Y a-t-il un président du Conclave ?
Oui. Dans le film, il s’appelle le cardinal Lawrence. Cette année, au Vatican, il se nommera le cardinal Pietro Parolin. En tant que premier des cardinaux-évêques électeurs, c’est lui qui sera le grand chef d’orchestre du scrutin. Simplement, contrairement au film et pour des raisons de protocole, ce n’est pas lui qui prononcera l’homélie de la messe inaugurale du conclave.
Deux cardinaux manqueront le conclave pour raisons de santéPourrait-il y avoir un cardinal inconnu qui se présenterait par surprise au scrutin ?
C’est la première péripétie du film. Un cardinal créé par le Pape « in pectore » – dans le secret du cœur, sans le citer nommément – apparaît au moment du conclave. Cette coutume des cardinaux « in pectore » existe et a encore été usitée par le Pape Jean-Paul II en temps de Guerre froide. Elle permet au souverain de nommer un cardinal qui vit sous un régime totalitaire ou dans un pays en guerre, par exemple, sans le citer nommément, afin qu’il ne soit pas mis en danger. Le film ne respecte cependant pas les prescrits du droit de l’Église : le cardinal s’y présente muni d’une simple lettre signée par le Pape. Celle-ci ne suffirait pas dans la réalité. Pour qu’un cardinal puisse exercer ses droits, la publication d’un décret est indispensable. Dès lors, si un cardinal inconnu devait se présenter cette année au conclave, ses confrères seraient déjà au courant.
Les cardinaux dorment-ils dans le même lieu, mangent-ils ensemble et prennent-ils le bus pour se rendre à la chapelle Sixtine ?
Oui. En de tels détails, le film est très juste. Les cardinaux bénéficient d’une chambre individuelle dans la maison Sainte-Marthe. Ils peuvent manger seuls, mais ils se restaurent le plus souvent ensemble. Les tablées se créent informellement, par langue ou par affinité, précise l’historien Yves Chiron. Pour se rendre de la maison Sainte-Marthe à la chapelle Sixtine (qui se trouve de l’autre côté de la basilique Saint-Pierre et où se déroule le scrutin), les cardinaux prennent le bus. Tous ces lieux sont évacués de visiteurs ou journalistes, et tout est fait pour qu’ils ne rencontrent personne. Si c’était le cas, la conversation est interdite.
« Conclave » : thriller dans les coulisses du Vatican, un jeu de pouvoir savoureuxLes cardinaux sont-ils privés de leur téléphone ?
Oui. Pour être certains qu’ils ne subissent aucune pression, les cardinaux sont soumis à l’isolement et au secret. La constitution apostolique stipule avec fermeté que les cardinaux électeurs « s’abstiendront d’entretenir des correspondances épistolaires, téléphoniques ou par d’autres moyens de communication avec des personnes étrangères » au conclave. De même, il est interdit aux cardinaux de recevoir la presse, d’écouter la radio ou de regarder la télévision durant l’élection.
Les mesures de sécurité sont-elles aussi strictes que dans le film ?
Oui, et le film est fidèle aux mesures de sécurité qui sont prises.
On lit par exemple dans la constitution que « des contrôles sérieux et sévères devront être faits, avec l’aide de personnes de toute confiance et de capacités techniques éprouvées, pour que dans ces locaux des moyens audiovisuels de reproduction et de transmission vers l’extérieur ne soient pas subrepticement installés ». Les ondes GSM sont par exemple brouillées au Vatican. Il n’y a pas non plus d’enregistreurs, de téléphones, d’ordinateurs, de radios… ni à l’intérieur de la chapelle Sixtine, ni à disposition des cardinaux.
Dans le film, il y a simplement l’obstruction des fenêtres de la chapelle Sixtine pour que des lasers ne puissent pas percevoir les vibrations de ce qui se joue à l’intérieur (les applaudissements, par exemple) qui est une disposition qui ne fut jamais appliquée.
Le conclave est plus branché que le concours Eurovision de la chansonDes religieuses servent-elles les cardinaux ?
Le film présente des religieuses qui préparent les tables, les chambres, les repas… C’est conforme à la réalité, bien que rien n’oblige que ce soit des religieuses. Pour faire face aux besoins domestiques et quotidiens, ainsi que pour l’organisation de la chapelle Sixtine ou les besoins spirituels, le conclave inclut des religieuses, du personnel de service, deux médecins, des prêtres confesseurs… Ils n’ont cependant pas accès aux cardinaux lors des scrutins en tant que tels, et ils prêtent tous serment, jurant de garder « le secret absolu » sur le déroulement du conclave. Enfreindre un tel serment entraînerait « la peine d’excommunication ‘latae sententiae' » (la personne est exclue ‘automatiquement’ de la communion de l’Église).
Dans le film néanmoins, un fait d’actualité majeure dans Rome a une incidence sur le scrutin. Dans le cas d’une question aussi grave, note Yves Chiron, on peut penser que le cardinal qui préside le conclave puisse avoir un contact avec une de ces personnes qui est à leur service pour en savoir davantage, et pour veiller sur la bonne tenue de l’élection.
Les religieuses sont au coeur du film Conclave. © 2024 Focus Features, LLC. All Rights Reserved.Y a-t-il des conciliabules dans les escaliers et des clans qui s’affrontent ?
