Il aura donc attendu sa cinquième saison dans les rangs professionnels pour ouvrir son compteur personnel. Le week-end dernier, Nicolas Prodhomme a remporté la cinquième et dernière étape du Tour des Alpes (2.Pro). Un moment inoubliable qu’il a partagé avec son tout jeune coéquipier Paul Seixas, qui avait pris un peu plus tôt la décision de laisser la victoire à son aîné tout en admettant que ce dernier était de toute façon au moins aussi fort que lui dans la dernière ascension et ses pentes maximales à 12%. Équipier modèle au sein de la formation Decathlon AG2R La Mondiale depuis son passage dans l’Élite, Nicolas Prodhomme se voit enfin récompensé de son habituel travail de l’ombre et de sa très belle semaine dans les Alpes. L’athlète de 28 ans est revenu sur ce succès auprès de DirectVelo, avec un peu de recul. Entretien.
DirectVelo : Tu viens de vivre un très grand moment dans ta vie de coureur !
Nicolas Prodhomme : C’est ma première victoire chez les pros, c’est sûr que ça restera gravé dans ma tête toute ma vie. En plus, on réalise le doublé et c’est quand même rare d’arriver à deux de cette façon-là. C’était exceptionnel, tout simplement ! Le reste de la semaine avait déjà été très beau et là, c’était un moment inoubliable le dernier jour.

Toute la semaine, Paul Seixas n’a cessé de répéter que vous alliez finir par remporter une étape, que c’était l’objectif, et vous l’avez fait le dernier jour…
On avait deux gros objectifs : gagner une étape et faire un bon général avec également Félix Gall. On avait la meilleure équipe, la plus homogène, pour faire la course dans les ascensions difficiles. On voulait profiter de notre supériorité numérique dans les moments clefs pour en claquer une. Pour le général, (Michael) Storer était au-dessus de tout le monde, clairement. Mais on savait qu’il y avait un coup à faire le dernier jour alors on a tenté notre chance à fond. De là à dire qu’on allait réaliser le doublé, c’était dur à imaginer.

« PAUL A ÉTÉ SINCÈRE DANS SA RÉACTION »

Quand as-tu réalisé que tu étais en mesure de décrocher ta première victoire chez les pros ?
Dès que j’ai pris l’échappée, en réalité, donc assez tôt dans l’étape (sourire). Je sais que ça peut sembler précoce ou ambitieux dit comme ça mais j’y croyais vraiment. J’étais dans une superbe condition toute la semaine, hormis le premier jour car j’avais besoin de remettre en route après un gros mois sans compétition (depuis Tirreno-Adriatico, NDLR). Le cœur était monté vite sur la première étape, c’était poussif. Mais ensuite, j’ai toujours été super bien. Quand j’ai vu la composition de l’échappée, j’ai su qu’on pouvait aller au bout et je me suis dit que Paul et moi étions les meilleurs grimpeurs du groupe, même si je me méfiais des qualités de descendeur et de rouleur d’Emil Herzog et de l’expérience de Jakob Fuglsang. J’étais persuadé de pouvoir gagner mais il ne fallait pas commettre d’erreurs. On voulait arriver au pied de la dernière montée avec une échappée groupée et ensuite, on a fait la différence en deux temps dans l’ascension.

Paul a déclaré après coup que tu étais plus fort que lui dans cette dernière montée !
Il m’a dit “pas plus vite” à un moment donné mais c’est tout. En réalité, j’étais moi aussi à fond. Peut-être que j’aurais pu le lâcher mais ça n’avait évidemment aucun intérêt. C’est mon coéquipier, on devait unir nos forces et s’éviter le retour d’Emil Herzog dans la descente. Je voulais vraiment que l’on bascule avec une marge de sécurité alors il ne fallait pas temporiser dans la montée mais arriver ensemble, tous les deux, c’est tellement plus beau !

