Par
Brian Le Goff
Publié le
30 avr. 2025 à 19h02
L’affaire avait été révélée grâce à la vidéo des deux plaignants : pendant plusieurs minutes, le téléphone portable d’un délégué du syndicat SUD Éducation filme l’actuel « chef » de la « colonne Bravo » en train de mettre des coups de matraque aux deux syndicalistes.
Cette unité était intervenue en renfort d’une première unité en difficulté dans la rue d’Antrain, au nord du centre-ville de Rennes, à la fin de la 7ᵉ journée de mobilisation contre la réforme des retraites dans la capitale bretonne, samedi 11 mars 2023.
À l’époque, les mouvements sociaux se multiplient à Rennes contre la réforme des retraites et une certaine « tension » est relevée dans les rangs policiers. La salle de la Cité a été occupée « plusieurs jours » un mois auparavant.
Ce samedi 11 mars, les policiers sont avertis par des riverains de la rue d’Antrain que la manifestation « institutionnelle » qui s’est tenue dans la journée n’est toujours pas terminée. Elle durera par ailleurs jusqu’à 3 h du matin.
Dans ce contexte, alors que la « colonne Bravo » est rentrée au commissariat de la Tour d’Auvergne, le chef de la « colonne Alpha » demande du renfort après avoir essuyé des jets de « projectiles » depuis « le toit-terrasse du cinéma l’Arvor », alors occupé.
« 200 à 300 personnes dans la rue »
La première colonne ne pouvait que constater la présence de « 200 à 300 personnes dans la rue » et « l’intrusion dans le cinéma ». Des poubelles sont amassées en guise de barricades au beau milieu de la rue en travaux.
Vers 19 h 30, la colonne de Jérôme X. arrive donc en renfort : elle est chargée de se positionner au nord de la rue, côté Hôtel-Dieu, pour faire évacuer les manifestants du côté des Prairies Saint-Martin et ainsi épargner le centre-ville. En bas de la rue, la première colonne doit tenter d’empêcher l’avancée des manifestants vers la place Sainte-Anne.
L’objectif est de « libérer la voie au plus vite » et empêcher l’occupation de l’ancien cinéma : ce policier de 54 ans – qui en était à sa « sixième vacation de douze heures de suite » juge « nécessaire et proportionné » d’utiliser son bâton de défense pour « repousser » un membre de SUD Éducation qui marchait « nonchalamment » à côté de son vélo. Le second manifestant, qui avait « collé » son téléphone « à un mètre du visage » du policier, reçoit aussi des coups pour ne pas avoir « réagi » à sa sommation de « quitter les lieux ».
Pour l’IGPN, le policier a commis un délit
Saisie, l’inspection générale de la police nationale (IGPN) a conclu que le « délit » était constitué et a transmis la procédure au parquet de Rennes. Le ministère public décide de renvoyer Jérôme X. devant le tribunal correctionnel pour ses « violences » commises avec l’usage d’un « tonfa » – une matraque – sur les deux syndicalistes.
Ils s’en étaient sortis pour l’un avec un cubitus cassé et un mois et demi d’interruption totale de travail (ITT), et pour l’autre avec deux jours d’ITT.
« Le syndicat SUD nous harcèle », s’était pourtant défendu son client en audition. « On vivait des longues semaines, des journées très longues. » Le quinquagénaire jugeait aussi ses coups « proportionnés ». « Quand monsieur va dans le bon sens, je ne lui donne plus de coup, j’ai rempli ma mission ! », a-t-il ainsi fait observer aux juges rennais.
« Il a franchi toutes les limites »
« On est hors de la proportion », a répliqué l’avocat des deux délégués SUD Éducation, Me Olivier Pacheu. « Les collègues de Jérôme X. n’estiment absolument pas nécessaire de faire usage de la force… Il a franchi toutes les limites ».
« Il n’y avait pas d’atteinte à l’intégrité physique de Jérôme X. ou de ses collègues », confirme la procureure de la République. « La rue était en train d’être évacuée sans qu’un recours à la force soit nécessaire et sans que les coups portés par le prévenu n’apparaissent proportionnés. »
Une exclusion de la condamnation du casier pour continuer à exercer
Le prévenu était par ailleurs arrivé « de nulle part » pour « foncer » sur le deuxième manifestant alors que celui-ci était « en train de s’éloigner ». Les derniers coups de tonfa sont intervenus « à grande distance » du lieu des tensions.
Jérôme X. n’a « pas respecté les exigences d’usage », en déduit la procureure, avant de requérir six mois de prison avec sursis à l’encontre du policier. Elle a toutefois proposé au tribunal de prononcer « l’exclusion de la condamnation au bulletin n°2 de son casier judiciaire », pour qu’il puisse continuer d’exercer.
Une « moralité policière sans tâche »
Me Thierry Fillon, l’avocat de la défense, estime lui que les coups de son client étaient « proportionnés » et portés « dans un contexte particulier dont on ne peut pas sortir ». L’avocat rennais a aussi souligné la « moralité policière sans tâche » de cet agent qui n’a « jamais voulu » que les deux délégués SUD soient blessés. Il a donc plaidé pour une « relaxe » pure et simple.
« Quand on a fini par libérer la rue, (…) une commerçante est tombée dans nos bras en pleurs tellement elle a eu peur », a conclu le policier. « Voilà pourquoi je fais ce métier, voilà pourquoi je continuerai ».
Délibéré en juin
Le tribunal correctionnel de Rennes rendra sa décision le 3 juin 2025.
Claire Besnard (PressPepper)
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