En réaction aux tensions géopolitiques et à la montée de l’extrême droite, un nombre croissant d’Allemands évoquent ouvertement l’idée de quitter leur pays. La Frankfurter Allgemeine Zeitung décrit cette tendance inquiétante, alimentée par des craintes diverses : la guerre, la dérive politique ou encore la perte des valeurs démocratiques. “Il faut partir tant qu’il est encore temps”, confie un Berlinois, qui exprime un sentiment diffus d’urgence et de résignation.

Dans les cafés de Charlottenburg, dans les salons familiaux ou sur les réseaux sociaux, la question revient : où aller ? Si l’Amérique du Sud, l’Asie ou l’Afrique du Sud sont parfois envisagées, une destination semble dominer les esprits : le Canada, perçu comme un havre de stabilité et de tolérance. “À la fin, il ne reste que l’océan devant l’île de Vancouver”, écrit le quotidien, traduisant le rêve d’un ailleurs idéalisé.

Ce phénomène touche particulièrement les étrangers et les descendants d’immigrés, notamment musulmans et juifs. Après la montée de l’AfD, certains ont exprimé leur désillusion : “Allemagne, tu nous as perdus”, pouvait-on lire sur les réseaux. Cette crispation révèle un malaise plus profond : la crainte de voir l’histoire se répéter.

À cela s’ajoute l’incertitude géopolitique. Le retour de Donald Trump aux États-Unis et son désengagement annoncé vis-à-vis de l’Europe alimentent l’anxiété. La peur d’une attaque russe n’est plus un fantasme, mais un scénario pris au sérieux par certains. “Deux ans, peut-être, avant que Poutine ne frappe”, lance une retraitée berlinoise. Une rhétorique qui rappelle d’anciennes blessures, alors que l’Europe paraît de plus en plus isolée.

Dans ce climat, un best-seller récent résume l’état d’esprit ambiant : Pourquoi je ne me battrai jamais pour mon pays. Son auteur, Ole Nymoen, revendique une posture antimilitariste radicale. Interrogé sur son attitude en cas d’invasion, il répond sans détour : “Je fuirai.” Une déclaration qui divise, entre ceux qui y voient du défaitisme et ceux qui, silencieusement, préparent déjà leur départ.

Loin d’être anecdotique, cette tentation de l’exil révèle une fissure dans la confiance des Allemands envers leur propre nation. Si la situation continue de se dégrader, l’hémorragie pourrait ne plus être seulement symbolique.