DISPARITION – Le metteur en scène et directeur d’opéra s’est éteint subitement dans la nuit du 2 au 3 mai. Il était âgé de 67 ans.

C’est le plus sinistre des coups de théâtre et malheureusement ça n’est pas du théâtre : Pierre Audi est mort cette nuit, à 67 ans, à Pekin où il remontait une de ses mises en scène. Il laisse derrière lui deux jeunes adolescents et une œuvre importante. Metteur en scène, on lui doit maintes productions. Pour l’opéra de Paris, il a signé notamment La Juive et Tosca repris la saison prochaine mais aussi Fin de Partie de Kurtag. Depuis 2018, il dirigeait le Festival d’Art Lyrique d’Aix en Provence.

Pierre Audi avait une vision. Il entendait qu’un festival étonne, et avait réussi, malgré les difficultés financières dévoilées l’an dernier, à imprimer sa marque à Aix en Provence. Qu’on en juge: on sait qu’à Aix, crée à l’origine autour de l’œuvre de Mozart, il convient de programmer chaque année un opéra de ce compositeur. Audi avait créé la surprise en présentant pour sa première saison le Requiem, dans une mise en scène de Castelluci. Auquel Résurrection  dans un nouveau lieu à Vitrolles avait fait écho. Autre audace : il avait fait rentrer Puccini, jusqu’ici boudé par le festival, et Monteverdi. Et pour cet été, il avait prévu Louise de Charpentier, Don Giovanni, La Calisto, L’histoire de Billy Budd, Les pêcheurs de perles, La force du Destin… « Métamorphose de Calisto, réincarnation de Bouddha, transformation de Louise, Don Giovanni protéiforme… “Il n’y a rien de stable dans l’univers ; tout passe, toutes les formes ne sont faites que pour aller et venir” avance Ovide dans ses Métamorphoses, dépeignant à travers La Calisto de Cavalli un fascinant continuum entre la nature, les hommes et les dieux », énonçait-il dans son dernier éditorial.

Le nec le plus ultra des chanteurs, des metteurs en scène et des chefs

Au moment d’achever son premier mandat à la tête du festival, il y avait affirmé combien il était crucial pour la manifestation de défendre aussi la création contemporaine. Il avait également insisté pour que les éditions se suivent et ne se ressemblent pas, pour garder intact la surprise de chaque édition. Ça plaisait, ça ne plaisait pas mais on ne pouvait rien dire avant d’avoir vu.

Audi brillait, Audi charmait. Dans le milieu, il avait la réputation de réussir à attirer à Aix – et l’édition 2025 le prouve encore – le nec le plus ultra des chanteurs lyriques, des metteurs en scène et des chefs. Il était difficile de lui résister. Né à Beyrouth, en 1957, dans une famille de banquiers, il a très tôt la passion du théâtre. Au lycée français, il crée un ciné-club où il convie Pasolini ou Jacques Tati à venir présenter leurs films. Ses parents déménagent en France où il achève sa scolarité à Stanislas, puis part à Londres : il étudie l’histoire à Oxford et là encore, creuse son chemin dans le théâtre. Il met en scène Shakespeare, et crée à 22 ans , l’Almeida Theatre, marqué pour ses recherches expérimentales. L’opéra le rejoint : on peut y mener toutes les expériences de mises en scène et avec davantage de moyens. En outre, la musique expérimentale s’était vite invitée dans son travail à l’Almeida. En 1988, il prend la direction de l’Opéra National des Pays Bas. Il y restera 30 ans, donnant à la maison l’envergure des plus grandes : il y fait donner pour la première fois le Ring, mais passe également commande à Schnittke, ou Peter Greenaway et Louis Andriessen pour Writing to Vermeer.

Audi est un travailleur aussi infatigable que sa curiosité est insatiable. Sous ses airs posés, il en demande plus car il n’est jamais à court d’idées. En 2008, il cumule avec le Holland Festival, en 2015 avec le Park Avenue Armory de New York dont il gardera la direction pendant son mandat Aixois. Ce fils de banquier, qui avait mené la direction de l’Opéra des Pays Bas avec l’honnêteté rigoureuse des protestants du pays, avait été très blessé de trou financier survenu dans le budget du festival d’Aix l’an dernier. Pris par son enthousiasme et son ambition, il avait espéré plus de mécènes qu’il n’en était venu. Contrairement à certains capitaines qui quittent le vaisseau quand il coule, il avait voulu rester à bord pour redresser la maison. À laquelle il avait, discrètement, sans vouloir le publier, reversé de l’argent de sa poche. Le monde de l’opéra perd un seigneur.