Créé dans la cité phocéenne juste après la fin de la seconde guerre mondiale par André Mauric, le bureau d’architecture navale français, qui a gardé le nom de son fondateur et fait aujourd’hui partie du groupe Exail, célèbre ce mois-ci son 80ème anniversaire. Désormais principalement basé entre Marseille et Nantes, mais aussi en Belgique et bientôt à Singapour, il a connu une importante croissance ces dernières années. Toujours très actif sur le marché civil, avec des enjeux majeurs en termes de décarbonation et de beaux projets dans la propulsion vélique notamment, Mauric s’est aussi fortement développé dans le domaine militaire, en particulier sur le segment des patrouilleurs et, dans le sillage de sa maison-mère, des drones de surface. L’entreprise entend maintenant accroître sa présence internationale, en particulier en Asie du Sud-Est. A l’occasion des 80 ans de l’entreprise, Mer et Marine fait le point avec son président, Vincent Seguin.
Il y a 80 ans, André Mauric (1909-2003) fondait dans sa ville natale de Marseille un bureau d’architecture navale qui deviendra l’un des grands noms du secteur. Jeune architecte, il travaille durant l’entre-deux guerres au chantier du Pharo et s’intéresse tout particulièrement aux voiliers de course. A la fin des années 20, il dessine son premier bateau et, en 1945, lorsque le second conflit mondial s’achève, décide de créer son propre bureau d’architecture navale. Il s’installe ainsi au 68 rue Sainte, dans le premier arrondissement de la Cité phocéenne, où l’entreprise se trouve toujours. « André Mauric fonde ce cabinet en constatant l’important besoin, après la guerre, de renouvellement de la flottille côtière, qu’il s’agisse de la pêche mais aussi de bateaux professionnels et déjà de navires militaires, petites vedettes ou patrouilleurs. Et comme c’était un fin régatier, il travaillait aussi sur des projets de voiliers de course. Il a ainsi créé les deux grands fondamentaux de l’entreprise : la voile et la plaisance d’un côté, la servitude civile et le militaire de l’autre. Des fondamentaux que l’on retrouve toujours chez Mauric 80 ans plus tard sur la base de projets complexes à hautes performances », explique Vincent Seguin. Avec aussi des projets hors normes, comme récemment les études de conception générale et détaillée de la nouvelle station polaire de Tara Océan, réalisées pour le compte du chantier CMN de Cherbourg qui l’a construite.
La Tara Polar Station.
Plans de la Tara Polar Station réalisés par Mauric.
Le grand retour de la propulsion par le vent
Certes, parmi les activités historiques, celle liée à la plaisance, qui a vu par exemple Mauric concevoir les First 30 qui ont marqué le début des constructions en série chez Bénéteau, a cessé au milieu des années 80. Quant à la voile, le bureau d’architecture marseillais a des références de premier plan, dessinant des bateaux prestigieux comme Pen Duick VI et Kriter V, ainsi que des voiliers de la Coupe de l’America du temps du baron Bich. Une activité qui l’a aussi amené, très tôt, à travailler sur les nouvelles technologies de propulsion vélique, concevant ainsi l’Alcyone du commandant Cousteau, navire expérimental de 31 mètres doté de turbovoiles lancé en 1985 à La Rochelle.
L’Alcyone.
Quarante ans plus tard, l’entreprise a renoué avec cet esprit pionnier en travaillant sur les nouvelles solutions de propulsion par le vent. Elle a ainsi conçu le cargo-roulier Neoliner Origin (136 mètres), équipé de deux systèmes AeolDrive/Solid Sail des Chantiers de l’Atlantique et qui entrera en service cet été, ainsi que le futur patrouilleur des Affaires maritimes doté de la technologie Wisamo de Michelin et dont la livraison est prévue en 2027.
Le Neoliner Origin.
Le futur patrouilleur à voile des Affaires maritimes.