Oui, poursuit Yves Chiron, d’autant que la maison Sainte-Marthe est une maison à étages et que, si les cardinaux sont tenus à l’isolement, ils ne sont pas tenus au silence. Cependant, ces conversations ne sont pas nimbées d’autant de mystère que dans le film : elles sont plus naturelles. « On se souvient que lors d’un repas, au dernier conclave, un cardinal s’était levé de sa table pour rejoindre celle du futur pape François. Il lui avait demandé ce qu’il en était exactement de son état santé pour être certain qu’il puisse être élu », rappelle notre interlocuteur. Les cardinaux parlent donc entre les scrutins, avant ou après la sieste qui est une tradition au conclave… Ces entretiens « ont lieu en tête à tête, parfois à trois, jamais plus. Il n’y a absolument aucune réunion de partis ou de ‘clubs’, et les discussions se font à voix haute », lit-on dans le Dictionnaire du Vatican et du Saint-Siège (Robert Laffont).
En effet, la constitution apostolique demande aux cardinaux de s’abstenir « de toute espèce de pactes, d’accords, de promesses […] qui pourraient les contraindre à donner ou à refuser leur vote à un ou à plusieurs candidats. » « Cependant, y ajoute le pape Jean-Paul II qui a signé cette constitution, je n’entends pas interdire les échanges d’idées ».
Au fil des scrutins, devant la popularité de l’un ou de l’autre, les votes se resserrent autour des quelques noms qui ont le plus de chance de gagner.
Le Pape est-il infaillible ?Les cardinaux peuvent-ils « faire campagne » ?
Non. Et, officiellement, personne ne se présente comme candidat. De même, les « accords avant l’élection » sont interdits. Le film présente cependant avec justesse l’ambiguïté du cœur humain qui cherche à s’effacer, mais demeure tenté par l’attrait du pouvoir.
Peuvent-ils voter pour eux-mêmes ?
Rien de l’interdit. Ajoutons qu’il serait difficile de vérifier une telle règle, car il est demandé à chaque cardinal d’inscrire « clairement » et « d’une écriture autant que possible non reconnaissable, le nom de celui qu’il élit. »
Comment se déroulent les votes ? Combien y en a-t-il par jour ?
Le film est fidèle au déroulement strict des scrutins. Sauf le premier jour, deux scrutins successifs sont prévus le matin, et deux l’après-midi. Une fois qu’il a inscrit le nom de la personne qu’il élit, le cardinal se lève pour aller déposer le bulletin dans l’urne. Il tient son bulletin « levé de telle sorte qu’il puisse être vu, [puis] prononce, à haute voix, le serment selon la formule suivante : Je prends à témoin le Christ Seigneur, qui me jugera, que je donne ma voix à celui que, selon Dieu, je juge devoir être élu. Après cela, il dépose son bulletin sur le plateau et, au moyen de celui-ci, il le met dans l’urne ; ayant fait cela, il s’incline vers l’autel et regagne sa place. »
Dans le film Conclave, des cardinaux attendent pour élire le prochain Pape. © 2024 Focus Features, LLC. All Rights Reserved.Finit-on par savoir qui a voté pour qui ?
Les cardinaux sont tenus, sous serment, « de ne violer en aucune façon » le secret du scrutin, « aussi bien pendant qu’après l’élection ». Pour autant, les journalistes et historiens finissent toujours par redessiner la manière dont un scrutin s’est joué en croisant ce que les cardinaux, plus ou moins clairement, finissent par laisser entendre.
Arrive-t-il souvent que des cardinaux refusent leur élection ?
Dans sa constitution, le pape Jean-Paul II, « prie celui qui sera élu de ne pas se dérober à la charge à laquelle il est appelé ». Néanmoins, ajoute Yves Chiron, on sait que des cardinaux font savoir, avant leur élection, qu’ils ne souhaitent pas devenir pape. Différents témoignages jamais démentis affirment que ce fut le cas du cardinal Bergoglio lors du conclave de 2005. Il sera finalement élu pape François en 2013.
Y a-t-il souvent des scandales qui empêchent au dernier moment un cardinal d’être élu ?
Un cardinal peut perdre ses droits d’élection. Ce fut le cas du cardinal américain Theodore McCarrick, reconnu auteur d’abus sexuels commis sur des mineurs en 2018. Cette année se pose la question de la participation au conclave du Cardinal Becciu, jugé en 2023 pour fraude financière. On ne dévoilera pas trop l’intrigue du film, mais notons que la constitution évoque le crime de simonie (qui est la vente ou l’achat d’une chose spirituelle). Si crime de simonie il y a, la constitution « déclare que tous ceux qui s’en rendraient coupables encourront l’excommunication » automatique.
Y a-t-il déjà eu une papesse ?En conclusion, le film est-il fidèle à la réalité ?
Dans ses détails, le film est fidèle au déroulement d’un conclave. L’esprit du scénario est cependant celui d’un thriller qui ne correspond pas totalement à la réalité, et qui sous-estime la dimension spirituelle d’un conclave, rythmé de nombreux temps de recueillement et de prières (la scène représentant la messe est particulièrement ratée). Certes, il y a des ententes pour favoriser tel ou tel, voire des coups bas, et différentes visions s’affrontent dans l’Église, mais elles sont moins caricaturales que dans le film. À en croire les cardinaux qui témoignent, c’est avant tout une recherche commune du meilleur candidat, plutôt qu’une guerre des clans à couteaux tirés qui a caractérisé les derniers conclaves.
Deux bonus pour la route
Ajoutons deux bonus qui témoignent de la bonne connaissance que le réalisateur a du Vatican : les canaris des religieuses qui étaient effectivement des animaux appréciés de Pie XII et confiés à des religieuses. De même, en 2013, c’est une prise de parole de trois minutes qui rappelèrent le cardinal Bergoglio au bon souvenir de ses confrères, et enclenchèrent son élection. Ceux qui ont vu le film comprendront.