« C’est quoi un artiste ? C’est quelqu’un qui n’accepte pas de devenir un adulte responsable et qui puise en lui les restes de l’enfance… », confie Jef Aérosol au milieu de ses nouvelles œuvres exposées à la galerie David Pluskwa, représentant des souvenirs d’enfance et un monde insouciant. Son solo show, autour du thème « Spring », joue avec les mots : l’arrivée du printemps mais aussi la vie et le dynamisme. L’artiste pochoiriste de 68 ans, originaire de Nantes et qui vit à Lille, revendique et assume la simplicité du sujet, invoquant toujours un sens derrière l’apparente « carte postale ». Rencontre avec un pionnier du street art, pour qui l’esprit punk n’est pas « avoir les cheveux orange, des piercings et des tatouages » (il n’en a aucun), mais un état d’esprit en soi qu’il a toujours gardé dans son style artistique.

Le printemps vous inspire-t-il ?

L’époque est tellement sombre et anxiogène, qu’on n’a pas voulu rajouter du blues aux gens et on est allés vers quelque chose de positif. « Spring » est un mot-valise : il veut dire le printemps mais aussi la source, le ressort, le rebond, le dynamisme. L’enfance, c’est quand on est au printemps de sa vie. Mais c’est aussi un symbole d’avenir.

Dites-nous en plus sur ces nouvelles créations…

On est sur un support commun, le carton, que je sculpte. Je rajoute des touches de bleu et jaune, les couleurs de l’espoir. Et sans faire exprès, elles font référence à l’Ukraine.

Vous travaillez à partir de photos existantes ?

Oui des photos que j’ai prises, des photos prises par des copains. Ou que je cherche sur internet. Mais cette fois, j’ai utilisé l’IA pour certains personnages. Par exemple, le garçon à la fleur aux dents et la fille au tournesol n’existent pas.

Jef Aérosol à la galerie marseillaise David Pluskwa en solo show jusqu’au 26 avril.Jef Aérosol à la galerie marseillaise David Pluskwa en solo show jusqu’au 26 avril. Photo David Rossi

Le thème de l’enfance peut paraître naïf, non ?

On peut penser que c’est Bisounours, trop carte postale parfois (il nous montre le tableau Kiss de deux enfants sur un banc, NDLR), mais en réalité, il y a, de manière sous-jacente, une mélancolie. Sur la fragilité de l’enfance mais aussi sur cette prise de risque qui est plus forte à cet âge-là.

"Kiss" de Jef Aérosol à la galerie David Pluskwa jusqu’au 26 avril.« Kiss » de Jef Aérosol à la galerie David Pluskwa jusqu’au 26 avril. Photo David Rossi

Vous ne prenez plus de risques ?

On ne prend plus les mêmes. Pour moi, la meilleure prise de risque c’est celle qui consiste à écouter ce que les gens vous disent, au risque de changer d’avis.

"Le Tournesol" par Jef Aérosol, exposé à la galerie marseillaise David Pluskwa jusqu’au 26 avril.« Le Tournesol » par Jef Aérosol, exposé à la galerie marseillaise David Pluskwa jusqu’au 26 avril. Photo A.A.

Et d’un point de vue artistique ?

Peut-être justement ce côté Bisounours carte postale : le fait d’assumer qu’il n’y a pas d’obscur concept. Mais il y a une vraie émotion car l’identification est possible. Je parle aux restes de l’enfant qu’il y a en chacun de nous. Je dis souvent que les tableaux ont une forme et une dimension de porte ou de fenêtre. L’artiste doit veiller à ce qu’elles soient toujours entrouvertes pour que le public puisse les pousser et retrouver une part de lui-même.

Vous faites moins de choses dans la rue à la sauvage ?

J’en fais moins. Dans les années 80, il n’y avait rien dans la rue alors que maintenant il y a tellement de choses… J’y vais quand j’ai vraiment un truc à dire. Et puis ça demande une énergie et, à 68 ans, j’ai moins cet allant.

Quel est votre avis justement sur le street art actuel ?

On met des termes street art, graffiti, art urbain… mais il y a un tel mélange ! C’est bien que tout cela soit reconnu. Mais au début il y avait un côté underground et punk, maintenant, il y a à boire et à manger.

À Marseille, il y a des quartiers très « street art » comme Le Panier ou le Cours Ju…

Au Cours Ju, ce qui est intéressant c’est ce côté palimpseste, cette accumulation qui devient esthétique pour le visiteur. Individuellement, il y a parfois des œuvres qui sont bien mais souvent quand il y a trop de choses, tout est noyé. C’est comme en cuisine : si le chef met trop d’ingrédients, ils vont se nuire entre eux.

Galerie David Pluskwa, 53 rue Grignan (6e) à Marseille. Jusqu’au 26 avril, du mercredi au samedi de 14h30 à 18h.