« On ne pourra pas mettre des voiles partout, mais il y a beaucoup d’opportunités pour le faire »
Pour Vincent Seguin, la propulsion vélique est l’une des réponses à la nécessité de décarboner les navires et c’est un marché important qui est en train de naître. « Ce n’est pas anecdotique et nous avons d’autres avant-projets à l’étude. Le secteur de la propulsion vélique est amené à se développer de manière importante, en particulier pour les navires de grande taille exploités sur des routes établies avec des vents favorables. Dans un certain nombre de cas, nous estimons que le vélique est indispensable car il permet de vraiment de réduire la consommation énergétique. Mais ces solutions ne sont pas adaptées à tous les navires. Ce n’est par exemple pas intéressant ou possible pour ceux qui n’ont pas suffisamment de réserve de stabilité, qui font des ronds dans l’eau ou emploient très régulièrement un positionnement dynamique. On ne pourra donc pas mettre des voiles partout, cela dépend notamment du profil opérationnel des navires, mais il y a quand même beaucoup d’opportunités pour le faire ».
L’enjeu majeur et les incertitudes de la décarbonation des navires
Le vélique est l’une des solutions de la décarbonation du maritime, tout comme l’optimisation des systèmes et les nouveaux carburants qui doivent permettre de réduire drastiquement, voire d’éliminer, les émissions de CO2. Un enjeu majeur pour le secteur, alors que les objectifs sont très ambitieux, puisqu’il s’agit de réduire d’au moins 50%, d’ici 2050, les émissions de gaz à effet de serre par rapport aux niveaux de 2008. Ce qui constitue un vrai casse-tête pour les armateurs, les chantiers navals et les architectes. En effet, à l’image de la propulsion vélique, les solutions dépendront des types de navires et de leur profil opérationnel, alors qu’en termes de carburant, aucune solution ne s’impose encore. « On voit beaucoup de choses qui émergent mais on a des problématiques pour chaque solution. Il y a par exemple des velléités sur le méthanol, mais des incertitudes sur la supply chain, l’hydrogène pose des problèmes techniques, en particulier sur la taille des navires et les distances franchissables. Et puis il y a le coût d’exploitation lié à ces nouveaux carburants, dont les courbes de prix restent bien au-dessus de ce qui avait été anticipé il y a quelques années. Face à cette situation, les armateurs ont encore beaucoup de mal à faire des choix et, par conséquent, nous sommes plus aujourd’hui dans une logique d’avoir des réserves d’espace et une disponibilité règlementaire afin de disposer de provisions pour l’avenir », dit Vincent Seguin.
Pour autant, le patron de Mauric en est persuadé : « On assistera à la fin du fuel lourd et du gasoil. Je pense que nous aurons à terme quatre, cinq ou six solutions alternatives. Ce qui va rendre l’exercice encore plus difficile. Mais on a clairement des solutions pertinentes et applicables. Seulement, elles dépendent de la typologie des navires. L’électrification et les batteries sont par exemple pertinentes pour de petits trajets, alors que l’hydrogène peut l’être si le navire est exploité dans un écosystème où cette molécule est disponible. Mais pour certains bateaux, ce n’est même pas un sujet car ils n’ont aucune chance d’embarquer de telles solutions, soit du fait qu’ils n’ont pas une taille suffisante ou que la supply chain ne sera pas disponible ». Et bien sûr, pour que les nouveaux carburants soient pertinents en matière d’émissions, il faudra les produire avec une électricité verte suffisamment abondante, venant par exemple de l’éolien offshore, et de produire les quantités nécessaires.
Optimiser les navires et changer les usages
En attendant, la bataille se joue aussi sur l’optimisation des bateaux, de leurs systèmes et de la manière dont ils sont exploités. « L’optimisation c’est le premier des drivers. La sobriété est le sujet numéro 1, il faut commencer par ça, sur le plan technique comme des usages. Cependant, je me bats aussi contre l’idée que nous n’aurions jusqu’ici rien fait, ou pas grand chose, dans ce domaine. Cela fait presque 40 ans que nous avons eu notre premier logiciel d’hydrodynamique, nous avons cumulé des milliers d’heures de calculs pour concevoir des carènes plus efficaces, réduire la masse, optimiser les réseaux et les capacités. Beaucoup de choses ont déjà été faites et, s’il y a encore des gains à réaliser, il ne faut pas rêver, cela ne se calculera pas en dizaines de pourcents. Si l’on imagine qu’en améliorant la conception et la construction on pourra atteindre les objectifs de 2050, on se fourvoie. La seule manière d’y parvenir, de ce point de vue, est de repenser complètement l’usage des navires, c’est une question pour les armateurs ». C’est le choix qu’a justement fait Neoline avec un cargo spécialement conçu pour naviguer moins vite et être exploité sur une ligne où les conditions de vent permettent d’utiliser au maximum cette énergie. Mais cet exemple ne peut pas être dupliqué partout.
