Pierre Guille a récemment quitté ses fonctions de directeur des événements du quotidien La Marseillaise. Par conséquent, il ne sera plus le chef d’orchestre du Grand Prix cycliste du même nom, lui qui était à la tête de l’organisation depuis 2018. DirectVelo a sollicité l’Aubagnais de 48 ans pour évoquer avec lui cette expérience d’organisateur d’une course cycliste, les difficultés rencontrées, les belles surprises, les souvenirs (très) douloureux, ou encore son inquiétude quant à l’avenir de nombre d’épreuves françaises. Entretien avec celui qui passe désormais la main à Maryan Barthélémy et Marc Poggiale.
DirectVelo : Une grande page s’est tournée pour toi au début du mois lors de ton pot de départ du journal La Marseillaise !
Pierre Guille : C’est une très grande page de ma vie, bien sûr. Je suis rentré au journal en 1995. J’ai commencé avec de la manutention et du ménage puis j’ai rejoint l’accueil du journal au bout de quatre ans, en bossant au standard. Je suis ensuite devenu attaché commercial à la régie publicitaire. Et tout s’est enchaîné.
« C’EST AUSSI DUR QUE C’EST BEAU »
Jusqu’à devenir, près de vingt ans plus tard, le directeur des événements et des partenariats du quotidien. Avec notamment l’événement majeur du Mondial de la pétanque, mais donc aussi ce Grand Prix cycliste longtemps dit d’ouverture…
Organiser une course cycliste, une épreuve UCI, c’est une aventure extraordinaire. Et en même temps, c’est vraiment une course d’obstacles. Bosser avec la préfecture, les villes traversées, gérer au mieux la sécurité, aller chercher l’argent via les partenaires… C’est incroyablement difficile. Je suis inquiet pour l’avenir du cyclisme professionnel en France. Et Dieu sait que j’ai adoré ça, pourtant. Mais c’est une aventure difficile. Pour autant, il y a aussi bien des aspects positifs. C’est une aventure humaine merveilleuse, car il faut beaucoup de monde pour tenir un tel événement. Et forcément, ça fait naître des liens. Du conseil d’administration aux différents collaborateurs, les partenaires, en passant par tous les bénévoles qui s’éclatent, c’est à vivre. C’est aussi dur que c’est beau.
Que penses-tu avoir apporté au Grand Prix La Marseillaise ?
Je ne suis qu’un passeur, car j’ai récupéré une très belle organisation en 2018. Cela étant, pour répondre honnêtement, je dirais qu’il y avait le savoir-faire mais pas le faire savoir. Il n’y avait pas de relais sur les réseaux sociaux, la course ne passait pas à la télévision… On était restés à l’ancien temps. Alors avec mes équipes, on a modestement essayé de rendre l’événement plus moderne. Quand on voit les chiffres, le nombre de personnes touchées lors de la dernière édition, on peut dire que la course a changé, et ça fait plaisir.
« L’UN DE MES SIGNALEURS A PRIS UN COUP DE TÊTE »
Organiser une compétition cycliste avec départ et arrivée dans la deuxième ville de France, lorsque l’on ne s’appelle pas A.S.O, semble presque tenir du miracle par les temps actuels !
Faire ça à Marseille, c’est fou ! Niveau sécurité, c’est un boulot énorme. On prive les gens d’aller sur Cassis tout un après-midi, depuis la Gineste, alors que c’est souvent le premier week-end sympa après Noël et les Rois, où il commence à faire bon. Sans être cliché, et je n’ai pas besoin de préciser à quel point j’aime ma région, on sait que nous ne sommes pas forcément les plus disciplinés dans le coin, ce qui rend la tâche encore plus difficile. L’un de mes signaleurs a pris un coup de tête en assurant la sécurité de l’événement… Ce sont aussi des choses qui marquent.
Un autre événement t’a marqué bien davantage encore, lors de l’édition 2024…
Bien sûr. Yaël Joalland ne le sait peut-être pas mais le hasard de la vie a fait que lors du départ du Grand Prix en 2024, la voiture commissaire avant est partie sans moi. Je me suis retrouvé au milieu du public et il a fallu sauter dans la voiture du médecin pour pouvoir suivre la course. Tout ça pour dire que je me suis retrouvé à porter les premiers secours, à poser des compresses à ce garçon lorsqu’il a été victime de cette terrible chute. Je n’oublierai jamais ce moment. C’était effrayant.
« INQUIET POUR L’AVENIR »
Car tu as eu très peur…
Je le voyais en train de mourir, allongé par terre sur la chaussée, sur notre épreuve… Après la course, j’ai dit aux gars que j’arrêtais. J’ai eu cette image dans la tête pendant quinze jours, où je le voyais nous échapper. Heureusement, tout s’est bien terminé mais j’ai été très marqué. Il y a encore eu une lourde chute au même endroit lors de la dernière édition également et c’est pour ça que la décision a été prise d’arrêter de passer par là en 2026. C’est à contre-cœur car c’est un endroit magnifique et mythique de la course, mais il faut savoir prioriser la sécurité des athlètes. Ces moments-là, tu ne peux pas les oublier, ils sont encrés en toi, comme le visage de “Junior”, mort dans mes bras l’été dernier alors que je m’apprêtais à lui remettre un prix au podium lors d’une compétition de breaking. Il a fait une rupture d’anévrisme. Nous avons aussi perdu l’ami Maurice Vial cet été. Voilà encore un homme qui aura laissé son empreinte à La Marseillaise et qui va nous manquer.
Tu laisses ta place de directeur des événements du journal La Marseillaise à Maryan Barthélémy, tandis que Marc Poggiale devient le nouveau président du Grand Prix cycliste…
Maryan sera en observation sur l’édition 2026, avant de prendre la main l’année suivante. Marc me connait depuis que j’ai 22 ans, il a toujours été un proche de La Marseillaise, ses parents y ont travaillé. Il fait partie de la famille de cœur. Il est à la retraite mais il est encore en pleine forme et va pouvoir apporter son expérience. Je suis certain que les gars vont faire du très bon boulot. Ce ne sera pas facile car je suis inquiet pour l’avenir d’un bon nombre de compétitions. On se l’est souvent dit entre organisateurs, il est de plus en plus difficile d’être à l’équilibre. C’est parfois de la survie. Mais il faut continuer de se battre. Le Grand Prix de Marseille-La Marseillaise est toujours un rendez-vous mythique du début de saison, c’est la rentrée des classes. Et notre fierté.