Découverte à la fin des années 70, l’épave au large de l’île de Jarre est-elle bien celle du Grand Saint-Antoine, vaisseau maudit qui amena la peste à Marseille en 1720 ? Luc Long et son équipe nous racontent leur mission d’octobre 2025, dernier volet de notre trilogie.

1720. Le vaisseau Le Grand Saint-Antoine, voilier trois mats de fabrication hollandaise, accoste sur le port de Marseille, dans le quartier d’Arenc. Il porte à son bord des ballots de coton et des étoffes, destinées à la grande foire gardoise de Beaucaire… mais aussi un équipage qui a vu, à son bord, plusieurs hommes mourir de la peste.

Marseille perd la moitié de sa population

En l’espace de quelques jours la maladie se propage, et explose, partout dans la ville. Le 9 août, on dénombre une centaine de morts par jour (1). Marseille perdra, au total, plus de la moitié de sa population : 48 000 habitants sur 90 000. En Provence, sur 400 000 habitants, un quart décède.
Le bateau, lui, est envoyé en quarantaine à l’île de Jarre, avant d’être brûlé en septembre.
Deux siècles et demi plus tard, en 1978, des restes calcinés sont retrouvés au fond de la Méditerranée, au large de l’île de Jarre. Des vestiges sont remontés de ce qui s’apparente au Grand Saint-Antoine, dont une ancre, imposante, exposée au musée d’histoire de Marseille. Mais les restes de l’épave, eux, sont laissés au fond durant une quarantaine d’années.

« Des amateurs avaient fait des relevés, mais il n’y avait pas eu de fouilles depuis les années 80 », explique Luc Long. L’archéologue-sous-marin, assisté de Michel Goury, historien de la peste et premier fouilleur du site en 1980, obtient l’autorisation de fouiller l’épave du Grand Saint-Antoine. Pourquoi lui, connu davantage pour ses découvertes antiques dans le Rhône (dont le fameux buste attribué à César, à Arles) que pour l’archéologie du XVIIIe ? « J’avais travaillé en Camargue sur des épaves hollandaises, et également sur le Mauritius, épave hollandaise qui avait fait naufrage au large du Gabon, explique Luc Long. Michel Goury m’avait dit que son rêve était de remonter cette épave à Marseille. On a fait une demande de fouille dans le but de prouver qu’il s’agit bien du Grand Saint-Antoine. Le but, dans cette fouille, n’était pas tant de chercher des objets, plutôt des signatures architecturales pour prouver qu’il s’agit bien d’une embarcation hollandaise. »

Les recherches permettent de déceler l’avant et l’arrière du navire. Et la recherche d’indices concernant la « coque première », aux bordés épais, tout comme la construction de type nordique, vont dans le sens d’une origine hollandaise du bateau, qui aurait pu être acheté à Saint-Malo, cité de corsaires. Une modélisation 3D de l’épave a été effectuée grâce aux recherches. Par ailleurs, des échantillons de bois ont été prélevés pour être analysés afin d’étudier les essences, de dater l’abattage d’arbres utilisés. Des objets en céramique ont aussi été retrouvés.

Recherche des molécules relatives au bacille de la peste

L’autre objectif, donné dans la mission, est plus délicat : « On a également cherché une partie des molécules biologiques ARN S16 pour reconstituer la chaîne ADN du bacille de la peste. Il s’agissait de prélèvements relativement stricts associés à quatre mois de travail pour en retrouver la trace. » Des échantillons contenant notamment de la vase ont en effet été prélevés « avec des gants et à l’aide de tube spécifiquement aseptisés par rayon gamma pour éviter toute contamination exogène ».

Ils ont ensuite été analysés par le laboratoire Mercurialis Biotech en relation avec l’INRAE (Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) de Clermont-Ferrand. L’analyse est toujours en cours.
Une nouvelle campagne de fouilles devrait être réalisée prochainement. L’ensemble des trouvailles, si l’épave est bien confirmée comme étant le Grand Saint-Antoine, permettra possiblement de reconstituer une copie du fameux bateau de la peste. Un morceau d’histoire – dramatique – de la cité phocéenne sorti de l’oubli.

(1) Selon l’ouvrage de Charles Carrière, Marcel Coudurié et Ferréol Rebuffat, “Marseille ville morte, la peste de 1720”

Des premiers résultats d’analyse du mortier de réparation retrouvé en fond de cale indiquent qu’il contient des roches typiques d’un contexte Turquie-Mer Egée. Un indice supplémentaire pour confirmer qu’il s’agit bien de l’épave du Grand Saint-Antoine.

Des marins pestiférés à bord

Parti de Marseille, le Grand Saint-Antoine a parcouru une grosse route avant de revenir à son point de départ. Passé par la Syrie, et le Liban, il embarque, sur cet équipage, une quinzaine de Turcs dans l’équipage. « L’un de ces Turcs meurt le lendemain de son embarquement », explique Luc Long. Sur le chemin du retour, huit hommes, dont le chirurgien du bateau, meurent. Comment, alors, le bateau a-t-il pu accoster en plein Marseille ? « Il a pu bénéficier de largesses pour rentrer dans la ville et décharger ses soieries », alors que les passagers du bateau étaient placés en isolement pour seulement quelques jours. L’éloignement du bateau, à l’île de Jarre, et plus encore sa mise à feu, interviendront trop tard.