Combiner les solutions
Pour les autres navires, il faudra combiner les solutions : « Il faut mixer les solutions et continuer d’optimiser. La voile par exemple est, dès que cela est possible, nécessaire, mais ce n’est pas suffisant. De petits bateaux, sur des liaisons courtes, pourront être équipés de batteries. L’hybridation est aussi très pertinente pour gérer les pics de charge et produire la puissance la plus adaptée au cycle moyen des moteurs. La dernière brique, ce sera celle des combustibles décarbonés mais, à ce jour, savoir si l’on s’orientera plus vers du e-fuel, de l’hydrogène ou de l’ammoniac, seul un devin, ce que je ne suis pas, serait capable de le dire. Ce dont je suis cependant certain, c’est qu’il faut prendre les choses dans le bon ordre ».
Fruit d’un programme innovant auquel a participé Mauric, le chalutier diesel-électrique de 24 mètres Arpège est resté sans suite.
Le casse-tête de la pêche
L’un des secteurs où cette transition écologique est la plus complexe est sans nul doute celui de la pêche. « C’est une activité dure et très énergivore qui présente de multiples difficultés, notamment d’un point de vue économique. C’est un secteur très dispersé, avec beaucoup de petits armements individuels et artisanaux, qui a du mal à se fédérer et travailler sur une feuille de route commune. Et puis ce n’est pas une activité homogène, il y a beaucoup de types de bateaux différents. Dans le même temps, les pêcheurs sont confrontés à une importante problématique de visibilité sur les quotas, mais aussi les emprunts car il est bien difficile de se projeter sur 10 ou 15 ans. Ils ont donc, pour leurs nouveaux bateaux, une approche assez conservatrice et on peut les comprendre. Dans ce contexte d’incertitude, ils ont aussi tendance à vouloir des bateaux de plus en plus polyvalents, qui puissent par exemple faire de la coquille à la saison et du chalut le reste du temps, pour d’autres de la palangre et du casier et peut un être un jour prévoir de la senne, il faut également pouvoir pêcher mais aussi traiter le poisson à bord, etc. Il en résulte un alourdissement des bateaux qui sont encore plus compliqués à optimiser ».
« Dès que le bateau est compliqué et plus cher, il n’y a pas de client »
Le sujet ne date pourtant pas d’hier, rappelle Vincent Seguin : « il y a presque 20 ans que nous avons commencé à expertiser et auditer des bateaux de pêche pour les optimiser, mais ce n’est qu’à la marge ». Quant aux modèles innovants, du chalutier diesel-électrique à la propulsion hydrogène, un certain nombre de projets pour concevoir des bateaux de pêche plus « verts » ont tourné court, où n’ont pas débouché sur d’autres réalisations, à l’image d’Arpège (2015), sur lequel Mauric a travaillé. « Il y a eu plein de tentatives mais ça n’a pas marché. En fait, dès que le bateau est compliqué et plus cher, il n’y a pas de client. Il y a une réalité financière qui fait qu’entre les capacités d’investissement et les coûts d’exploitation, le problème est assez insoluble », reconnait le président de Mauric, qui veut cependant croire que des avancées sont possibles : « Il y a des sujets où il faudrait repenser la pêche et que tout le monde arrive à se mettre autour d’une table pour réfléchir aux gains que l’on peut obtenir sur tous les aspects. Mais pour cela, il faudrait déjà résoudre les difficultés structurelles de la pêche en lui offrant un modèle pérenne, en particulier sur les quotas et les cours ».
