Elles nous ont été enseignées par nos grands-mères, sont serinées par la presse, parfois relayées par des «thérapeutes» plus ou moins sérieux. Zoom sur quelques fausses idées qui nuisent à l’équilibre alimentaire.

«Ces fausses évidences (…), je les entends chaque jour», explique le nutritionniste Anthony Berthoux dans son nouvel ouvrage Remettez du bon sens dans votre assiette (Actes Sud). Entre régimes miracles et lobbying de l’agroalimentaire, les graissessucresprotéines ou micronutriments divers envahissent le discours médiatique qui porte «des contradictions nutritionnelles constantes», constate-t-il. Comment bien manger ? Si la science est «en pleine effervescence» et apporte des réponses passionnantes, ces recommandations sont parfois difficiles à suivre. Pourtant, insiste Anthony Berthou, «l’alimentation est l’un des leviers les plus puissants  dont nous disposons pour prendre soin de notre santé» (1 décès sur 5 dans le monde serait lié à une mauvaise alimentation), et elle mérite de ne pas être réduite «aux images d’Épinal et aux clichés qui font “vendre”.» Le nutritionniste démine ainsi une quarantaine de préjugés. Florilège.

Le gluten, ennemi à abattre ?

Le gluten est présent dans le blé, l’orge, le seigle, l’avoine… Ou plus exactement, il se forme à partir de deux types de protéines présentes dans les graines lorsque la farine est mélangée à l’eau. Et il est au cœur du secret d’un bon pain moelleux et aéré. Cela n’a évidemment pas échappé aux industriels de l’agroalimentaire, qui mettent du gluten un peu partout, y compris dans des soupes ou du saucisson !

Le problème ? Les prolamines résistent en partie à nos enzymes digestives et, une fois dans l’intestin, peuvent entraîner une réponse immunitaire excessive. C’est ce que l’on appelle la «maladie cœliaque», qui concerne 1 à 2% de la population française et impose une véritable éviction. Il existe aussi une «hypersensibilité non cœliaque au gluten», plus fréquente, mais moins bien définie. Elle pourrait même n’avoir pas grand-chose à voir avec le gluten mais avec d’autres composés de ces aliments, voir avec un effet nocebo (les patients sont tellement convaincus que leurs troubles sont liés au gluten, qu’ils sont soulagés quand ils l’évincent ou croient l’évincer).

Que faire en pratique ? Anthony Berthoux conseille avant tout «de réduire votre exposition au blé moderne» et «les aliments à base de froment», en favorisant une «consommation modérée de blés anciens comme le petit épeautre ou l’amidonnier, le pain au pur levain». Réduire, cela ne veut pas dire supprimer : si vous aimez le pain blanc, les crêpes et les gâteaux, il n’y a aucune raison de les éliminer, car le plaisir est un élément essentiel de l’équilibre alimentaire ! En revanche, si vous avez des symptômes importants et qu’ils disparaissent au bout de quelques semaines d’éviction, la consultation d’un professionnel de santé s’impose.

Faut-il se méfier des œufs ?

C’est «la question qui m’a été le plus posée en conférence», indique Anthony Berthou. Riches en cholestérol, les œufs devraient susciter notre méfiance et nous ne devrions pas en manger plus de 3 par semaine. Vraiment ? L’œuf est pourtant un produit formidable : facile à stocker, plus écologique à produire et moins cher que la viande, il peut aussi être agrémenté à toutes les sauces et s’avère présent dans un nombre infini de recettes. Il est en plus riche en protéines de bonne qualité et en nutriments essentiels (vitamine A, vitamine B12, oméga 3 selon ce que les poules ont picoré…). Mais quid du cholestérol ? D’abord, rappelle Anthony Berthou, l’immense majorité de celui que mesure une prise de sang est fabriquée par votre propre organisme, et celui que vous mangez n’a en réalité qu’une faible incidence sur le taux mesuré. Quant aux œufs, «la consommation quotidienne d’un à deux par jour n’est pas associée à une augmentation du risque cardio-vasculaire», affirme le nutritionniste, études et méta-analyses à l’appui.

En clair : sauf pathologie très particulière (hypercholestérolémie familiale) ou difficulté à les digérer, n’hésitez pas à consommer des œufs, en les choisissant de qualité et en les préférant «à la coque ou mollets», le jaune coulant préservant mieux ses qualités et étant plus facile à digérer, indique l’expert.

Les galettes de riz, un en-cas idéal ?

«Les galettes de riz, c’est léger, donc c’est bon pour mon régime», pensent certains amateurs de goûter. Gardons un silence pudique sur leur saveur – le goût est après tout une affaire personnelle. Quant à leur prétendue légèreté, signalons que le pop-corn (cuit sans huile) contient à peu près autant de calories, sans pour autant être vanté comme aliment régime.

