L’incident est aussi rare que symbolique. Grey, Orange on Maroon, No. 8, une des œuvres du peintre américain Mark Rothko, a été temporairement retirée d’exposition après avoir été…accidentellement griffée par un enfant dans un musée. L’épisode, survenu dans le dépôt accessible du musée Boijmans Van Beuningen, a provoqué autant de consternation que de prudence médiatique.
Le tableau n’est pas ce qu’on pourrait appeler un croquis de maternelle : estimée entre 40 et 50 millions, cette toile monumentale de 1960 tout en champs de couleurs vibrants est considérée comme un joyau de l’abstraction américaine. Sa surface, comme beaucoup d’œuvres du maître de l’expressionnisme abstrait, n’est pas vernie, rendant chaque contact humain aussi indésirable que visible. Résultat : une série de griffures superficielles dans la partie inférieure du tableau causées par le simple effleurement de la main d’un enfant. Un accident que le musée qualifie pudiquement de « moment non surveillé ».
Une facture de plus de 230 000 euros
Le musée a confirmé avoir identifié l’enfant et ses parents, mais n’a pas rendu leurs noms publics. Il n’a pas non plus précisé s’ils devront prendre en charge les frais de restauration. Une chose est sûre, la restauration d’un tableau de Mark Rothko n’est pas chose facile. Peintures non vernies, mélanges de pigments et résines complexes, superpositions d’une précision millimétrée… les œuvres du peintre sont difficiles à réparer sans altérer leur vibration originelle. Il faut donc attendre les diagnostics croisés d’experts nationaux et internationaux pour évaluer les dégâts et potentiellement le coût d’une remise en état.
Le Boijmans Van Beuningen se veut rassurant : « L’œuvre pourra être présentée à nouveau dans le futur. » Reste à savoir quand : il aura fallu 18 mois pour restaurer un autre Rothko vandalisé à la Tate Modern en 2012 – et une facture de plus de 230 000 euros. Là-bas, ce n’était pas un enfant mais un activiste russe qui avait inscrit un slogan directement sur la toile. Cette fois, l’intention était moins politique qu’impulsive.
Susciter l’éveil artistique dès le plus jeune âge
L’affaire ravive un vieux dilemme pour les institutions culturelles. Comment concilier accessibilité, surtout pour les plus jeunes, avec la sécurité des œuvres ? Les musées adorent accueillir les familles et susciter l’éveil artistique dès le plus jeune âge. Mais les enfants (charmants au demeurant) ont parfois un peu de mal à intégrer la distance réglementaire entre eux et un tableau à plusieurs millions d’euros.
L’incident pose aussi question sur les choix muséographiques. L’œuvre était exposée dans le « dépôt », comme le présente le musée sur instagram, un espace pensé pour montrer les collections habituellement conservées en réserve. Une démarche saluée pour sa transparence, mais qui implique de nouveaux enjeux sécuritaires. Il fait désormais office de précédent comme l’a souligné Jonny Helm, responsable marketing du service de restauration d’œuvres d’art Plowden & Smith, declarant que l’incident avait des implications pour les institutions britanniques qui envisagent « d’ouvrir l’exposition de choses qui seraient autrement cachées dans les archives ».
En attendant le retour du tableau dans les salles, aucune image des dégâts n’a été diffusée. Le musée ayant opté pour la discrétion totale en attendant les rapports d’expertise de son assureur.