Trois changements d’actionnaires entre 1999 et 2016
Mauric, qui travaille avec la pêche depuis ses débuts, a parfois, dans son histoire, affronté les mêmes tempêtes que ce secteur, dont il dépendait plus ou moins selon les périodes. Ainsi, durant la crise des années 90, le bureau d’architecture, alors dirigé par Jean-Charles Nahon (aux commandes depuis 1985), se retrouve en difficulté. Jean-Pierre Le Goff, via la Société d’Ingénierie de Recherches et d’Études en Hydrodynamique Navale (SIREHNA), qu’il détient et qui est basée à Nantes, vient alors en aide à Mauric et acquiert 100% de son capital en 1999. C’est cette année là que l’entreprise, marseillaise depuis l’origine, devient aussi nantaise avec l’ouverture d’un bureau dans la Cité des ducs de Bretagne. « C’était au début une antenne commerciale puis il y a eu l’embauche d’un premier dessinateur et un bureau d’études a finalement été monté, qui est devenu en 2010 équivalent en termes d’effectifs à celui de Marseille », se rappelle Vincent Seguin, ingénieur naval arrivé dans l’entreprise en 2002, aux débuts du bureau nantais. Pascal Lemesle rejoint Mauric à cette époque et en assure la direction avec Jean-Charles Nahon. En 2008, DCNS (qui devint plus tard Naval Group) dont le président est alors Patrick Boissier, rachète SIREHNA, mais Mauric ne l’intéresse pas. Les actions du bureau d’études sont reprises, en leur nom propre, par Jean-Pierre Le Goff, Jean-Charles Nahon ainsi qu’Hervé Guillou, ancien de la Direction des Constructions Navales et de la Direction Générale de l’Armement, passé ensuite par TechnicAtome et qui est à ce moment-là patron des systèmes de défense et de communication d’EADS (il succèdera en 2014 à Patrick Boissier, DCNS devenant trois ans plus tard Naval Group). Mauric va, ainsi, passer huit ans avec ces trois hommes pour actionnaires. Puis, en 2016, l’entreprise est rachetée par ECA, dont Hervé Guillou deviendra président du conseil d’administration en 2021, la filiale du groupe Gorgé fusionnant l’année suivante avec iXblue pour devenir Exail. A l’occasion de ce nouveau changement de bannière, Jean-Charles Nahon part en retraite, alors que Pascal Lemesle devient président de Mauric, jusqu’à son propre départ en 2020, année où lui succède Vincent Seguin.
Le bureau de Nantes pour conquérir le Nord du pays
Le développement du bureau nantais, en plus de celui de Marseille, a permis à Mauric de poursuivre son développement, en particulier dans l’Ouest et le Nord de la France, où la proximité géographique est un atout indéniable. « Il faut se souvenir que lorsque le bureau nantais est créé en 1999, Internet en est à ses balbutiements, il n’y a pas de visioconférences et les réunions en présentiel sont hyper-importantes. Mauric travaillait très bien avec l’écosystème du Sud car il était sur place, c’était plus difficile dans le Nord du pays du fait de l’éloignement géographique. D’où l’idée de Pascal Lemesle de créer un autre cabinet à Nantes, ce qui a été très productif et a amené beaucoup d’opportunités. Et si les outils numériques ont beaucoup évolué depuis 25 ans, on reste quand même de fervents partisans des réunions en présentiel, de se déplacer dans les chantiers et de suivre les essais, c’est pour nous très important de maintenir cette proximité avec les chantiers et les armateurs ».
Le Teriieroo a Teriierooiterai, l’un des six POM construits par Socarenam pour la Marine nationale sur des plans Mauric.
Un tandem avec Socarenam pour se faire une place sur le marché des bateaux gris
Dans le Nord du pays, Mauric a notamment développé, depuis 20 ans, un partenariat très fort avec le constructeur boulonnais Socarenam, qui a permis à ce tandem de se faire une place sur le marché des unités militaires et de sécurité, en particulier les vedettes garde-côtes et patrouilleurs hauturiers. Leurs deux premières grandes réalisations furent les patrouilleurs de 43 mètres Kermorvan (2007) et Jacques Oudart Fourmentin (2008) des Douanes françaises, pour lesquelles ils ont ensuite produit un navire de 54 mètres, le Jean-François Deniau (2015), mais aussi deux vedettes de 32 mètres et quatre autres de 27 mètres, livrées entre 2016 et 2019. Mauric et Socarenam ont décroché leur premier gros contrat pour la Marine nationale avec les trois patrouilleurs Antilles-Guyane (PAG), La Confiance, La Résolue et La Combattante (60.8 mètres) mis en service entre 2017 et 2019, puis ont gagné la compétition pour les six nouveaux patrouilleurs d’outre-mer (POM) de 80 mètres, dont les deux premiers exemplaires, l’Auguste Bénébig et le Teriieroo a Teriierooiterai), sont arrivés en 2023 et 2024 dans les bases navales de Nouméa et Papeete. Le troisième (Auguste Techer) rejoindra La Réunion cette année et les trois autres rejoindront leurs ainés dans les deux ans qui viennent. Parallèlement, Socarenam et Mauric ont remporté le programme des six nouveaux patrouilleurs côtiers de 46 mètres de la Gendarmerie maritime dont les deux premiers, le Rozel et le Beuzeval seront mis en service cette année.
