Il avait rêvé de western depuis des décennies. Depuis que dans les années 70, il était allé sillonner le grand ouest américain, avec des envies d’arpenter à son retour cette fascinante Amérique du bout de son crayon. Mais Jean-François Charles ne trouva pas d’éditeur à l’époque pour le suivre dans cette aventure.

Il fallut attendre les années 20 du siècle suivant pour lui en donner le loisir. Et c’est ainsi que le dessinateur a laissé libre cours à son goût pour les terres de pionniers, en adaptant, façon Western, l’un des mythes de la littérature qu’est le roman Au Cœur des ténèbres , de Conrad. Titre : Au Cœur du désert (le Lombard).

Une adaptation très libre, bien plus même que celle, pourtant géniale, du cinéaste Coppola dans Apocalypse Now.

Une adaptation qui décale le scénario depuis les terres africaines jusque dans les canyons et plaines du Far West, quelques années après la Guerre de Sécession. Une des plus belles réussites du premier semestre de l’année BD.

C’est donc dans le bonheur d’avoir enfin pu réaliser son rêve de western de papier, et couronné de ce succès que Jean-François Charles va séjourner à Nancy et Villers-lès-Nancy les 16, 17 et 18 mai.

D’abord pour une dédicace le 16, à la librairie La Parenthèse (complet). Mais aussi, et surtout même, pour sa participation au festival Villers’BD, pour lequel il a d’ailleurs réalisé un magnifique ex-libris.

Mais en amont déjà, l’artiste affirmera sa présence, sous forme d’une exposition consacrée à son travail aux murs du château de Graffigny visible depuis le 3 mai. Nourrie pour grande partie de planches originales de son dernier opus.

Désert chauffé à blanc

Être confronté aux originaux, c’est s’assurer d’un émerveillement. L’écart entre l’original et la version imprimée étant parfois grand, remonter aux sources fait en effet la jubilation plus grande encore.

Mais avec Charles, le plaisir en est redoublé, l’accrochage donnant non seulement à voir les planches destinées à ses albums, mais aussi des dessins pleines pages, et même des tableaux. Parfois grand format de surcroît !

C’est donc une odyssée en pays de virtuosité auquel nous sommes conviés. Une virtuosité classique dans un style réaliste, animé toutefois d’une vibration traversant aussi bien les corps palpables que les sourdes ambiances, ou l’air étouffant d’un désert ouest américain chauffé à blanc.

À propos de corps, notons que l’artiste n’hésite pas à dévêtir fréquemment les dames, pour en livrer sans ambages la sensualité aux regards du lecteur. Objectivation en bonne et indue forme. Il trahit en cela ses origines dans un XXe siècle où la bande dessinée, pour féminine qu’elle soit du point de vue sémantique, n’en était pas moins un monde d’hommes…

Flibustier boiteux

Heureusement, il sait également célébrer la beauté des femmes vêtues, composant notamment de superbes portraits de China Li, héroïne de la série éponyme, aussi fascinante en disciple de Mao Tsé-toung qu’en tenue traditionnelle chinoise.

Somptueuses, aussi, ses aquarelles inondées de lumière toscane, ou baignées d’un bleu marin intense accroché aux récifs.

Que l’on court l’Inde dans le sillage de ses pinceaux et crayons, que l’on emboîte le pas du flibustier boiteux, qu’on s’attarde dans un bureau de shérif ou au bar d’un saloon en compagnie d’une belle-de-nuit, l’imaginaire cavale, à suivre ainsi les dérives lointaines de Jean-François Charles. Il nous est donné ici à admirer un des grands de la BD, qui sait repousser les limites des petites cases.

Jusqu’au 27 mai 2025, galerie Madame de Graffigny, Villers-lès-Nancy, du mercredi au dimanche, 14 h-18 h 30. Entrée libre.