A 67 ans, Klaus Barbie est colonel dans l’armée bolivienne. En confiance, loin de l’Europe, il va se livrer six jours durant à un journaliste allemand, Gerd Heidemann, en plein cœur de La Paz, en août 1979. Dans une ambiance bonne enfant, souvent accompagnée de levers de coudes, le boucher de Lyon s’emploie à narrer ses actes terribles, sans regrets ni remords, éclats de rire à l’appui.

« C’est pour ça que je le respecte »

« Jean Moulin, il n’a pas été torturé, on ne l’a pas touché », lâche Barbie. Des archives exceptionnelles rendues publiques par l’université américaine de Stanford. Près de 14 heures d’interview dont La Tribune dimanche et France Info diffusent des extraits ce 4 mai.

« J’ai longuement discuté avec lui, de politique et de tout. Il m’a dit à l’époque : vous perdez la guerre, vous ne pouvez pas y arriver. Un homme très intelligent. J’ai essayé de le retourner, lentement, mais je n’y arrivais pas. Rien. Pas un son, pas un mot », décrit Klaus Barbie dans cet enregistrement. Tant qu’on parlait avec lui de choses politiques, il était ouvert. Mais dès que je commençais à lui demander de parler de Londres, de son saut en parachute, de ses activités, c’était fini. C’est pour ça que je le respecte. »

« Il prenait de l’élan et entrait avec la tête dans le mur et s’ouvrait le crâne »

Sur la mort de Jean Moulin, le chef de la Gestapo à Lyon n’a jamais dévié, c’était un suicide. Mais ici, il livre de nouvelles circonstances. « Il s’est suicidé. En prison, nous avions une cave en bas. C’est là que [Jean Moulin] a fait une tentative de suicide. Il était certes attaché par les mains mais je ne l’avais pas fait attacher par les pieds. Je n’y ai pas pensé. Les gardiens n’ont pas fait attention. Il prenait de l’élan et entrait avec la tête dans le mur et s’ouvrait le crâne. C’est pour ça qu’il est mort. Puis, il a été transporté à Francfort et il est mort pendant le transport », raconte Klaus Barbie.

« Il a été tellement torturé qu’il est dans l’incapacité de dire quoi que ce soit. Vu l’importance de sa prise, on le transfère de Paris à Berlin », racontait au Progrès l’historien Laurent Douzou. Pour autant que l’on sache, Jean Moulin est mort dans un train à hauteur de Metz, le 8 juillet 1943.

« Klaus, j’ai fait comme tu me l’as demandé, j’ai déposé une fleur… »

Au cours de discussions à bâtons rompus, impossible pour le tortionnaire de ne pas réaffirmer sa fierté d’avoir arrêté celui qui se faisait passer pour « Jacques Martel, un artiste ».

Et toujours avec ce cynisme chevillé au corps : « Un ami de passage à Paris m’a appelé et m’a dit : Klaus, j’étais aujourd’hui sur la tombe de Jean Moulin et en ton nom, j’ai fait comme tu me l’as demandé, j’ai déposé une fleur… »

Quatre ans après le séjour bolivien de Gerd Heidemann, Klaus Barbie est extradé vers la France puis jugé coupable de crimes contre l’humanité et condamné à la perpétuité, le 4 juillet 1987.