« Le jeu me permet d’avoir du recul, moi qui ne mets aucun filtre entre ce que je suis et ce que je donne au public. Interpréter un personnage c’est se recouvrir d’une fine peau qui empêche l’extérieur de vous pénétrer trop violemment. »
Paris Match. Qu’ont changé ces quatre ans dans votre appréhension du métier ?
Barbara Pravi. Cet album est une nouvelle aventure qui m’en apprend encore plus. Je suis beaucoup sur les routes, du fait de la demande énorme de concerts, par conséquent je me préserve davantage. Récemment, j’ai fait l’Olympia et me suis envolée directement après en Serbie retrouver ma famille et mes amis. Là, je vis une déconnexion totale : on reste dans le jardin pour manger ce qui y a été cultivé, je viens d’une famille de paysans, et je ressens plus aujourd’hui ce besoin de revenir à la source. Je recherche un temps de qualité devenu primordial à mon équilibre.
VIBRATION UNIQUE. L’abandon du corps, en communion avec le public. ©Barbara Pravi
guillement
En concert, je suis comme grandie, mes mains sont plus longues, mes yeux voient plus grand, je me sens habitée par l’âme des femmes de ma famille.
Vous avez de l’énergie à revendre. Est-ce ce qui vous rend si populaire ?
Je vis vraiment un moment de communion intense avec le public, presque charnel et sensuel, une vibration unique. Quelque chose se passe au niveau du corps et de son abandon, comme une grande fête, le miracle des retrouvailles. D’ailleurs, je ressens assez vite un manque durant les semaines sans concerts. Je traverse une espèce de transe sur scène que je ne reproduis pas dans la vie réelle, je ne suis pas aussi extravertie. En concert, je suis comme grandie, mes mains sont plus longues, mes yeux voient plus grand, je me sens habitée par l’âme des femmes de ma famille, du moins je la convoque. Je reçois aussi l’énergie des gens présents que j’arrive à brasser et qui me porte.
Cette connexion, vous l’avez établie d’emblée dès que le public vous a plébiscitée. Est-ce la raison pour laquelle vous désiriez chanter ?
Il n’y a pas de communion possible sans recherche de vérité. La mienne passait par la quête de mon humanité à travers les textes et la musique. A chaque chanson que j’écris, j’ai le sentiment de me comprendre mieux. Or ma quête tient de l’universel, tout le monde a en soi une flamme qui nous unit en tant qu’humains. La scène me permet de le vivre de façon augmentée. Mais si c’est aussi fort et brûlant, c’est que je ne fais qu’exprimer un sentiment qui nous habite toutes et tous. Cette brûlure, les gens peuvent l’avoir envers la religion, la famille, les amis, le travail, les passions. Tout ce qui crée du lien.
Une lettre de votre grand-père vous a raconté l’histoire de la Pieva. Votre album représente-t-il une forme de mission familiale ?
En effet, il y a l’histoire de mon ancêtre qui se baladait de village en village dans les montagnes serbes en chantant. Et moi qui fais exactement le même métier 400 ans après. Je trouve cette transmission super jolie. Et du côté de ma mère, j’ai appris, à la fin de l’écriture de cet album, que ma grand-mère, que je n’ai jamais connue, a ouvert le premier centre pour femmes battues à Paris. Vous avez d’un côté ma part de musicienne-chanteuse un peu gitane et de l’autre les racines de mon engagement. Je me retrouve à la croisée des femmes de ma famille. Où se trouve le libre arbitre ? Étais-je prédestinée ? Le mot serbe « pieva » n’est pas vraiment traduisible, disons qu’il désigne l’action de chanter.
Barbara Pravi ©Barbara Pravi
Peut-on voir vos chansons comme des sourires en colère ?
J’ai l’âme slave et donc l’énergie du désespoir, une propension à rire en pleurant et pleurer en riant, à me situer entre la mort et la vie. J’ai démarré une psychanalyse et plus je vieillis, plus je me situe dans un état perpétuel de déconstruction/reconstruction mais dans un processus positif de renaissance continue, entre joie et tristesse.
« Les Ruines », « L’Armure », « Qui j’étais » … Autant de titres porteurs de lutte. Quelles luttes ?
