L’agence scientifique nationale australienne (CSIRO) pensait avoir perdu gros lorsque un de ses robots sous-marins du programme Argo, un flotteur océanique autonome truffé de capteurs de salinité et de température, a cessé d’émettre après avoir été aspiré par un violent courant océanique. Lancé initialement pour scruter le glacier Totten (l’un des plus grands de l’hémisphère Sud, en Antarctique), l’engin a été déporté vers l’ouest, s’enfonçant dans l’une des zones les plus inaccessibles du globe : sous les plateformes de glace Shackleton et Denman, dans l’Antarctique oriental.
Pendant neuf mois, le robot a disparu des radars, incapable de refaire surface pour transmettre ses données aux satellites en raison de l’épaisse couche de glace surplombant l’océan. Mais alors que les chercheurs faisaient déjà le deuil de l’expérience, la valeureuse machine est miraculeusement réapparue 270 jours plus tard. À son bord ? Un trésor de guerre de 195 ensembles de mesures totalement inédits, captés là où aucun humain ni aucun navire n’aurait pu s’aventurer. Toutes ont été compilées dans une étude, publiée le 5 décembre 2025 dans la revue Science Advances, mais ces nouvelles venues du fond de ces eaux glacées ne sont vraiment pas rassurantes.
Le robot qui refusait de mourir
Le véritable exploit n’est pas seulement que le robot ait survécu à neuf mois d’errance dans une eau frôlant le point de congélation, mais qu’il ait réussi à dater ses mesures sans signal GPS. Prisonnier sous des centaines de mètres de glace, le flotteur s’est retrouvé dans l’impossibilité de se localiser par satellite.
Pour reconstituer son trajet, les ingénieurs de la CSIRO ont utilisé une méthode très astucieuse : à chaque fois que le robot tentait de remonter à la surface (tous les 10 jours), il venait buter contre la base de la banquise. En enregistrant précisément la pression lors de ces collisions, l’engin a mesuré la profondeur de la glace par le dessous. Ils on ensuite recoupé ces données avec les cartes altimétriques satellites de la zone, les scientifiques ont pu retracer son itinéraire point par point (voir ci-dessous).
C’est la toute première fois qu’une série de mesures océanographiques aussi longue et précise a été réalisée sous une plateforme de glace en Antarctique de l’Est. Un accident plein d’enseignements, même s’ils ne sont pas tous de bonne augure.
Trajet complet du flotteur. © CSIRO Wen tenHout Shackleton et Denman : pourquoi ces plateformes sont vitales
Pour comprendre l’inquiétude des chercheurs, on peut visualiser les plateformes Antarctique sous lesquelles le flotteur est passé comme les contreforts d’une cathédrale. Contrairement à la banquise, qui est simplement de l’eau de mer gelée, ces plateformes sont les extensions flottantes des glaciers terrestres. Elles s’étendent sur l’océan tout en restant attachées au continent au niveau de leurs « lignes d’ancrage ».
Leur rôle est essentiel : elles exercent une pression inverse, une force de friction qui freine l’écoulement naturel des glaciers vers la mer. Sans ce « bouchon » de glace, les immenses réservoirs glacés stockés sur la terre ferme s’écouleraient librement et beaucoup plus rapidement vers l’océan, entraînant une remontée du niveau des eaux océaniques.
C’est là que les données rapportés par ce petit robot ont de quoi nous alarmer. Si la barrière de Shackleton semble encore intacte, le glacier Denman subit une attaque par le bas ; le robot a détecté que de l’eau chaude s’engouffre sous sa ligne d’ancrage, là où le glacier quitte le sol pour commencer à flotter. En rongeant cette base, l’eau fragilise ainsi le point d’appui du glacier.
Si ce flux continue à l’éroder, l’ancrage du glacier pourrait céder ce qui placerait le Denman parmi les glaciers capables, à eux seuls, de contribuer jusqu’à environ 1,5 mètre à l’élévation globale du niveau des mers (scénario extrême).
Voilà pourquoi la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration) insiste pour que l’Antarctique de l’Est soit bien plus surveillé, étant plus riche en glace que celui de l’Ouest, sur lequel était majoritairement portée l’attention des climatologues et glaciologues. Des mesures qui ne pourront être prises que par des flotilles de ces robots, dont peu nous reviendront en raison des environnements extrêmes dans lesquels ils naviguent. C’est un bien maigre tribut à payer et un tout petit sacrifice en échange de connaissances indispensables à une meilleure compréhension de ces régions polaires que nous avions sous-estimées.
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