Deux flics, Bascombe et Franck, patientent dans leur voiture. Il est à peine 6 h du matin. À leur signal, une escouade de police débarque dans la maison d’Eddie et Manda Miller, un couple sans histoire de la grande banlieue de Londres. Ils montent à l’étage et réveillent brutalement leur fils, Jamie (exceptionnel Owen Cooper), 13 ans. Avec sa tête d’ange, et ses cris effrayés, impossible d’imaginer que le jeune garçon est accusé du meurtre de Katie, une camarade de classe, assassinée la veille sur un parking… Jamie est embarqué au commissariat le plus proche et on lui montre la vidéo. Aucun doute possible, il est coupable. Sorti le 13 mars sur la plateforme Netflix, la série créée par Jack Thorne et Stephen Graham, fait l’effet d’une bombe et a déjà séduit près de 100 000 millions de téléspectateurs !

Tragédie grecque

Première originalité ? Sa forme. Composée de quatre épisodes, tous tournés en un seul et unique plan-séquence, la série passe du commissariat à l’école, puis au centre de détention de Jamie, face à une psy, et enfin dans la maison des parents, le jour des 50 ans du père et à quelques semaines du procès… « C’est une véritable tragédie grecque, avec toute l’influence des réseaux sociaux qui s’emparent de la fragilité des ados, analyse le pédopsychiatre Benoît Blanchard. Avec, en prime, le côté immersif du plan séquence, qui laisse de nombreuses questions en suspens. La série donne des pistes, sans diaboliser la famille, en apportant de l’empathie envers cet adolescent meurtrier et perdu », estime-t-il. Effectivement, dans la famille Miller, il règne beaucoup d’amour. Les parents, qui se connaissent eux-mêmes depuis le collège, sont toujours très tendres, et ils ont fait « au mieux » pour leurs deux enfants. Sauf que… Jamie a du mal à entrer dans les codes de la virilité, il ne joue pas au foot, il préfère dessiner. Et son père est déçu, même s’il ne le montre pas.

On a longtemps pensé qu’un enfant dans sa chambre était en sécurité.

Thèses masculinistes et réseaux sociaux

À l’école, c’est pire, Jamie se fait traiter d’« incel » (mot-valise pour « involuntary celibate », célibataires involontaires), qui désigne la culture des communautés en ligne dont les membres (des hommes) se définissent comme étant incapables de trouver une partenaire amoureuse ou sexuelle, persuadés que les femmes sont la cause de leurs problèmes. « On voit des profils de plus en plus genrés : les filles en dépression, à l’estime de soi en baisse par rapport à des normes véhiculées par les réseaux sociaux, et des garçons avec une carapace masculiniste », explique Benoît Blanchard. La faute à des influenceurs stars comme Andrew Tate ou Alex Hitchens. Ces « stars » des réseaux expliquent aussi comment ne pas accepter la critique. « Ils court-circuitent la parole des parents et des figures d’autorité, comme celles des profs », confirme le professionnel.

Un enfant sur six victime de cyberharcèlement

Face à l’ampleur du phénomène, lundi 31 mars, Keir Starmer, le Premier ministre britannique, a annoncé que la série sera diffusée gratuitement dans les collèges et les lycées au Royaume-Uni. En France, Élisabeth Borne, ministre de l’Éducation, a décliné, estimant que les outils dont on disposait dans les écoles étant suffisants… Sauf qu’un enfant sur six est victime de cyberharcèlement et qu’un sur huit reconnaît être cyber-harceleur… « On a longtemps pensé qu’un enfant dans sa chambre était en sécurité. Or, avec l’accès aux réseaux et à internet ce n’est plus le cas », conclut le pédopsychiatre qui encourage les familles à regarder ensemble l’histoire de Jamie et à en discuter…