Je pense être très combative et courageuse dans ma lutte entre moi et moi. Nous sommes sur terre pour nous bonifier et ça passe par des remises en question. Je n’écris jamais en espérant qu’on s’approprie mes chansons car cela couperait ma créativité. En revanche, il m’arrive souvent, dans la vie, de rencontrer des femmes qui se livrent à moi, même si elles ne me connaissent pas en tant qu’artiste. Je pense qu’elles reconnaissent ma sincérité, j’ai tellement d’empathie pour elles.
Vous dites « Nous venons tous de partout ». N’est-ce pas désespérant d’assister à tant de rejet et de violence, justement partout ?
La peur de l’autre crée la division. L’humanité est toujours passée par des grandes vagues d’union et de haine. Nous sommes malheureusement à un moment paroxystique de rejet de l’autre mais je ne pense pas que ça durera. Je crois beaucoup dans les capacités de la science à démontrer ce qui nous unit à l’humain, l’animal et le végétal, au vivant. Mais du chaos naît la résistance. Regardez ce qui se passe en Iran. Des femmes y sont emprisonnées et tuées de façon horrible. Or, depuis trois ans, hommes et femmes sont dans la rue, ensemble. Nous allons peut-être souffrir individuellement mais ensemble nous y arriverons.
UN SENS À L’EXISTENCE. Atteindre la meilleure version de soi-même. ©Lisa BoostaniManger le bonheur
Cherchez-vous à comprendre ce qu’est le bonheur ?
À l’expérimenter plutôt. Pour comprendre un état, il faut l’avoir mangé, goûté. La recherche du bonheur passe par un travail sur soi et nos propres ressentis, nos passions et nos rejets. Il s’agit d’une longue construction et je pense sincèrement qu’on choisit d’être heureux.
Vous vous montrez le plus souvent solaire. Mais êtes-vous capable d’avouer les moments de fragilité. Dans la chanson « Maman », vous confiez vos doutes et vos regrets.
Je suis très premier degré et incapable de cacher mes états d’âme. Je me montre sincère dans mes joies comme dans la colère ou la tristesse. Je me confie volontiers à mon père, à mes amis. Comme je doute souvent, j’ai besoin d’être tout le temps rassurée, qu’on me dise que je vais y arriver, que je suis belle, sympa… Mes amis le savent et m’envoient chaque jour de gentils messages tels « Tu vas passer une super journée, je t’aime ». Je trouve normal qu’entre nous on s’envoie de la force et je le fais tout autant. Je suis capable de kidnapper un ami durant deux jours pour l’aider à passer un cap difficile. J’ai de la chance. Comme tout le monde, j’ai des trous dans mon vécu, des endroits qui n’ont pas été comblés mais j’ai dans l’ensemble une famille extraordinaire qui m’a transmis de belles valeurs, elle reste mon premier socle. Quant aux amis, l’existence m’a appris que les coups de foudre d’amitié existent bel et bien et à tout âge. Quatre piliers soutiennent ma vie : la famille, les amis, le travail et le public. Je n’y mets même pas l’amour. Il est bien sûr important mais ça va ça vient.
MULTIPLE. Musicienne-chanteuse, un peu gitane, très engagée. ©Barbara Pravi
Je semble avoir trouvé une voie qui me réussit, me remplit, non pas les poches mais l’esprit et le coeur. Et si sens il doit y avoir, c’est de se remplir le coeur. Je souhaite devenir une vieille dame qui aura atteint la meilleure version d’elle-même et pourra transmettre son expérience.
Votre tournée très intense compte plein de dates en Belgique.
Ah mais j’ai un truc de dingue avec le public belge. Venir chez vous c’est la fête, la joie ultime. L’Eurovision aurait pu n’être qu’un coup de chance. Mais non, il y a vraiment un lien réel, profond, c’est pas de la blague.
Album Barbara Pravi, La Pieva, Universal ©Album Barbara Pravi, La Pieva, Universal
le 26 à Esperanzah à Floreffe,
le 14 septembre à ManiFiesta à Ostende,
le 4 novembre au Cirque Royal à Bruxelles,
le 5 à l’OM à Liège et le 6 eu Théâtre Royal à Mons.