Une édition spéciale 50e anniversaire de l’album Le Stéphanois vient de sortir en vinyle. Dans quelle mesure ce disque a-t-il été un tournant dans votre carrière ?
« Je trouve que c’est un album plutôt abouti. Je l’ai enregistré aux Studios Ferber (Paris) qui venaient juste d’ouvrir. Et au début, on n’était pas très nombreux ! Il y avait Christophe, Jean-Michel Jarre… Le Stéphanois contient quelques chansons plutôt originales. Il y avait une chanson sur Saint-Étienne arrangée par Karl-Heinz Schäfer. Et c’est plutôt rare que quelqu’un se définisse en tant que Stéphanois ou Lyonnais ou ce que vous voudrez. Il y a aussi Les Aventures extraordinaires d’un billet de banque, par exemple, que je n’avais pas jouée pendant des années, et que je joue toujours sur scène maintenant. C’était mon deuxième album chez Francis Dreyfus (après Les Poètes en 1972, N.D.L.R.) et après, j’ai signé chez Barclay. »
Il y a aussi cette pochette du disque. On vous reconnaît mais avec la coupe de cheveux de Robert Herbin…
« Je connaissais un peintre, qui était professeur de dessin dans un lycée, et je lui avais demandé s’il pouvait faire une pochette au style pop art parce que je trouvais que c’était assez marrant. C’est peut-être l’une des pochettes les plus originales avec celle d’O Gringo (1980). Mais ça n’a rien à voir avec Robert Herbin. Je n’étais pas roux, mais il se trouve que j’étais coiffé un peu de cette façon. Et le peintre a trouvé des couleurs comme ça. »
« Saint-Étienne est une chanson romantique »
Dans ce disque, vous explorez les thèmes de la recherche de la justice (L’Espagne, La Vérité), l’exotisme (La Samba, San Salvador), la nostalgie (Saint-Étienne), le futurisme dystopique (La Grande Marée). Cet album n’est-il pas celui qui commence à incarner votre style ?
« C’est possible. Il y a des grandes lignes, en tout cas. La Grande Marée était une sorte de politique-fiction. Enfin, finalement, pas vraiment, parce qu’on a largement dépassé ce que je raconte dans cette chanson. À l’époque, ce n’était pas encore le moment où on “plaçait des spermatozoïdes dans des banques”. Et il y a San Salvador, une chanson mystérieuse de voyage faite avec les musiciens de Christophe. Je leur avais proposé de m’accompagner pour essayer de me trouver des sons un peu différents de ce qu’il y a dans le reste de l’album. »
Racontez-nous comment est née la chanson Saint-Étienne (reprise en 2014 sur son album Acoustique, N.D.L.R.)…
« Je ne sais pas d’où m’est venu “On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville”. De toute façon, je pense que c’est vrai, on est plutôt d’une ville que d’un pays. Je n’ai pas pu faire mieux sur Saint-Étienne. Avec les Terrenoire, on raconte une autre histoire (Je Tiens d’elle, 2021). Saint-Étienne, c’était une description de cette ville où il y avait beaucoup de travail à l’époque. C’était une ville extrêmement chaleureuse. J’ai des souvenirs comme ça. Saint-Étienne est une chanson romantique. »
« La ville ne correspond plus du tout au texte »
« On n’est pas d’un pays mais on est d’une ville » : savez-vous que cette citation est inscrite sur les murs de la brasserie Geoffroy-Guichard ?
« Oui, j’ai vu ça et ça m’a fait vraiment plaisir. C’est une phrase simple, mais qui contient beaucoup de choses plus profondes que ça. Pour le reste, la ville ne correspond plus du tout au texte. Il y a beaucoup moins d’ouvriers qu’avant. Il n’y a plus de familles d’ouvriers. Il y avait de la solidarité et le travail était considéré comme quelque chose de très important à l’époque. Il y avait une sorte de respect. »
Vous n’aviez que 28 ans quand vous avez sorti ce disque. Léo Ferré, Georges Moustaki et Jacques Higelin étaient vos sources d’inspiration…
« J’ai rencontré Jacques Higelin un peu après cet album. Mais évidemment, il y avait les gens comme Léo Ferré, Georges Brassens ou Jim Morrison. J’étais aussi très impressionné par 1984 de George Orwell. Je lis toujours énormément. J’emporte toujours des livres avec moi. Mes valises sont super lourdes, tout le monde me demande pourquoi je n’ai pas de liseuse, mais j’aime bien tourner les pages (rires). »
« Dans les chansons, je transforme le réel parfois, comme n’importe quel écrivain »
Il y a aussi, dans cet album, le côté réaliste du Buffet de la gare de Metz, où vous mélangez le réel et une vision poétique. Quelle est la part de réel et de conte dans vos récits ?
« C’est un peu comme les peintres, ils ne prennent pas vraiment leur sujet. Quand je fais Le Buffet de la gare de Metz, où j’allais régulièrement le soir, très tard, parce que je chantais dans la région, c’était un peu apocalyptique, comme je le décris, malgré tout. Alors, évidemment, la poésie qu’il y a dans le texte lui donne une autre gueule. Je transforme le réel parfois, comme n’importe quel écrivain. On peut l’assécher, l’améliorer, le rendre plus noir… C’est une question de lumière. Mais dans ces chansons-là, je parle du réel quand même. »
On a retrouvé dans nos archives des articles relatant quelques-uns de vos premiers concerts à Saint-Étienne en 1966. Notre journaliste parle de chansons qui s’appellent Au Whisky Club, Sacré Prolo ou encore Le Petit Chat de la Mémère. Vous n’avez jamais voulu enregistrer ces titres ?
« Non, je ne me souviens pas de ces chansons (rires). Parce que du temps a passé. Je ne sais plus du tout ce qu’était le Whisky Club. Il y avait peut-être une boîte qui s’appelait comme ça à Saint-Étienne ? »
Les étés corses du chanteur avec les Éclaireurs de France de Saint-Étienne
Il y a quelques semaines, le Ligérien Patrick Valour nous avait écrit pour nous parler des Éclaireurs de France de Saint-Étienne dont il avait consulté les archives. L’ancien responsable de camp aux « circuits corses » avait retrouvé plusieurs mentions de Bernard Lavilliers (sous le nom de “Bernard Oulion”) : « Il a été embauché comme terrassier et aide-maçon du 1ᵉʳ août au 2 septembre 1964 pour le camp de Tattone, situé vers le col de Vizzavona, près de la commune de Vivario. Du 2 au 29 août 1965, il a été embauché comme animateur dans le camp de Porto. Le responsable du camp avait fait un rapport élogieux : “Très bien. A monté d’agréables soirées et, de plus, a fait le journal quotidien avec humour !” ».
Toujours membre du mouvement de scoutisme laïque, Patrick Valour nous apprend que Bernard Lavilliers avait été à nouveau embauché durant l’été 1966 comme animateur dans le même camp. Nous avons demandé au chanteur s’il se souvenait de ces étés passés sur l’Île de Beauté : « Je me rappelle des Éclaireurs, absolument. En Corse, j’ai dû jouer de la guitare et je n’étais, sans doute, pas encore très bon. J’ai dû faire de l’animation et une sorte de mini-spectacle. Je me souviens avoir aussi été embauché par une boîte de nuit qui s’appelait “la Dolce Notte” à Porto (Corse-du-Sud). »