Dans ces cas-là, lorsque deux coéquipiers arrivent main dans la main, on se demande toujours comment a été prise la décision de savoir qui allait l’emporter. Or, à peine descendu de machine, Paul Seixas a été interviewé par nos confrères de L’Equipe et à chaud, il a livré une confidence : l’équipe souhaitait que ce soit lui qui l’emporte mais il a préféré te laisser la victoire. Peux-tu nous en dire plus ?
Paul a été sincère dans sa réaction d’après-course, on ne peut pas lui en vouloir. Il est très jeune, il découvre le métier. Malheureusement, le titre dans la presse a été très accrocheur et ça piquait un peu les yeux. Ce n’était pas forcément ce que l’on voulait retenir de la journée. Ce qu’il s’est passé, c’est qu’une décision a en effet été prise. Je le comprends car il se peut que parfois, deux coureurs ne se mettent pas d’accord et dans ces cas-là, ça peut être au staff de trancher. La consigne est arrivée dans nos oreillettes mais Paul s’y est opposé tout de suite. Il a dit : « Non, non, c’est bon, on s’est mis d’accord avec Nico, c’est pour lui ». Il s’est dit que je le méritais au vu du boulot réalisé toute la semaine. Il a aussi vu ce que j’ai fait l’an passé au Championnat de France pour Paul Lapeira ou au Tour de Romandie pour Dorian Godon. On s’entend très bien, c’est un super gars et j’ai été très touché de son comportement. C’est un garçon très intelligent. Ce geste va encore le grandir et en plus, ça le rend encore plus sympathique et apprécié du public. Il n’y avait qu’à lire les réactions sur les réseaux sociaux. 

« JE NE LE VIVAIS PAS MAL »

Quel était ton sentiment à chaud, et désormais avec un peu de recul ? Tu as vu ton jeune coéquipier, sans doute amené à devenir à terme le grand leader de l’équipe, te faire ce cadeau mais inversément, “au-dessus”, on ne comptait pas te laisser la victoire…
Ce qu’il faut retenir, c’est cette image de Paul et moi sur la ligne, le bonheur sur nos visages puis la façon dont on s’est pris dans les bras après la ligne. C’était un moment d’une grande sincérité. Pour le reste, il n’y a aucun problème. Encore une fois, il fallait prendre une décision, je la respecte et la comprend. J’ai demandé une explication après coup, malgré tout, pour savoir le pourquoi du comment exactement, et il y avait bien sûr des arguments pour laisser la victoire à Paul. Toujours est-il que j’ai gagné et ouvert mon compteur chez les pros. Je le répète, c’est exceptionnel et c’est ce qu’il faut retenir. 

Craignais-tu que cette victoire n’arrive peut-être jamais ?
Beaucoup attendent un premier succès chez les pros pendant très longtemps. Pour ma part, je ne le vivais pas mal. Dans l’équipe, on y croyait. Certains membres du staff m’ont dit aux stages de pré-saison que c’était la bonne année, que j’allais le faire. L’année dernière, j’ai pris beaucoup de plaisir à faire gagner les autres, c’est autant de bonheur que de gagner soi-même, à vrai dire. J’étais aussi heureux du titre de Paul Lapeira au Championnat de France et des étapes de Dorian Godon en Romandie après avoir été le dernier à le lancer que de cette victoire au Tour des Alpes. La différence, c’est que cette fois, c’est mon nom qui est inscrit tout en haut du classement. Plus les jours passent, plus je réalise ce qu’il vient de se passer. Pour répondre plus précisément à la question, je n’avais pas vraiment loupé d’opportunités de gagner jusqu’à présent, c’est simplement que je n’avais pas l’occasion de le faire, mais je savais que c’était possible, un jour ou l’autre. J’avais un boulot d’équipier à faire et c’est normal. L’an passé, j’ai toujours épaulé les leaders, en étant régulièrement le dernier à accompagner le leader en montagne, par exemple. Là, j’ai saisi ma chance et je me dis qu’il est possible de le faire. Je vais y penser de plus en plus, forcément, d’autant que je sens que je continue de passer un cap physiquement.

Imagines-tu avoir à nouveau ta chance dans les prochaines semaines, les prochains mois ?
Oui, c’est prévu. Le prochain gros objectif sera le Tour d’Italie et avec l’effectif aligné là-bas par l’équipe autour d’un sprinteur (Sam Bennett, NDLR), je sais que j’aurai beaucoup d’opportunités, je pourrai jouer ma carte personnelle sur les étapes qui me correspondent. C’est vraiment cool, j’ai hâte d’y être. Maintenant que j’ai gagné, je vais pouvoir courir de façon plus libérée et ça ne peut être que bénéfique. Bon, à l’inverse, je serai peut-être un peu plus surveillé également (sourire) mais il faudra faire avec.