Publié le
4 mai 2025 à 9h30
En bon photographe, François Decaëns aime la lumière à Caen (Calvados). Il adore jouer avec elle, ses reflets, ses contrastes. Mais hors de question pour lui d’y entrer, de tirer la couverture à lui.
Il préfère les photographes « qui se cachent derrière leur appareil »
Chez ses illustres pairs, ce capteur d’images officielles pour l’ex Région Basse-Normandie et pour la Ville de Caen préfère « ces gens très modestes, qui se cachent derrière leur appareil ». Comme Willy Ronis – « un homme délicieux », Édouard Boubat ou Robert Doisneau.
À l’échelle de Caen, où il est né en 1965, où il a presque toujours vécu, François Decaëns est de cette sensibilité. Qu’il exprime un peu dans son travail institutionnel, quand les événements couverts et la communication verrouillée des élus le lui permettent. Et beaucoup plus au quotidien, dans ces photos prises en se « promenant dans les rues » de Caen, le nez et les yeux bleus levés vers le ciel.
La photographie ? « C’était plus facile »
Jusqu’ici, il les avait gardées pour lui, quelque part. « Je n’ai aucune photo de moi accrochée à la maison. » Il a attendu d’avoir 60 ans pour en publier certaines dans un livre « intime », Caen. Points de vue, édité à 4 000 exemplaires par la librairie Publica, rue Saint-Jean.
Caen, sa ville, en arrêts sur images
Le premier livre personnel du photographe François Decaëns provient d’une question, qui entête son éditeur, le libraire Christophe Scelles. « Pourquoi personne jusqu’ici n’a usé de ses photos de Caen ? Ce ne sont pas des images qu’on a l’habitude de voir. »
Le repreneur et gérant de la librairie religieuse Publica, rue Saint-Jean à Caen, « a confiance ». Il a fait imprimer 4 000 exemplaires du deuxième ouvrage, seulement, édité par ses soins. En plein Millénaire, « on a voulu faire autre chose qu’un énième livre d’Histoire sur Caen ».
En une centaine de pages, le livre Caen. Points de vue intrique des photos exclusives de François Decaëns et de courts textes de vingt personnalités nées ou passées par Caen. Comme la journaliste et productrice Laure Adler, et son souvenir de « la rue du Gaillon », « là où ma grand-mère va m’accueillir […] la rue où je vais tout apprendre » , l’écrivain et critique Jean-Louis Ezine, et son évocation lyrique de la Prairie, Alain Genestar, l’ancien patron du JDD et de Paris-Match, qui se rappelle de sa naissance « dans un baraquement américain bleu ciel », des maisons suédoises, « des collines de lierre recouvrant les décombres », etc.
En regard, François Decaëns dialogue avec des clichés un peu joueurs, qu’il a pris au boîtier ou au téléphone, « il y a sept ou huit ans » ou « jusqu’à deux jours » avant le bouclage de l’ouvrage. On y retrouve des panoramas de Caen à toutes les saisons, des vues d’églises, des détails de l’Université, de terrasses, de concerts, saisis sur le vif ou très composés. « J’ai choisi les photos qui me sont restées à l’esprit, qui sont en relation intime avec les endroits où je vis », relate François Decaëns. « J’y ai laissé les imperfections, les contre-jour violents [comme en couverture du livre]. Souvent, je vois plus les formes que le sujet. »
Elles sont révélées par la mise en page d’Anne Sablery. La graphiste, selon Christophe Scelles, « a trouvé des correspondances entre les photos, des associations de formes et de couleurs », dont François Decaëns n’a pas toujours conscience. On retrouve dans son livre ses figures de style préférées. « J’adore les effets de miroir. C’est une autre façon de voir Caen, c’est comme une autre ville qui se réfléchit. »
Un ouvrage bourré de « clins d’œil », où apparaissent « plusieurs fois » ses enfants. Mais lui, jamais. Pas de selfie, pas d’autoportrait. Seul son regard, parfois inattendu, sur les lieux, les personnes qu’il croise, les instants décisifs ou non, y transparaît.
Vidéos : en ce moment sur ActuAu Louvre ou sur les chantiers de fouille à Caen
Comment l’a-t-il forgé, ce regard, lui qui « voulait être peintre » et a adopté la photographie parce que « c’était plus facile » ? Pour François Decaëns, tout a peut-être commencé avec son père, Joseph, grand archéologue médiéval au château, décédé en 2016, après être resté 16 ans maire de Louvigny. « Il m’emmenait au Louvre, à Paris, le dimanche matin. On allait voir deux tableaux, pas plus, et il m’expliquait. »
Il le traînait aussi sur les chantiers de fouille. Discret, François Decaëns se confie à mots comptés. Une révélation lui vient quelques heures après notre entrevue, par SMS.
Je crois que j’ai appris à regarder les couleurs sur les strates successives des chantiers archéologiques. Des couleurs par époque, qui s’entremêlent.
François Decaëns, photographe
Ces couleurs, il en a joué pour la première fois après la fac d’Histoire à l’Université de Caen, « dans un studio de photo sur le port, qui ne faisait que de la pub ».
Après, il entre à la direction régionale des affaires culturelles (DRAC), à l’inventaire du patrimoine, « pour éviter l’armée ». « Je ne devais faire que deux ans à l’époque, j’y suis resté 14 années. » C’est là qu’il rencontre Pascal Corbières. « Il m’a enseigné la rigueur, il m’a appris la technique, pour mieux m’en passer. » À deux, ils parcourent « toute la Basse-Normandie ». « On a découvert de ces tableaux dans les églises », se souvient le fervent amateur du peintre Jacques Deschamps, dont il a racheté la maison.
À l’écart depuis un an
Par la suite, il passe au service communication de l’ancienne Région. « Ce n’est pas le même boulot. On est plus au contact des gens. » Avant que Philippe Duron, un « ami » de son père, et maire de Caen de 2008 à 2014, ne l’attire à la Ville de Caen. Il y a œuvré depuis, « sérieusement, sans se prendre au sérieux ».
Dans son livre, François Decaëns glisse des vues parfois joueuses de sa ville natale. ©François Decaëns
Jusqu’à l’an dernier, et cette maladie respiratoire qui le tient en arrêt longue durée. Un peu coupé du monde, à l’écart des affaires municipales, mais pas de ses passions constantes pour le dessin, pour les livres.
Tout en se formant à la reliure, François Decaëns figure, en « gros lecteur », au jury du Prix littéraire de la Ville, dont il prépare une exposition, pour son demi-siècle d’existence, en 2026.
Pratique. François Decaëns, Caen. Points de vue, Éditions Publica, 114 pages, 20 €. Disponible en commande sur le site www.librairie-publica.fr
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