Par

Nicolas Gosselin

Publié le

1 mai 2025 à 17h26

« Je ne sais pas pourquoi, c’est devenu obsessionnel. » Vincent Donet a consacré huit années de sa vie à restaurer une des 51 maisons de la Cité Frugès à Pessac (Gironde), imaginée par le célèbre architecte Le Corbusier. À la base, l’homme n’était ni bricoleur – « je n’avais jamais tenu de truelle de ma vie » – ni passionné d’architecture. Mais le destin a fait qu’il a contribué à ressusciter un pan de l’œuvre de ce monstre sacré du Mouvement moderne. Récit.

L’histoire remonte 50 ans en arrière. Vincent Donet vit les trois premières années de sa vie dans cette maison, que ses parents ont acheté en commun avec ses grands-parents, jusqu’à ce qu’ils se décident à déménager dans un lotissement à Cestas. La bâtisse est alors largement transformée et même découpée en trois logements, si bien qu’elle ne ressemble plus du tout à son architecture initiale.

Un sacerdoce

Les larges fenêtres, prévues pour laisser passer un maximum de lumière, sont en partie rebouchées. Au rez-de-chaussée, la buanderie est annexée pour en faire une chambre. Le toit plat, lui, est remplacé par une toiture Everite en pente. « Des choses avaient été rajoutée, d’autres avaient été supprimées », résume Vincent Donet.

À la mort de ses grands-parents, le Pessacais d’origine a été sollicité par un aïeul pour la récupérer et la retaper. « De fil en aiguille, l’idée est rentrée dans ma tête. J’allais sur mes 30 ans, j’étais parti pour acheter comme tout le monde », résume ce salarié de l’Institut national de jeunes sourds (INJS) de Bordeaux. Il y emménage en 2003. 

À l’époque, le jeune propriétaire est employé dans la grande distribution. Il démarre très tôt le matin et quand il finit sa journée de travail vers 11 heures, il embraye avec une deuxième journée de boulot dans sa maison. « J’y passais tout mon temps, j’étais complètement dévoué. Je dormais dans les travaux », se remémore-t-il.

Il a sauvé « une des cinq maisons irrécupérables »

De profane, Vincent Donet est devenu un passionné de Le Corbusier. Pendant le chantier de sa bâtisse, il s’est retrouvé à exhumer son œuvre. « Je savais que le plastique, les briques qui ont servi à boucher certaines fenêtres et d’autres matériaux n’étaient pas d’origine donc je pouvais casser. J’ai appris à observer, j’ai fait de l’archéologie architecturale pour redonner à la maison son aspect d’origine », explique le quinquagénaire.

Quand il l’a achetée, sa maison était considérée comme « l’une des cinq irrécupérables du quartier ». Huit ans après, Vincent Donet a réussi l’exploit de lui redonner son dessin originel avec ses formes géométriques et épurées.

En effet, en imaginant la cité Frugès, Le Corbusier a réalisé « un chantier d’expérimentation inédit » : la cité considérée comme l’une des premières cités-jardins ouvrières réalisées dans le monde, selon les canons de l’esthétique moderne.

« C’était mon chemin de Compostelle »

Ce projet a permis au début du 20e siècle, date à laquelle le lotissement a été livré, de proposer un logement ouvrier accessible à la propriété et doté des éléments de confort les plus innovants.

Un siècle plus tard, les critères de confort ont évolué et ces maisons peuvent sembler un peu désuètes. Mais Vincent Donet s’y sent bien. Même si l’isolation thermique laisse à désirer par exemple. « C’est comme une vieille voiture sans airbag, ça a son charme », compare-t-il.

Le propriétaire n’a pas voulu rénover sa maison quand il s’est lancé dans les travaux. Pourtant, à l’époque, la cité Frugès n’était pas encore inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Humanité par l’Unesco, au titre de l’œuvre architecturale de Le Corbusier. C’est arrivé en 2016. Vincent Donet aurait donc pu s’y donner à cœur choix, sans avoir de restrictions architecturales, mais il a voulu conserver cette âme d’habitat ouvrier.

Et peu importe le confort aujourd’hui discutable de son lieu de vie : Vincent Donet a trouvé « son petit coin de paradis ». « Avoir restauré cette maison, c’est ma plus grande fierté. Pendant des années, j’y ai consacré ma vie, je me suis un peu coupé du monde, mais si c’était à refaire, je le referais. C’était mon chemin de Compostelle, elle m’a permis de grandir. C’est une partie de moi cette maison. »

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