Lʼinvasion de lʼUkraine a permis à lʼestablishment allemand – entre autres – de se lâcher. Le budget de la Défense a explosé et de 70 000, le nombre de travailleurs dans lʼindustrie de la guerre est maintenant passé à 500 000. Comment expliquer cette militarisation ? Nous avons rencontré Ulrike Eifler, membre de la direction du parti de gauche Die Linke, pour faire le point.

Si lʼEurope était un train vers la guerre, lʼAllemagne serait une locomotive. Alors que la classe travailleuse a besoin dʼinvestissements pour les gens, les dirigeants préfèrent investir dans les canons. Nous avons rencontré une habituée de ManiFiesta : Ulrike Eifler, membre de la direction de Die Linke et porte-parole fédérale du groupe de travail fédéral Entreprise & Syndicat.

Le seul budget que le nouveau gouvernement en Belgique a augmenté est celui de la défense. Et en Allemagne, les dépenses pour la guerre explosent. À quoi est-ce dû, selon vous ?

Ulrike Eifler. En Allemagne, la hausse des dépenses militaires s’explique par deux évolutions. D’abord, l’Allemagne cherche à reprendre son rôle de leader mondial et européen. Le Chancelier (qui dirige le gouvernement, NdlR) Olaf Scholz, en août 2022, a justifié les livraisons d’armements à l’Ukraine en expliquant que l’Europe, avec l’Allemagne à sa tête, devait jouer un rôle majeur face aux tensions entre les États-Unis et la Chine.

Ensuite, l’Allemagne est en récession, et certains voient la militarisation comme une forme de relance économique. L’industrie de l’armement devient un secteur clé, avec des propositions d’investir jusqu’à 5% du PIB dans la défense.

Ulrike Eifler, membre de la direction de Die Linke et porte-parole fédérale du groupe de travail fédéral Entreprise & Syndicat. (Photo DR)
Quelles sont les conséquences de cette militarisation pour les travailleurs ?

Ulrike Eifler. Chaque euro investi dans l’armement est un euro qui manque pour les services sociaux. Par exemple, un char coûte 27 millions d’euros et les fabricants de chars se sont lancés dans la production en série. Cette somme n’est pas utilisée pour financer les retraites ou l’éducation, mais pour renforcer l’armée. De plus, dans cette atmosphère de renoncement, les revendications sociales sont affaiblies. Les travailleurs subissent également une militarisation des services publics. Par exemple, le secteur de la santé est réorganisé pour prioriser les besoins militaires, ce qui prive les citoyens de services essentiels.

Lors de votre visite à ManiFiesta lʼannée dernière, vous aviez expliqué que le gouvernement allemand multipliait la publicité pour l’armée. Comment agit-il ?

Ulrike Eifler. La Bundeswehr est omniprésente dans la vie quotidienne, notamment par des campagnes de recrutement et de valorisation de son image. Par exemple, des boîtes de pizza et des sachets de pain portent des slogans incitant à rejoindre l’armée. Des affiches dans les arrêts de bus montrent des soldats, avec des messages comme « Le plus grand mouvement pour la paix », une façon de normaliser la pensée militaire. Le gouvernement va même jusqu’à diriger les demandeurs d’emploi vers l’armée grâce à un accord avec l’Agence fédérale pour l’emploi. Et en tant que militaires, pas en tant que civils.

Le géant allemand de lʼindustrie de la guerre Rheinmetall prévoit de doubler son chiffre dʼaffaires dʼici 2027. (Photo Torsten Pursche)
Que vise le gouvernement en exposant les gens à cette publicité ?

Ulrike Eifler. L’objectif est de recruter du personnel pour l’armée et de préparer la population à accepter une guerre contre la Russie. En normalisant la présence militaire dans la vie quotidienne, le gouvernement cherche à obtenir le soutien tacite de la population et à faire accepter cette guerre en cas de nécessité, ou à minimiser l’opposition à cette guerre.

Les gens sont-ils favorables à l’idée de partir en guerre ou y a-t-il une volonté de paix ?

Ulrike Eifler. Les Allemands restent globalement réticents à l’idée de partir en guerre, car cela fait 80 ans qu’ils vivent en paix. Pourtant, la propagande gouvernementale, qui met en avant la menace d’une attaque russe et la nécessité de sauvegarder les droits humains en Ukraine, engendre l’incertitude. La gauche, les syndicats et les mouvements pacifistes travaillent pour convaincre les travailleurs que cette guerre serait nuisible à leurs intérêts. Car, en fin de compte, qui sera envoyé au front ? Pas les élites ni les oligarques, mais les enfants des travailleurs.

L’année dernière, un économiste allemand a utilisé l’expression « des canons plutôt que du beurre ». Quelle est la portée de cette expression ?

Ulrike Eifler. L’économiste Clemens Füß a repris une phrase de Rudolf Hess, bras droit d’Hitler, antisémite, militariste, qui, en 1936, disait qu’il fallait sacrifier les dépenses sociales pour financer l’armement. En 1939, l’Allemagne envahissait la Pologne. Cette citation est utilisée aujourd’hui pour justifier la réduction des dépenses sociales en faveur de la guerre. Le fait que cette citation ne fasse pas scandale est inquiétant. Cela montre une dérive de la pensée politique, et il est important de dénoncer cette idée, à l’origine émise par un nazi, de prioriser les dépenses militaires au détriment des droits sociaux. Nous devons rejeter ces propositions et continuer à défendre les services publics et les droits sociaux.

Retrouvez Ulrike Eifler à ManiFiesta !

Que dire aux travailleurs qui ont peur de perdre leur emploi et à qui le gouvernement dit qu’ils devraient travailler dans l’industrie de la guerre ?

Ulrike Eifler. Le gouvernement promeut une politique industrielle favorable à l’industrie de l’armement. L’industrie de la défense en Allemagne emploie désormais entre 400 000 et 500 000 personnes, un bond énorme par rapport aux 70 000 d’avant lʼinvasion russe en Ukraine. Les syndicats sont bien placés pour aider les travailleurs à comprendre ce qui se passe et les encourager à adopter une position critique. Une reconversion de l’industrie de l’armement vers une production civile, utile à la société, est possible. Les syndicats sont aussi là pour garantir de bonnes conditions de travail dans ces industries, tout en luttant pour transformer ces secteurs en atouts pour l’économie civile.

Voyez-vous des réactions alternatives parmi les travailleurs allemands ?

Ulrike Eifler. Il existe de nombreuses initiatives locales de paix, dont certaines sont soutenues par des syndicalistes. Par exemple, une conférence syndicale pour la paix se tiendra cette année à Salzgitter, où une industrie sidérurgique verte est présente. L’objectif est de discuter avec les travailleurs pour réorienter la production vers des biens civils, utiles à la société, comme les trains ou les bus. Ces initiatives grandissent chaque année, avec un intérêt croissant. De plus, une alliance nationale anti-service militaire se forme parmi les jeunes à qui le ministère de la Défense présente le service militaire obligatoire comme une opportunité de travail qualifié et l’armée la garantie d’un avenir et d’un emploi sûrs. Les jeunesses politiques de gauche et syndicales refusent de devenir des soldats et militent contre la militarisation de la société.