AboDécision controversée –
Sur l’UE, le Conseil fédéral a-t-il peur du peuple?
Le gouvernement refuse de soumettre l’important paquet d’accords avec l’UE au référendum obligatoire. Il s’en explique. Les opposants crient au scandale.
Publié aujourd’hui à 18h31
«C’est la solution la plus solide et cohérente», estime le conseiller fédéral Ignazio Cassis. (KEYSTONE/Anthony Anex)
keystone-sda.ch
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- Le Conseil fédéral renonce au vote obligatoire pour l’accord UE-Suisse.
- L’UDC dénonce une attaque contre la démocratie directe suisse.
- Le paquet d’accords sera divisé en quatre volets distincts.
- La votation populaire n’interviendra pas avant l’année 2028.
Grosse prise de risque du Conseil fédéral. Mercredi il a décidé de ne pas soumettre le paquet d’accords négocié avec l’Union européenne (UE) au vote obligatoire du peuple et des cantons. Il estime qu’un simple référendum facultatif suffit alors même que la portée des accords, incluant la reprise dynamique du droit européen, est conséquente. Ce faisant, il ouvre un boulevard aux opposants qui accusent déjà le gouvernement d’avoir peur du peuple.
Comment le Conseil fédéral justifie-t-il son refus de s’en remettre volontairement au peuple? D’abord pour respecter la pratique passée. Il relève que ni les accords bilatéraux I et II, pas plus que les accords de Schengen-Dublin, n’ont fait l’objet d’un référendum obligatoire. Il ajoute, secondé par l’Office fédéral de la justice, que les accords bientôt paraphés n’ont pas une importance constitutionnelle. Ils s’inscrivent simplement dans la continuation de la voie bilatérale.
«Une nécessité stratégique»
Le gouvernement admet aussi avoir mis dans la balance des considérations politiques. «Au vu de la situation géopolitique tendue, le Conseil fédéral estime que des relations stables et fiables avec l’UE et les États voisins sont une nécessité stratégique pour garantir la sécurité, l’indépendance et la prospérité de la Suisse», déclare le conseiller fédéral Ignazio Cassis.
Questionné par un journaliste, le ministre des Affaires étrangères convient cependant volontiers qu’un vote obligatoire avec la double majorité aurait plus de poids. Il admet qu’il y a eu un élément tactique dans la décision du Conseil fédéral. En gros, le paquet a plus de chances de passer s’il n’est pas soumis à une double épée de Damoclès, à savoir le vote positif du peuple et des cantons.
Mais ce faisant, il ouvre aussi une voie royale aux opposants, qui auront beau jeu de prétendre que le Conseil fédéral, et le parlement si celui-ci suit la décision, a peur du peuple. À peine la décision connue, l’UDC a parlé de scandale. «Bien que le traité de soumission à l’UE restreigne massivement les compétences constitutionnelles du peuple et des cantons, le Conseil fédéral veut empêcher la tenue d’un référendum obligatoire à ce sujet», tempête l’UDC. «Plus encore qu’un affront envers les cantons et le peuple, c’est une attaque contre notre démocratie.»
Pro Suisse, l’organisation qui a succédé à l’Association pour une Suisse indépendante et neutre (ASIN), estime désormais que «Bruxelles dicte, la Berne fédérale capitule et le peuple doit se taire et payer». Le Conseil fédéral répond aux nationalistes que leur initiative populaire «Accords internationaux: la parole au peuple!» s’était écrasée en votation en 2012 avec 75% de non. Les Verts parlent aussi d’une décision gouvernementale cohérente. «La Constitution est claire: elle ne prévoit pas de référendum obligatoire dans ce cas. Le Conseil fédéral s’oppose ainsi à cette nouvelle attaque populiste de l’UDC contre l’État de droit», juge le conseiller national Nicolas Walder.
Petite porte ouverte
Qui pourra s’exprimer en fin de compte sur ces accords? Le dernier mot n’est pas encore dit. Car le Conseil fédéral laisse une petite porte ouverte. Il affirme noir sur blanc que le parlement fédéral a toute la compétence pour décréter un référendum obligatoire avec la double majorité du peuple et des cantons. Et il n’en prendra même pas ombrage. «Comme disait l’ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin, le Conseil fédéral propose, le parlement dispose», sourit Ignazio Cassis.
Obligatoire ou facultatif, il y aura de toute façon un référendum puisque les opposants n’auront aucun mal à récolter les 50 000 signatures nécessaires. À moins que ce soit 200 000. Le Conseil fédéral a en effet aussi décidé ce mercredi de saucissonner le paquet d’accords avec l’UE en quatre morceaux. Le premier, et le plus important, concerne la stabilisation des relations bilatérales. Les trois autres portent sur les nouveaux accords qui touchent l’électricité, la santé et la sécurité alimentaire.
Chaque partie pourra être attaquée par un référendum facultatif. Mais si l’accord principal de stabilisation est refusé, alors tout tombe. À noter que chaque partie contiendra l’accord avec l’UE, ainsi que les mesures d’application et d’accompagnement que décidera le parlement fédéral dès 2026. Un menu qui ne sera pas très digeste. Mais on a le temps de s’y préparer puisqu’un vote n’est pas prévu avant 2028.
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Se connecterArthur Grosjean est correspondant politique au Palais fédéral depuis août 2011. Il exerce la profession de journaliste depuis plus de 35 ans. Il a occupé diverses fonctions comme chef de rubrique (Suisse, Genève) et rédacteur en chef adjoint de la Tribune de Genève. Il a commencé sa carrière comme responsable des communes genevoises avant de s’occuper successivement de la politique de la Ville de Genève et celle du canton de Genève. Il écrit pour la Tribune de Genève, 24 Heures et le Matin Dimanche.Plus d’infos@arthurflash
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