Publié le
3 mai 2025 à 18h55
« C’est un gros risque dans ma carrière. » Mardi 4 février 2025, au micro de Léa Salamé sur France Inter, Louane se confiait sur le fait de représenter la France à l’Eurovision.
Celle qui a été révélée par le télécrochet The Voice, en 2013, s’inquiétait alors de l’après, surtout si le classement n’est pas aussi bon qu’espéré. « Dans le cas où ça ne se passerait pas bien, ce n’est pas facile de revenir derrière. »
À l’instar d’une cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques, l’Eurovision ferait partie de ces performances casse-gueule, tournant dans une carrière d’artiste.
Au point de la freiner ou de la stopper net sur la route de l’ascension ? actu.fr a demandé leur ressenti à trois anciens représentants au concours européen de la chanson.
Première étape : devenir représentant
Mais avant de penser à l’après, il faut parler de l’avant. Comment on en arrive à représenter la France à l’Eurovision ?
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« Bah moi, j’ai découvert que j’allais faire l’Eurovision à la télé, comme tout le monde. J’avais enregistré des voix témoins sur une chanson à la demande de ma maison de disques, et voilà. » Heureusement, le cas de Jessy Matador, pour l’édition 2010, est assez exceptionnel.
Le concours européen de la chanson, de son nom officiel, met en compétition des diffuseurs, comme l’est France Télévisions. Ce dernier choisit son représentant en interne, c’est-à-dire qu’il décide seul, comme dans le cas de Jessy Matador, ou il organise une sélection nationale, en organisant un premier concours à la recherche de la chanson.
« Bruno Berberes, directeur de casting de l’Eurovision, nous avait contactés car il cherchait des chansons pour des interprètes », rembobine Jean-Karl Lucas, membre du duo Madame Monsieur.
On avait une chanson, « Mercy », mais on voulait interpréter nous-mêmes la chanson.
Jean-Karl Lucas
Membre de Madame Monsieur, représentant pour l’Eurovision 2018
C’est comme ça que le duo participe à Destination Eurovision, le programme de sélection nationale qui fait son retour après quatre ans d’absence.
Même si la France préfère largement la sélection interne (43 contre 25), au milieu des années 2000, le peuple a la parole.
On vient de signer chez Warner et là des gens de l’Eurovision nous contactent pour savoir si on veut participer. On dit oui sans trop réfléchir et on écrit « l’Amour à la Française » en 3-4 jours.
Laurent Honel
Guitariste des Fatal Picards, représentant pour l’Eurovision 2007
« Un véritable tourbillon » qui se met en place
Qu’importe le mode de sélection, une fois l’artiste et sa chanson dédiée à l’Eurovision trouvée, un tunnel se met en place.
Pendant des mois, jusqu’au soir de la finale, les artistes pensent, vivent, respirent pour le concours. « C’est un véritable tourbillon. Le samedi soir, on est sélectionné, et le dimanche, on est au 20 heures de France 2 », se rappelle Émilie Satt, autre membre du duo Madame Monsieur.
Répétition, tournée médiatique, rencontre de fans, concerts… Tout se met en place. Et si les représentants français pour l’édition 2018 ont le souvenir de cette préparation intense, nos autres interlocuteurs assurent avoir « participé sérieusement », mais avec plus ou moins d’intensité.
J’avais l’habitude de répéter chaque semaine avec le groupe, ça changeait rien, on a juste ajouté la chanson.
Jessy Matador
Représentant pour l’Eurovision 2010
« On a fait ça sérieusement, dès le départ, on avait réfléchi, bon peut-être mal, à écrire une chanson pour l’Eurovision, tout en restant dans l’esprit des Fatals Picards », confirme Laurent Honel qui a vu dans le tourbillon Eurovision l’occasion d’être connu par le grand public.
Un tourbillon médiatique (bénéfique)
Le soir de la finale de l’Eurovision, c’est plus d’une centaine de millions de téléspectateurs. Mais avant ce coup de projecteur mondial, le représentant d’un pays prend la lumière au niveau national.
L’occasion pour les Fatals Picards et Madame Monsieur, chacun à leur époque respective, d’être connus du grand public, même s’ils étaient déjà dans le monde de la musique. Les premiers travaillaient sur leur deuxième album quand les seconds avaient juste sorti un EP.
En 2010, quand Jessy Matador est choisi, il est déjà connu par le grand public depuis la sortie de Décala Gwada en 2008.
