Par

Ludivine Caporal

Publié le

2 mai 2025 à 10h28

Les délicats rayons du soleil qui pénètrent la cour de l’établissement privé et la sérénité qui y réside en cet après-midi du lundi 28 avril nous feraient presque croire à un petit coin de paradis. Le sourire et l’accueil sympathique de la directrice aussi.
Pourtant, pas plus tard que vendredi dernier, près de 40 personnes ont signé un courrier envoyé à l’inspection du travail, à l’Agence Régionale de Santé (ARS) et au conseil d’administration de l’association gestionnaire pour dénoncer des conditions de travail particulièrement dégradées au sein de l’Ehpad Saint-Camille, situé dans le 5e arrondissement de Lyon.
Nous avons récolté plusieurs témoignages d’employés ou d’ex-employés ayant démissionné. Tous, sans exception, font état d’un « management toxique ».

Dans les pas de son prédécesseur ?

« C’est une personne méprisante et humiliante. Elle a une façon de traiter l’humain et de manager un établissement qui est difficilement compréhensible, elle est odieuse dans ses propos mais fait bonne figure devant les familles alors qu’elle s’en fout complètement. Auprès du personnel, elle sème la terreur », affirme cette ancienne salariée à propos de la directrice d’Ehpad arrivée en janvier 2023 et face à laquelle elle a préféré démissionner.

Très vite, j’ai essayé d’alerter le conseil d’administration. Mais on m’a répondu qu’il fallait faire avec, que ça commençait à bien faire.

Ex-employée de l’Ehpad

À cette époque, l’établissement indépendant se relevait en fait à peine d’une affaire similaire. Accusé d’abus de pouvoir et de harcèlement moral, l’ancien directeur avait été remercié à la fin de sa période d’essai, en septembre 2022. L’arrivée d’une nouvelle personne à ce poste était donc très attendue par les employés, qui espéraient un retour à la normale. Mais ces derniers ont rapidement déchanté.

« On est pris pour des merdes, rabaissés constamment »

« Au tout début, elle nous a fait une grande arrivée. Elle nous avait même apporté un gâteau au chocolat alors qu’elle était en congés. On avait envie d’y croire. Mais en fait c’est pareil qu’avant, voire pire. Elle nous parle mal, nous crie dessus, nous surveille en permanence, c’est anxiogène », témoigne une personne toujours en poste, « pour le moment ».

L’une de ses collègues abonde en laissant échapper, malgré elle, quelques sanglots de colère et d’épuisement :

On est pris pour des merdes. On est rabaissés constamment et dès qu’on ose dire quelque chose, on est menacés de sanctions, elle pousse ceux qui ne sont pas d’accord avec elle à la démission. Mais moi, je vais lui tenir tête, je ne vais pas démissionner, jamais.

Employée de l’Ehpad

Selon les éléments récoltés auprès de différentes sources, plusieurs démissions auraient eu lieu ces derniers mois ainsi que des arrêts de travail, un abandon de poste et des plaintes auprès de la médecine du travail.

Parmi les résidents, « certains ont faim »

Du côté de la prise en charge des résidents, les témoignages mentionnent par ailleurs « des problèmes avec les repas ».

« Les menus ne sont pas respectés, ils font croire que c’est Bocuse pour validation et après ça n’a rien à voir. Les rations sont parfois insuffisantes, certains ont faim », assure une employée.

« Un soudain changement de comportement qui pue le faux »

Informée du fameux courrier relatant l’ensemble des doléances formulées dès le jour de son envoi, mentionnant en outre des « salaires incohérents et injustes », la directrice de l’Ehpad aurait depuis « soudainement changé de comportement ». « Mais ça pue le faux », nous glisse-t-on.

Nous avons ainsi appelé la principale mise en cause dans cette affaire afin de lui donner la parole. Celle-ci a accepté de nous répondre et nous a même invités à la rencontrer directement, ce que nous avons fait.

Le courrier rédigé par le personnel de l'Ehpad Saint-Camille.
Le courrier rédigé par le personnel de l’Ehpad Saint-Camille. Mise en cause aux côtés de la directrice, la gestionnaire n’a quant à elle pas souhaité s’exprimer auprès de notre rédaction, selon sa supérieure hiérarchique. (©Document remis à actu Lyon)La directrice se dit « très étonnée »

Mise face aux accusations de ses employés, la directrice en a contesté la très grande majorité et s’est dite « très étonnée ». « Je n’ai jamais eu vent de tout ça. Mais je trouve ça très étrange que ces personnes agissent masquées, on ne sait même pas qui c’est », lance-t-elle en regardant les nombreuses signatures apposées sur la lettre.

Les problèmes de paie, cependant, avaient bien été mentionnés à plusieurs reprises lors des dernières réunions du Comité social et économique (CSE), dont elle est la présidente.

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« Je ne me reconnais pas dans ce qui est écrit »

Dans les couloirs de l’Ehpad, en notre présence, la directrice affiche en tout cas une démarche tranquille et salue tout sourire chaque personne qu’elle croise. Celle-ci nous emmène même nous montrer la récente exposition photo installée au rez-de-chaussée, « qui met en valeur les métiers de l’ombre, ceux qu’on ne voit jamais », dit-elle en pointant du doigt une ASH (Agent de service hôtelier) sur l’une des images.

« J’ai l’impression d’essayer de favoriser un bon climat et d’être attentive au bien-être et à la sécurité des employés et des résidents. On investit là-dedans », soutient-elle en citant plusieurs exemples, principalement logistiques, avant de poursuivre :

J’ai ouvert une deuxième salle de pause pour les salariés lorsque je suis arrivée, je fais en sorte de tout le temps remplacer lorsqu’il y a une absence car je ne mégote pas sur les ressources humaines, on a une politique de formation dynamique (…) Après, oui, je donne des avertissements lorsque le règlement intérieur, signé et approuvé en CSE en 2024, n’est pas respecté. C’est normal. Mais je ne me reconnais pas dans ce qui est écrit.

Directrice de l’Ehpad

Le départ de la directrice souhaité

Également contacté par notre rédaction, le conseil d’administration de l’Ehpad Saint-Camille a confirmé avoir eu connaissance, ces derniers mois, de problématiques liées à la qualité de la restauration et aux salaires des employés, « uniquement ».

« Le conseil a pris note des plaintes des salariés à travers leurs représentants et entend apporter une solution, dans la mesure du possible », a-t-il été déclaré en conclusion.

Si les suites de l’affaire ne sont pour l’heure pas connues, les dizaines d’employés signataires espèrent en tout cas un dénouement radical : le départ de la principale mise en cause.

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