Dix-sept mois après les faits, devant le tribunal judiciaire de Marseille, tout l’enjeu réside dans l’intention. Benjamin P. a-t-il ou non délibérément tiré au fusil harpon sur des plaisanciers qui troublaient sa séance hebdomadaire de chasse sous-marine dans l’anse du Prophète ? L’épisode peu banal avait provoqué une scène d’apocalypse sur le voilier de 40 pieds qui venait de prendre le départ de la régate Vire Vire Banque Populaire Méditerranée.
Synopsis du film d’horreur : deux victimes « embrochées » par une seule et unique flèche en carbone d’1m60 ; une chirurgienne oncologue, amatrice de voile, obligée d’inciser le premier blessé dans le thorax avec un couteau de cuisine. Double objectif : empêcher que la pointe de la flèche ne perfore le poumon, et désolidariser le skipper de son compagnon d’infortune dont le coude a été transpercé de part en part. Le tout alors que les deux hommes sont encore reliés au harpon du plongeur par le filin de l’arme.
Les uns à la Timone, l’autre en garde à vue
Pour l’équipage, la course de bateaux s’était prématurément achevée à la Timone, tandis que le chasseur sous-marin était placé en garde à vue. En cette fin de matinée du 1er octobre 2023, 23 degrés et une modeste brise de sud-est, tout avait pourtant commencé sous les meilleurs auspices pour les protagonistes d’un drame hors du commun.
En fin de matinée ce dimanche d’automne, Benjamin P., 43 ans à l’époque, enfile combinaison, baudrier, 14 kilos de poids répartis sur une ceinture de plomb, masque, tuba, palmes et gants. Muni de l’un de ses quatre fusils harpons, acheté deux ans plus tôt au Vieux Campeur de l’avenue du Prado et de l’indispensable bouée rouge qui signale sa présence à la surface, il s’enfonce dans l’eau, à l’affût de dorades et de loups. À la surface, le voilier d’une bande de vieux copains que l’exercice de la médecine réunit – il y a là chirurgien, anesthésiste et pharmacien – s’élance pour disputer la Vire Vire.
À la barre du tribunal ce mardi 29 avril, Benjamin P. explique qu’après seulement quelques minutes dans l’eau, deux bateaux participant à la régate, ont déjà manqué de le percuter en dépit de la bouée rouge qui émergeait des flots. La troisième embarcation, celle de l’équipage de médecins, l’aurait finalement heurté à l’arrière de la tête. « J’aurais pu me noyer. Quand j’ai refait surface, après avoir vu la mort, je n’étais pas moi-même. J’ai entendu ‘Si t’es pas content, c’est pareil’, j’ai dû trop me crisper sur la crosse, j’ai hurlé, brandi les bras et le coup est parti. Je tiens vraiment à m’excuser d’avoir blessé accidentellement ces personnes, mais je ne reconnais pas l’intention. Je pratique la chasse sous-marine depuis plus de 15 ans, je ne suis pas une personne impulsive qui, par coup de sang, peut avoir des gestes irréfléchis. »
« C’était une scène de guerre »
Ce n’est pas l’avis de Cécile, la chirurgienne à bord du voilier qui a sans doute sauvé la vie du skipper et parrain de sa fille, comme celle de l’autre régatier, en pratiquant à la hussarde une intervention d’urgence pour extraire la flèche fichée dans le thorax du premier et stabiliser l’état du deuxième. « Je suis habituée à la chirurgie lourde, mais pas de ce type-là. C’était une scène de guerre, des hurlements, du sang partout… Il nous a tiré dessus », assure-t-elle à la présidente.
Face à la demi-douzaine d’avocats de la partie civile et au ministère public qui réclame quatorze mois de prison dont huit assortis du sursis simple et six mois sous bracelet électronique, la tâche est ardue pour Me Pascal Lungo qui défend le « harponneur ». Au terme de huit heures d’audience mardi soir, la robe noire a réclamé la requalification des faits de « violences volontaires avec arme » en « blessures involontaires par manquement délibéré d’obligation de prudence » et plaidé la relaxe. Mise en délibéré, la décision sera rendue le 11 juin prochain.