C’est un document édifiant que nous vous proposons cette semaine en couverture de l’hebdomadaire : l’interview sidérante accordée par le président américain à trois journalistes du mensuel The Atlantic, un titre qui lui est hostile et qu’il ne manque jamais de son côté de critiquer.

Un format peu courant pour Courrier international, dont la traduction quasi intégrale est à retrouver ci-dessous, et qui nous a paru suffisamment significatif pour y consacrer notre une. Explications.

Lundi 28 avril, à la veille des cent jours de Donald Trump à la Maison-Blanche, le magazine The Atlantic publie sur son site une très longue enquête signée Ashley Parker et Michael Scherer, deux anciennes plumes du Washington Post, sur l’incroyable come-back du milliardaire républicain après sa défaite (qu’il n’a jamais reconnue) face à Joe Biden en 2020 : “Nous voulions savoir avec ses propres mots, écrivent-ils, comment il avait réussi l’un des retours les plus remarquables de l’histoire politique et quelles leçons, le cas échéant, il en avait tirées.” Il s’agit aussi d’établir un premier bilan de son deuxième mandat et de “la transformation radicale du pays et du monde” qu’il est en train d’impulser. Mais voilà, les deux journalistes se voient refuser un entretien en bonne et due forme pour nourrir leur article : ils devront se contenter de quelques réponses éparses au téléphone.

Mais à la fin d’avril, coup de théâtre : la Maison-Blanche accepte finalement le principe d’une interview et convie en plus le rédacteur en chef de The Atlantic, Jeffrey Goldberg, la bête noire du président, celui qui a révélé le scandale du Signalgate*. Le jour même de l’interview, Donald Trump accusait sur son propre réseau social le journaliste de propager de fausses informations : “Croyez-le ou non, mais je vais rencontrer aujourd’hui Jeffrey Goldberg, le rédacteur en chef de The Atlantic, celui qui a écrit tant de fictions sur moi”, fanfaronnait-il sur Truth Social en prélude à l’entretien. Ambiance.

Jeudi 24 avril, Ashley Parker, Michael Scherer, et Jeffrey Goldberg ont donc fini par interviewer longuement Donald Trump dans le Bureau ovale. Ce n’est pas la seule interview que le président américain ait accordée récemment, mais celle-ci détonne. En raison des circonstances même de l’entretien, du passif entre la Maison-Blanche et le magazine, mais aussi de sa tonalité et de l’étonnante cordialité affichée entre les protagonistes. Donald Trump y parle de la décoration du Bureau ovale (“Les gens l’adorent”) comme de son second mandat (“Cette présidence est différente”), de l’Ukraine (“Je suis en train de sauver ce pays”) et du Canada (“On n’a besoin de rien de ce qu’ils ont”) ou encore de sa carrière politique (“Personne n’a été autant cloué au pilori que moi”) et de ses réussites (“Une des choses dont je suis peut-être le plus fier, ce sont les relations internationales”).

The Atlantic a choisi de publier cette interview le même jour que la très longue enquête sur le come-back de Trump. En la lisant, nous nous sommes tout de suite interrogés sur la meilleure façon de la partager avec nos lecteurs : fallait-il simplement résumer le propos ? Se lancer dans une traduction ? Dans quels délais, alors que l’hebdomadaire bouclait très en avance une fois de plus en raison des ponts du mois de mai ? N’y avait-il pas surtout un risque de saturation ?

Nous avons finalement tranché pour une traduction (par l’un de nos traducteurs) de l’interview. Parce qu’elle dit au fond beaucoup de choses que l’on perçoit parfois de loin ou à travers la parole ou les écrits des autres. Chacun sera seul juge des propos et de la logique du président américain. Il ne s’agit pas de phrases rapportées ou sorties de leur contexte, ni d’interprétations : c’est Donald Trump dans le texte (ou dans sa tête), et, sur la longueur, c’est très instructif. “La première fois, je me battais pour ma survie et pour diriger ce pays. Cette fois, je me bats pour aider mon pays et aider le monde”, dit-il notamment. À lire absolument jusqu’au bout.

* Dans un article publié à la fin de mars, Jeffrey Goldberg avait expliqué comment l’administration Trump lui avait envoyé ses plans de guerre contre les militants houthistes au Yémen sur l’application Signal en l’incluant par erreur dans un groupe créé sur la messagerie par le conseiller à la sécurité nationale de l’époque, Mike Waltz.