REPORTAGE – Réalisé en un temps record et unique au monde, un nouvel escalier à double révolution entièrement réalisé en chêne va être inauguré dans la tour Sud. C’est l’un d’un des derniers grands chantiers de Notre-Dame de Paris, que Le Figaro Magazine a pu visiter en exclusivité.
Six ans après le terrible incendie qui l’a frappée, Notre-Dame de Paris a rouvert ses portes gratuitement le 8 décembre dernier. Chaque jour, plus de 30.000 visiteurs et fidèles fascinés déambulent autour de son chœur miraculeusement préservé et magnifiquement restitué. Mais certaines zones, comme les tours Nord et Sud, demeurent inaccessibles et font encore l’objet d’importants travaux avant de pouvoir accueillir le public l’été prochain. En attendant, encadrants, restaurateurs et artisans, tous engagés dans une véritable course contre la montre, s’affairent à leur chevet.
Dans l’ascenseur provisoire qui conduit à la tour Nord depuis la façade extérieure, défilent de bas en haut les balcons et les fenêtres des immeubles qui entourent la cathédrale. Avant l’incendie, le parcours vers le sommet de Notre-Dame en gravissant les 422 marches de l’escalier en colimaçon de la tour Nord était ponctué par deux étapes incontournables : la salle haute et son admirable architecture gothique voûtée d’ogives, puis la galerie des chimères qui permettait d’approcher les fameuses gargouilles, dont la célèbre stryge, avant de gagner la tour Sud.
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Bientôt de nouvelles infrastructures amélioreront et enrichiront considérablement ce circuit, dont la visite est assurée par le Centre des monuments nationaux. L’histoire de Notre-Dame de Paris sera notamment mise à l’honneur avec une salle d’introduction dans laquelle des maquettes devraient être installées. Mais d’autres sur prises attendent les visiteurs. Pour l’instant, le passage entre les deux tours reste un peu acrobatique et il faut longer avec prudence les balustrades en pierre ajourée, qui offrent une vue aussi belle que vertigineuse sur le parvis, la Seine, puis la ville tout entière.
1200 pièces en chêne massif
Une fois arrivé devant l’entrée de la tour Sud, on débouche sur les premières marches de l’escalier à double révolution qui conduira désormais le public vers les cloches du beffroi et la charpente médiévale restaurée. Un ouvrage d’art exceptionnel, à la fois vitrine du savoir-faire français et chef-d’œuvre de l’entreprise de charpente normande MDB Métiers du Bois, reconnue pour son expérience des chantiers patrimoniaux. « Afin de répondre aux niveaux de sécurité et de confort requis par les standards actuels, les approches du massif occidental ont dû être entièrement repensées, précise Philippe Jost, le président de l’établissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris, ancien bras droit du général Jean-Louis Georgelin, décédé accidentellement en 2023 et maître d’ouvrage chargé de la restauration de la cathédrale. C’est pourquoi nous avons décidé de lancer, au début de l’année 2024, un appel d’offres pour trouver des artisans capables de réaliser un ouvrage d’art adapté aux contraintes spécifiques de ces espaces aux dimensions particulières, très complexes et chargées d’histoire. Et je crois pouvoir dire que ce pari a été remporté haut la main en offrant à l’édifice le plus grand escalier à double révolution en bois du monde. »
Avec ses 178 marches, l’ouvrage réalisé à partir d’une idée et d’un dessin de l’architecte Philippe Villeneuve, mesure 21 mètres de haut. Son diamètre est de 3,6 mètres pour un poids de près de 20 tonnes. Entièrement autoporté, il est composé d’un peu plus de 1200 pièces en chêne massif et a nécessité environ mille quatre cents heures d’études, de plans d’exécution et de calcul et plus de neuf mille deux cents heures de fabrication en atelier, à Bretteville-sur-Odon (Calvados). Pour sa construction, menée par une quinzaine de charpentiers, trois menuisiers et trois apprentis, il a d’abord fallu trouver plus de 85 mètres cubes de billes de chêne français sciées depuis vingt à trente ans pour une solidité maximale.
L’ouvrage constitue une superbe vitrine du savoir-faire français.
Patrick Zachmann/Magnum Photos
Une gageure tant ces bois de qualité s’arrachent sur le marché international. Une fois la matière première rassemblée, une équipe pluridisciplinaire a été constituée. Dans un premier temps, ingénieurs en structure et charpentiers, également dessinateurs-projeteurs, ont fait des modélisations numériques des plans de taille et d’assemblage. Puis des spécialistes en charpente ont planché sur des études méthodologiques et logistiques. Ces étapes franchies, les artisans chargés des tracés d’épure de la taille et du préassemblage des bois en atelier ont pu entrer en scène.
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Entre juillet et août 2024, un prototype en chêne à l’échelle 1 a été construit. Et une fois sa validation confirmée par les architectes en chef des Monuments historiques, Philippe Villeneuve et Rémi Fromont, MDB Métiers du Bois a pu commencer à tailler les pièces définitives entre septembre et novembre 2024. Pour les mains courantes, les balustres, les consoles métalliques ainsi que la structure d’assise, les artisans ont été aidés par un ferronnier d’art, l’atelier Fer Art Forge.
Prouesses techniques
« Terminé en décembre 2024, l’ensemble a été monté à blanc pour en valider les moindres détails et vérifier la bonne exécution de tous les assemblages, explique Édouard Neil, 41 ans, compagnon charpentier et directeur de MDB Métiers du Bois. Puis il a été entièrement démonté et acheminé jusqu’à la cathédrale, où, à compter de février 2025, il a été remonté pièce par pièce à son emplacement final dans la tour Sud. J’espère que ceux qui l’emprunteront bientôt se rendront compte du travail accompli et seront aussi fiers que nous. »
Une équipe au sommet, ayant œuvré sans relâche.
Alexandre Soria
Autre prouesse technique : cet escalier hors du commun a été conçu pour s’adapter aux très grands volumes du beffroi et accueillir jusqu’à 100 personnes simultanément. Tout en améliorant l’accès au gros bourdon et en offrant un point de vue unique sur la charpente et sur Paris, il permettra également aux visiteurs montants et descendants de ne jamais se croiser.
Certains passages sont si étroits que nous avons dû nous adapter à la fois aux formes spécifiques de la charpente et au bâti de pierre lui-même
Yoan Malbranque, compagnon charpentier
« C’était un vrai défi, fait remarquer Philippe Jost, car la charpente de la tour Sud a été construite spécifiquement pour supporter le poids des cloches et absorber leurs vibrations afin qu’elles ne soient pas répercutées sur les maçonneries. Emmanuel, le gros bourdon de la tour Sud, est la deuxième plus grosse cloche de France avec ses 13,3 tonnes et Marie, une cloche fondue en 2012 et placée à ses côtés en 2013, pèse 6,2 tonnes. L’enjeu était donc de taille. » Yoan Malbranque, 32 ans, compagnon charpentier et directeur de travaux de cette opération, confirme : « Nous avons été confrontés en effet à plusieurs difficultés assez subtiles. Certains passages sont si étroits que nous avons dû nous adapter à la fois aux formes spécifiques de la charpente et au bâti de pierre lui-même. Par ailleurs, afin de garantir à la fois la plus grande résistance et la plus grande durabilité à la structure de chêne, l’escalier a été muni d’un système de queues-d’aronde en laiton destiné notamment à amortir l’impact des vibrations des cloches, comme celles des pas des visiteurs. » Autant de particularités et de finesses qui font de ce travail de charpente l’œuvre d’une vie.