Pierre Buhler, ici en 2019. Photo Olivier Vigerie/Institut français

Pierre Buhler, ici en 2019. Photo Olivier Vigerie/Institut français

Pourquoi signer ce traité franco-polonais à Nancy ?

« Les symboles comptent en politique et Nancy est sans doute la ville qui a été la plus liée à la Pologne avec Stanislas Leszczynski : roi de Pologne (1704-1709) évincé du trône, puis remis sur le trône par la France (1733-1736), à nouveau évincé par la Russie, devenu duc de Lorraine et de Bar (en 1737) grâce à son beau-père Louis XV. Stanislas Leszczynski a véritablement transformé les villes où il a résidé : Lunéville, mais aussi Nancy, avec la magnifique place Stanislas. »

Pourquoi des liens aussi forts entre ces deux pays qui n’ont pas de frontières communes ?

« Les liens sont anciens, avec des têtes couronnées passant d’un pays vers l’autre : un Valois a été roi de Pologne (1573-1574), deux Françaises ont été reines de Pologne au XVIIe siècle… Après l’insurrection de 1795, les militaires polonais ont rejoint Bonaparte. Et après les insurrections de 1830 puis de 1863, les flux d’exilés se sont naturellement dirigés vers la France. En 1919, Clemenceau a œuvré pour rétablir un État polonais puissant. Plus près de nous, il y a eu l’appui de la société civile française à Solidarność [une fédération de syndicats créée en 1980, NDLR]. C’est donc une longue histoire de sympathie, mais j’ai parfois eu le sentiment que les Polonais l’avaient vite oublié après avoir retrouvé leur indépendance (en 1989). »

« Les Polonais ont tendance à considérer que seuls les États-Unis les ont défendus »

Comment l’expliquez-vous ?

« D’autres ont pris notre place. Les Polonais ont tendance aujourd’hui à considérer que seuls les États-Unis les ont défendus face à l’Union soviétique, et l’adhésion à l’Otan a été considérée comme la garantie ultime de sécurité. Mais là, ils sont en train de déchanter un peu. »

Quels sont les malentendus entre Polonais et Français ?

« Les Français, qui pour la plupart ne connaissent pas la Pologne, ont dénoncé le « plombier polonais » : la fameuse « directive Bolkestein » (2006), qui permettait à des artisans d’exercer partout dans l’Union européenne, et qui a créé une sorte de mythe d’une invasion polonaise, alors que les Polonais étaient relativement peu nombreux en France. »

« Peu de gens de la jeune génération apprennent le français »

Et que nous reprochent les Polonais ? D’être arrogants ?

« Il y a cette conviction, chevillée au corps de nombreux Polonais, que les Français les ont lâchés en 1939. J’ai dû souvent leur rappeler que la France avait quand même déclaré la guerre à l’Allemagne pour les défendre. Mais ça ne porte pas, il y a cette idée que les Français ne sont pas fiables. Et parfois aussi arrogants, ce qui n’est pas infondé : dans les années 1990, nous étions réticents à une entrée rapide de la Pologne dans l’Union européenne. Tout ça crée une sorte de passif réciproque. Peu de gens de la jeune génération apprennent le français, il n’y a plus cette attraction pour la France qu’on avait auparavant. »

Que peut amener le traité de Nancy ?

« Avec ce traité, on change véritablement de braquet avec la Pologne. Face à la menace existentielle qui pèse sur l’Union européenne, la Pologne est un partenaire clé. L’intérêt de la France est d’avoir une relation forte avec la Pologne, et ce traité apparaît comme une sorte de rattrapage du temps perdu. »

Pologne, histoire d’une ambition, de Pierre Buhler (Éd. Tallandier).