Leur composition peut-elle sauver les galettes de riz soufflé ? Elles sont réputées riches en amidon, donc en sucres «lents» dont la composition complexe demande un temps de digestion important, assurant en théorie une diffusion «lente» dans l’organisme. Cela pourrait être vrai «si l’industrie agroalimentaire ne s’en était pas mêlée», glisse Anthony Berthou. Car leur mode de fabrication (une cuisson à haute température sous pression), qui rend la digestion de leur amidon bien plus rapide, entraîne une hyperglycémie lors de la consommation, suivie d’une hypoglycémie réactionnelle. Associez-y un manque d’activité physique, un sommeil pas optimal et l’exposition à d’autres contaminants, et «vous augmentez fortement votre risque de stocker du gras», et de certaines maladies chroniques associées.

Le sucre roux, meilleur pour la santé ?

On nous le répète à longueur de colonnes et de campagnes de santé publique, nous mangeons trop de sucre. La solution ? Le sucre roux, vantent certains, soi-disant plus naturel, plus riche en minéraux, bref moins mauvais que le diabolique sucre blanc. La réalité ? La différence de richesse en minéraux est en moyenne «de 0,05%, soit, rapporté à un morceau de sucre, environ 0,001 g», précise Anthony Berthou. Pas de quoi avoir le moindre impact… Bref, sucre roux ou blanc, c’est à votre guise, mais le nutritionniste conseille plutôt de se déshabituer de la saveur sucrée (et les édulcorants ne sont malheureusement pas une solution) et de miser sur d’autres produits sucrants qui ont, chacun, leurs qualités et leurs défauts. Son préféré ? Le miel, qui reste malgré tout «à consommer avec modération».

Un verre de vin rouge pour protéger son cœur ?

C’est le «french paradox», abondamment relayé par les alcooliers : les Français et particulièrement ceux du sud-ouest, bons mangeurs et bons buveurs, présenteraient une étonnante santé cardiovasculaire, qu’ils attribuent à la consommation modérée de vin rouge, riche en polyphénol aux vertus antioxydantes (et en particulier le resvératrol).

De nombreuses études ont pourtant montré que le paradoxe français pourrait n’être qu’une illusion statistique. Et si les abstinents totaux ont dans les études épidémiologiques plutôt une moins bonne santé que ceux s’autorisant un verre d’alcool de temps à autre, cela s’explique largement par le fait qu’ils ne boivent pas… justement parce qu’ils ont des problèmes de santé qui le leur interdisent ! Voire qu’ils sont devenus abstinents après une consommation excessive.

Quant au miraculeux resvératrol, des études ont certes montré ses mérites mais il faudrait pour en bénéficier en consommer au moins 1 g par jour, soit la quantité contenue dans 505 à 2762 litres de pinot noir (cépage français le plus riche en cette molécule), et au moins 5 litres pour atteindre les doses les plus faibles ayant montré une efficacité. «Inutile de préciser que vous subiriez les effets néfastes de l’alcool bien avant de ressentir les bienfaits du resvératrol», glisse Anthony Berthou.

Conclusion ? Aucune consommation d’alcool n’est bénéfique pour la santé. Celle-ci n’apporte aucun bienfait et n’est en rien nécessaire. Cela n’empêche pas de se faire plaisir si l’on aime ça, tant que l’on respecte les repères de consommation à moindre risque : maximum dix verres par semaine, pas plus de deux verres par jour, et au moins deux jours sans alcool.

Les compléments alimentaires, des alliés indispensables ?

Vitamines, minéraux, oligo-éléments, oméga 3, collagène… S’ils n’apportent pas de calories, les micronutriments sont indispensables au fonctionnement de notre organisme. Mais comme la teneur des aliments en micronutriments est éminemment variable, l’homme moderne a trouvé la parade : les compléments alimentaires. Oui mais ces derniers coûtent très cher, sont d’une qualité inégale, sont parfois consommés à l’excès et n’apportent de toute façon pas les mêmes bienfaits que lorsqu’ils proviennent de notre alimentation… Bref, additionner les compléments alimentaires, «c’est comme si nous empilions des dizaines de planches de bois les unes sur les autres en espérant reconstituer un magnifique chêne».

Sauf conseil spécifique d’un professionnel de santé (et les naturopathes n’en sont pas !) ou régime particulier, mieux vaut donc vous en passer. D’autant qu’ils peuvent comporter des risques, alertent les experts, comme tout récemment l’Agence des Nations Unies pour l’agriculture et l’alimentation. Surdosage, qualité discutable, interactions médicamenteuses, atteintes d’organes, notamment hépatiques : êtes-vous bien certains de vouloir prendre le risque ?