« En plus du challenge, je travaillais sur mon deuxième album, alors c’était comme une promo », reconnaît l’artiste.
Sur place, on y croit
Après des mois de préparation vient la dernière ligne droite. Deux semaines avant la finale, les artistes se rendent sur les lieux de l’Eurovision.
Répétitions quotidiennes en public, rencontre avec des fans… tout est millimétré lors du dernier coup de collier. Et c’est la découverte de la machine Eurovision, de la « chorégraphie », comme ils le disent tous, où « rien n’est laissé au hasard ».
On découvre aussi une autre ambiance. En France, les gens s’en fichent de l’Eurovision, là c’est différent.
Jessy Matador
Représentant pour l’édition 2010
Et c’est là que les pronostics se font et se défont. « Au fur et à mesure des jours, on voit que ça monte chez les bookmakers », se remémore Jessy Matador. Même si au départ, « on me donnait dernier alors si j’étais avant-dernier, j’aurais réussi », le chanteur se prend à rêver d’un top 5.
Le jour de la finale, les journalistes spécialisés nous faisaient de grands sourires, on y croyait.
Emilie Satt
Membre de Madame Monsieur, représentant pour l’Eurovision 2018
S’ils ont voulu y croire, les Fatals Picards, eux, étaient restés sur leurs gardes. « Il y a une dimension géopolitique indépendante de la prestation, on l’avait bien vu en comparant nos préférences et les votes lors des demi-finales », se remémore Laurent Honel pour qui « entre 7e et 12e, ça aurait été bien ».
Désillusion
Mais aucun de ces trois artistes n’atteint son objectif. « J’ai appris le mot antépénultième du coup », plaisante Laurent Honel. Le groupe termine en effet à la 22e place du concours. Sur 24.
Pour Madame Monsieur, alors qu’ils commencent les votes avec les fameux 12 points et se retrouvent à la tête du classement, les places baissent et baissent et ils terminent 13e sur 26.
Toutefois, ils obtiennent le deuxième score le plus élevé pour la France (173 points) après la sixième place d’Amir en 2016 (257 points). Et ils remportent le Prix Marcel-Bezençon de la presse.
Quant à Jessy Matador, il termine 12e sur 25. « J’étais dégoûté, je n’aime pas perdre. »
« Triste », « dégoûté », l’annonce des résultats laisse, sur le coup, un goût amer à nos artistes. Avant de rebondir.
Acceptation (et capitalisation)
Car pour aucun d’entre eux, le résultat à l’Eurovision n’a été une fin en soi. Bien au contraire.
Quand on rentre, on a des dizaines de concerts programmés, notre deuxième album sort, se vend bien. On arrive à augmenter nos cachets, on est loin d’être des losers.
Laurent Honel
Guitariste des Fatal Picards, représentants pour l’Eurovision 2007
Et aujourd’hui encore, le groupe joue l’Amour à la française sur scène. « Ce n’est pas un tube, mais beaucoup s’en rappellent en France. »
Jessy Matador lui aussi sort son album, et son Allez Ola Olé est le son de l’été 2010.
« On est numéro 1 dans 40 pays, je fais le tour du monde. L’Eurovision permet une visibilité incroyable, c’est que du bon », analyse celui qui continue à être investi dans le concours, notamment en participant au pre-parties, ces concerts organisés avec des participants actuels et anciens, en amont de la finale.
Madame Monsieur ne tourne pas non plus le dos à Eurovision France, puisque dès l’année suivante, ils participent à l’écriture de Roi, la chanson de Bilal Hassani (16e sur 26 au classement).
Le duo continue sa carrière, avec notamment la sortie de son dernier single Cinéma fin mars 2025, mais surtout, la chanson Mercy est devenue un classique de la playlist des Eurofans.
Ça nous a complètement dépassés et c’est notre plus grande fierté. Aujourd’hui Mercy est étudiée dans les écoles en France et à l’étranger. Nous sommes même intervenus dans le cours d’un professeur d’histoire-géographie dans un collège à côté de chez nous.
Emilie Satt
Membre du duo Madame Monsieur, représentant à l’Eurovision 2018
Alors Louane peut se rassurer : qu’importe le résultat, il y a toujours du bon à tirer de cette expérience. La représentante du cru 2025 l’a d’ailleurs bien compris en annonçant la sortie de son premier best-of qui sera disponible à la vente le 9 mai, soit une semaine avant la finale de l’Eurovision.
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