Le patrouilleur belge Pollux.
Des patrouilleurs pour la Belgique, la Pologne et l’Irlande
Ces différents succès sur le marché français ont aussi entrainé de premières victoires à l’export. Ainsi, deux patrouilleurs de 54 mètres, les Castor et Pollux, ont été achevés en 2014 et 2015 pour la marine belge, qui a passé commande fin 2024 d’une troisième unité de ce type, le futur Vega, livrable en 2027. Cela, alors qu’un autre patrouilleur, de 70 mètres cette fois et toujours conçu par Mauric, a été réceptionné en octobre 2023 par les garde-côtes polonais.
En plus de ses contrats avec Socarenam, Mauric est aussi actif depuis l’étranger sur ce marché à l’international, notamment via son bureau marseillais qui travaille avec des chantiers méditerranéens. Les architectes français ont, ainsi, fourni les plans du nouveau patrouilleur de 35 mètres que le chantier espagnol Armon de Burela a récemment remis aux douanes irlandaises.
Patrouilleur conçu pour les garde-côtes irlandais et réalisé par Armon.
Cap sur l’Asie du Sud-Est avec l’ouverture d’un bureau commercial à Singapour
« Notre activité sur le marché militaire et des navires étatiques s’est fortement développée. Avec Socarenam, nous avons conçu une large gamme, depuis les vedettes de 27 mètres jusqu’aux patrouilleurs de 80 mètres. Nous avons aujourd’hui de vraies références, y compris des bateaux estampillés par la Marine nationale. C’est un gage de qualité et de performance sur lequel nous voulons nous appuyer pour gagner de nouveaux contrats, y compris dans d’autres pays ». L’international est, en effet, l’un des grands axes stratégiques de Mauric pour les années qui viennent. Et au-delà de l’Europe, où elle travaille déjà, l’entreprise vise des territoires bien plus lointains. Ainsi, elle va ouvrir, au mois de juin, un bureau commercial à Singapour. « Nous voulons nous développer en Asie du sud-est, où nous pensons qu’il y a de belles perspectives. Le marché militaire est évidemment complexe, c’est très étatique, il faut tisser des liens, cela prend beaucoup de temps. Peut-être nous faudra-t-il quelques années pour y parvenir et, en attendant, nous travaillerons sur le civil, les navires à passagers, les petits cargos, ou encore les unités de services aux activités offshore. Depuis Singapour, nous allons donc jouer sur les deux tableaux, civil et militaire, afin de saisir un maximum d’opportunités ».
En Belgique depuis cinq ans avec une nouvelle activité dans les drones pour le compte d’Exail
Ce nouveau bureau commercial asiatique ne sera toutefois pas la première implantation de Mauric au-delà des frontières françaises. Il y a cinq ans, la société a déjà créé une filiale en Belgique, basée à Nivelles (Wallonie) et dédiée à la conception et la production de drones de surface (unmanned surface vehicle – USV) militaires. Cela, dans le cadre du programme des douze nouveaux chasseurs de mines belges et néerlandais, remporté en 2019 par le consortium Belgium Naval & Robotics (BNR), constitué par Naval Group et Exail. C’est ce dernier, à l’époque ECA, qui est chargé de fournir les modules robotisés dont les bâtiments seront équipés. Un système basé sur des drones de surface Inspector 125 (chaque navire embarquera deux de ces engins en matériaux composites de 12 mètres de long) capables de mettre en œuvre différentes charges utiles : un sonar remorqué ou un drone sous-marin pour détecter, localiser et classifier les mines, ou dans une troisième configuration des robots téléopérés pour les identifier et les détruire. S’y ajoute une quatrième variante, avec des USV propulsés par lignes d’arbres et non par des hydrojets, afin de pouvoir remorquer un système de draguage de mines.
