternatives à Rennes, plus besoin d’aller à Paris pour élargir le champ de l’assiette et savourer okonomiyaki, udon ou tonkatsu. On connaissait Les Sakura (ambiance « comme à la maison ») ou Ima Yoko (où l’okonomiyaki cohabite avec l’assiette d’asperges dans une fusion feutrée). Depuis fin 2024, on assiste à une multiplication de « cantines », sans réservation, qui misent sur une rotation rapide, une carte simplifiée et des prix modérés.

Adieu sushis, bonjour rāmen ?

Norigiri et Hiyoko, tous deux lancés en 2025, mettent le paquet sur les onigiri, ces boulettes de riz entourées d’algues qu’on peut acheter à n’importe quelle sortie de métro japonaise. Le premier sert également du inari (tofu frit), le second une sélection de gâteaux daifuku. De quoi ravir les consommateurs qui veulent découvrir les plats aperçus dans des séries japonaises. Ou retrouver la saveur d’un voyage dans l’Archipel.

350 000 Français ont visité le Japon en 2024, soit une hausse de 116 % en dix ans. L’Hexagone demeure aussi le deuxième marché mondial de manga.

Le rāmen supplantera-t-il le traditionnel sushi ?Le rāmen supplantera-t-il le traditionnel sushi ? (Le Mensuel de Rennes/David Brunet)

Face à des gourmets exigeants, acculturés et attentifs au rapport qualité-prix, chacun tente de tirer son épingle du jeu, en travaillant les papilles autant que « l’immersion » dans un cadre de dépaysement total. C’est sur ce créneau que se sont placé Hanami, Rāmen-ya et Ikimashō. Les trois servent principalement des rāmen avec la promesse d’un goût authentique. Hanami, rue Jules-Simon, convoque l’image d’un festival, avec masques, lanternes et caisses de bière. Plus sobre, Rāmen-ya, rue de la Visitation, nous plonge dans une échoppe de Yokohama où les tranches de porc sont dorées au chalumeau et où les clients sont accueillis par de grands « Irasshaimase ! » (« bienvenue »). Ikimashō revendique quant à lui une position maximaliste en recréant une rue de Tōkyō, bruits du métro compris.

Bouillon de porc cuit pendant 15 heures

Simple gimmick ? Non. Ces enseignes ont à leur tête des patrons qui n’hésitent pas à mettre en avant une formation au Japon comme gage supplémentaire de sincérité. « J’y suis allé avec le chef, Trang Tung, qui est en cuisine ici, et on a suivi la formation d’un maître, explique Li Tong, à la tête de Hanami et du voisin Yummy Sushi. » Son mentor l’a aidé à mettre au point un bouillon « un peu moins gras et salé que ce qu’on trouve au Japon. Ici, la tendance est quand même d’aller vers quelque chose de plus sain, peut-être », confiait-il au Télégramme. Les pâtes sont faites maison à partir de farine locale.

Le marché européen des rāmen a le potentiel d’être au moins multiplié par dix à l’avenir

Idem à Rāmen-ya et Ikimashō, dont le créateur, le Vannetais Anthony Nguyen, raconte les trois semaines de labeur au Japon passées à perfectionner son iekei, « le premier rāmen que j’ai appris, typique de Yokohama », avec un bouillon de porc cuit pendant 15 heures et infusé à la bonite séchée de Concarneau, auquel il a ajouté sa touche perso : un espuma de shiitake. L’homme est un véritable passionné, capable de parler des heures d’unité d’umami dans la concentration du bouillon et de la solution alcaline permettant d’obtenir des nouilles parfaites.

Qu’en pensent les Japonais de Rennes ?

À Rennes, ville jumelée avec Sendai, la petite communauté japonaise commente avec bienveillance l’ouverture de ces lieux qui leur rappellent le goût de là-bas. Nous avons interrogé plusieurs d’entre eux sur ces trois établissements (dont les noms sont ceux qui reviennent souvent) et relevé des avis en version originale sur les réseaux sociaux. Sur le look, les avis sont globalement positifs. À Tōkyō ou Osaka, il n’est d’ailleurs pas rare de voir des sous-sols reconvertis en food court aux allures de venelles vintage.

Côté bol, un petit regret sur la température du bouillon, souvent jugée trop tiède -les Français sont connus pour être des nekojita, (« langues de chat ») qui ne supportent pas de manger brûlant. Or, comme le rappelle justement le gastronome Gorō dans le film culte Tampopo (1985), « le bouillon est l’âme du rāmen ». Ils sont en revanche moins indulgents sur les prix : le rāmen est censé être un plat populaire et bon marché, coûtant moins de 1 000 yens (5,50 €). Or les prix des bols français démarrent à 10-12 € – et plus si on ajoute des toppings tels qu’un œuf mollet mariné.

Le rāmen, vecteur de croissance

Ce qui n’a pas l’air de freiner les clients au pays de la poule au pot. Le rāmen représente un véritable vecteur de croissance pour la nourriture asiatique en Europe, si l’on en croit Seiji Higuchi, de Sapporo Nishiyama, fabricant historique de rāmen. « Nous n’en sommes qu’au début du boum, mais si l’on en croit les tendances américaines, le marché européen des rāmen a le potentiel d’être au moins multiplié par dix à l’avenir », analysait-il en mars dans Japan Business in Germany. Au point de menacer l’hégémonie du sushi, dont la France est le premier consommateur européen. Un sondage Harris Interactive de février 2019 révélait que les soupes étaient les plats asiatiques les plus appréciés de 35 % des répondants, contre 37 % pour le sushi. Qui l’eût cru ?