Par

Léa Pippinato

Publié le

30 déc. 2025 à 6h12

Née à Montpellier, passée par l’école élémentaire Auguste Comte, Monique a longtemps été institutrice puis directrice. Les classes de CP, les dictées, les fêtes de fin d’année, elle les a vécues jusqu’à la retraite. Le jour où elle a quitté l’école, un vide a surgi. Plus de voix d’enfants, plus de collègues, plus d’agenda plein. « On passe de tout à rien, d’un coup. » Elle refuse cette sensation d’inutilité et cherche où servir encore. Le Secours populaire s’impose : c’était il y a trois décennies.

Le quartier ne lui a pas été proposé comme un choix de confort, mais comme une évidence : le Petit Bard, quartier prioritaire situé à l’ouest de Montpellier, avait besoin de bras et d’écoute. Elle n’est plus jamais partie de cet ancien local. Aujourd’hui, ce lieu accueille 33 à 34 enfants par trimestre. CP, CE1, collégiens, tous viennent après l’école. Certains pour demander de l’aide, d’autres simplement pour poser leur sac dans un endroit silencieux que leur appartement ne permet pas. « Ils n’ont pas de F6, certains dorment à trois dans une chambre. » Dans cette salle modeste, cinq bénévoles encadrent deux soirs par semaine. Pas de tableau numérique, mais des feuilles volantes, des stylos mordillés, un Monopoly usé. Chaque enfant s’installe, parfois sans demander un mot : juste le besoin d’une table stable.

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Des visages qui reviennent

En trente ans, Monique a vu défiler des familles entières. Quatre enfants de la même fratrie parfois. Certains sont arrivés en CP, repartis avec un brevet ou un bac, sont revenus adultes, parents à leur tour. Un exemple la touche : un jeune, aujourd’hui âgé de 34 ans, qui a fait du théâtre avec eux quand il avait 12 ans. Il continue d’accompagner les adolescents aux représentations, de monter les décors, de prendre des photos.

Le tournant majeur, c’est l’arrivée du théâtre. Il y a 22 ans, Stéphanie Rondot, comédienne de la compagnie Intermezzo, cherche des enfants pour monter une pièce. Monique ouvre la porte. Depuis, deux groupes existent : « La parole aux enfants du Petit Bard » pour les plus jeunes, « La Compagnie de l’Esquive » pour les ados — nom choisi par eux, inspiré d’un film sur les banlieues. Chaque année, ils montent un spectacle, réalisent les décors, apprennent des textes, cousent parfois avec l’aide d’une costumière, Emanuela, marionnettiste de profession.

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Certaines pièces restent gravées. « À qui la France », une suite de petites scènes sur le quotidien dans les quartiers populaires. Écrite par les enfants eux-mêmes. Ils y parlaient de voisinage, de papiers administratifs, de racisme ordinaire, de rêves. Ils ont remporté le prix des Talents de l’Avenir cette année-là. Puis « Le jeune prince et la vérité » de Jean-Claude Carrière. L’auteur, originaire de la région, assiste à la représentation. Une phrase habite encore Monique : « Si tu rencontres quelqu’un qui affirme connaître la vérité, fuis-le. Suis celui qui dit la chercher. »

Des vacances pour ceux qui ne partent jamais

L’ancienne institutrice ne se contente pas du local. Elle siège au conseil départemental du Secours populaire, participe à la commission vacances. Chaque été, des familles volontaires accueillent des enfants quatorze jours. Avant cela, l’équipe fait le tour des maisons : on vérifie la chambre, la sécurité, l’envie réelle d’accueillir. Cette année, une vingtaine d’enfants sont partis. Certains dans l’Hérault, d’autres dans les Yvelines ou près de Bordeaux. Et parfois naissent des histoires longues : un petit garçon accueilli à 9 ans a gardé le contact, est revenu chaque été, a même fait son stage de 3e dans l’entreprise du père d’accueil. « Quand une famille nous dit qu’elle veut reprendre le même enfant l’année suivante, c’est qu’on a tout gagné. »

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Autre engagement : la commission culture. Pour Monique, la solidarité ne se limite pas à donner à manger. « La culture aussi est une urgence : ça ouvre des fenêtres. » Avec d’autres bénévoles, elle organise des sorties à l’Opéra de Montpellier, des visites au musée Fabre, des répétitions générales de l’Orchestre national. Les « accueillis » s’habillent parfois avec leurs plus beaux vêtements pour entrer dans ces lieux où ils n’auraient jamais imaginé aller.

Enseigner encore, autrement

L’équipe du Petit Bard compte cinq personnes. Stable, soudée. Chacun vient selon ses disponibilités. L’une ne peut venir qu’un jour par semaine, un étudiant passe quand il peut. Pas de protocole : juste un mot d’ordre, « il faut que la porte soit ouverte ». Monique s’occupe surtout des plus petits, du CP au CE2. Ses fiches plastifiées sont rangées dans une pochette cartonnée. Les prénoms sont écrits au stylo bleu sur une feuille accrochée au mur. Les autres bénévoles prennent les collégiens, les exercices de physique ou d’anglais. Pas besoin d’être professeur pour rejoindre l’équipe, assure-t-elle. « Il faut des bases, de la patience, de la bienveillance. Pas de diplôme obligatoire. » Souvent, elle dit aux bénévoles débutants : « Installez-vous. Si ça vous plaît, vous resterez. »

La petite salle du local associatif, aménagée pour accueillir les enfants après l’école.
La petite salle du local associatif, aménagée pour accueillir les enfants après l’école. (©Métropolitain / LP)

Monique refuse l’image de la bénévole héroïque qui se sacrifie. Elle reconnaît que ce bénévolat lui apporte autant qu’aux enfants. « On est attendus quelque part. C’est précieux quand on ne travaille plus. » Elle est aussi musicienne, violoniste. « La musique, c’est pour soi. Le Secours populaire, c’est pour les autres. Les deux m’équilibrent. »

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