USV Inspector 125 déployant un robot téléopéré.
Après avoir développé dans les années 2000 des USV plus petits, de 6 à 9 mètres, ECA s’est appuyé, pour la conception de l’Inspector 125, sur les compétences de Mauric, qui avait rejoint le groupe trois ans avant la signature du contrat belgo-néerlandais. Compte tenu des importantes contraintes liées à la mise en œuvre des charges utiles, le bureau d’études est parti d’une coque éprouvée, en l’occurrence celle des vedettes de sauvetage du type V2NG réalisées pour la SNSM. Des bateaux en composite réputés pour leur robustesse et leur tenue à la mer. Les coques des deux prototypes ont été produites par le chantier Gatto de Martigues, client historique de Mauric. Puis, lorsqu’il a fallu lancer la production en série des Inspector 125, ECA ayant fusionné avec Exail, le groupe a alors choisi de confier ce travail au chantier (ex-iXblue) de La Ciotat, spécialisé dans les bateaux en composite et qui pourra produire quatre coques d’USV par an ; sachant que les douze bâtiments belgo-néerlandais seront livrés entre 2025 et 2030. La tête de série, l’Oostende, a débuté le mois dernier ses premiers essais avec un Inspector 125.
Les coques produites à La Ciotat sont armées et testées à Zeebrugge et Ostende
La Ciotat, qui dispose de deux lignes de production parallèles pour ces USV, transfère les coques, une fois achevées, vers la Belgique par voie routière. Elles passent d’abord par Zeebrugge, où des sous-traitants locaux de Mauric, dont la société belge Gardec, effectuent des opérations de pré-armement sur les futurs USV, qui rejoignent ensuite la nouvelle usine de production de drones implantée par Exail à Oostende. Tous les travaux d’électrification des coques y sont notamment menés, puis les engins terminés, sous le contrôle de Mauric, qui remet ensuite les USV aux équipes belges d’Exail, en charge de leur dronisation et des charges utiles qu’ils embarqueront. « Ainsi, même si les coques sont produites en France, les trois quart de la valeur ajoutée de ces USV se fait en Belgique », dit Vincent Seguin, qui rappelle que le contrat conclu par BNR avec la Belgique comprenait une part importante de contenu local. D’où ce schéma industriel et la création de la nouvelle usine Exail d’Oostende, qui sera appelée, au-delà des besoins belges et néerlandais, à travailler pour d’autres contrats remportés par le groupe français sur le marché international.
Une activité portée par les USV et le doublement du volume des contrats d’architecture
Cette activité dans les drones a, en tous cas, fortement accru le chiffre d’affaires de Mauric car, au-delà de la conception des USV, l’entreprise assure aussi un rôle de maîtrise d’œuvre pour leur construction, ce qui augmente donc significativement sa participation et donc ses rentrées financières. Ainsi, cette nouvelle activité pèse désormais entre 4 et 5 millions d’euros par an, du même ordre que celle liée à l’architecture navale pure. Et elle devrait même dépasser le cœur de métier historique de Mauric dans les années qui viennent. Pourtant, le poids des contrats d’architecture navale, qui varient selon les années et l’ampleur des projets engrangés, a fortement augmenté puisqu’elle générait pour Mauric 2 à 3 millions d’euros annuels avant 2020. Cette activité a donc vu son volume globalement doubler depuis cinq ans.
Développer la part de l’export
L’entreprise, qui emploie désormais une quarantaine de salariés, principalement entre Marseille et Nantes, entend poursuivre son développement, mais de manière raisonnée. « Après une période de forte croissance, nous souhaitons nous stabiliser. On reste des gens prudents et on souhaite avant tout consolider notre activité », explique le président de Mauric. D’autant que le marché français, très porteur ces dernières années, n’est pas extensible et même si des investissements supplémentaires sont annoncés pour les forces armées, l’heure est plutôt aux économies budgétaires. « Dans ce contexte, nous souhaitons assurer nos arrières et, comme nous commençons à être à l’étroit en France et en Europe du Sud, nous souhaitons surtout développer la part de notre activité à l’export. D’où le quatrième site que nous allons ouvrir à Singapour afin de démarcher le sud-est asiatique ».
© Un article de la rédaction de Mer et Marine. Reproduction interdite sans consentement du ou des auteurs.