Il y a plus d’un siècle et demi, le romantique français Victor Hugo décrivait la France et la Pologne comme “deux sœurs luttant ensemble pour la civilisation européenne”. Force est de constater que leurs intérêts géopolitiques n’ont pas toujours coïncidé. Les Polonais ont souvent été fascinés par France, sans grande réciprocité. À de rares exceptions près, l’une d’elles étant l’époque de Solidarnosc [“Solidarité”, une importante fédération de syndicats fondée en 1980 et un mouvement d’opposition au pouvoir dirigé par Lech Walesa, devenu ensuite président de la Pologne en 1990], où la révolution polonaise sans effusion de sang a particulièrement touché les Français.

Aujourd’hui, de nombreux observateurs français et polonais interrogés par Tygodnik Powszechny s’accordent à dire qu’un tournant s’amorce sur la ligne Varsovie-Paris. Car, cette fois, l’intérêt est mutuel. Depuis que la Russie s’est lancée dans l’invasion à grande échelle de l’Ukraine, il y a trois ans, Paris fonde des espoirs grandissants en Varsovie.

Des relations franco-polonaises longtemps froides

Les années où [les nationaux conservateurs de] Droit et Justice ont été au pouvoir en Pologne [entre 2015 et 2023] ont correspondu à une période de “gel” des relations politiques entre Paris et Varsovie. L’affaire des Caracal, dont la diplomatie française garde un souvenir traumatisant, y a joué un rôle déterminant.

En 2016, le gouvernement de Droit et Justice (PiS) avait rompu un contrat négocié avec la France pour l’armée polonaise de 50 hélicoptères français H225M Caracal, fabriqués par Airbus Helicopters. Du jour au lendemain, le gouvernement Droit et Justice avait annoncé avoir choisi des Black Hawk américains. Si le gouvernement polonais s’est engagé à verser une indemnité de 80 millions de zlotys [18,5 millions d’euros] en 2021 pour la résiliation unilatérale du contrat, il a fallu bien du temps pour rétablir la confiance entre les deux pays.

L’approche de Paris n’a rien de surprenant quand on sait que les Français tiennent à l’industrie de l’armement comme à la prunelle de leurs yeux, et s’enorgueillissent de leur indépendance vis-à-vis des États-Unis. Selon les dernières analyses de l’Institut international de recherche sur la paix de Stockholm (Sipri), la France se hisse à la deuxième place parmi les exportateurs d’armes dans le monde. Les armes françaises représentent près de 10 % des ventes mondiales d’équipements militaires. Certes, elle reste loin derrière le leader incontesté, les États-Unis (43 %), mais elle devance la Russie, troisième du podium (avec presque 8 %).

En outre, jusqu’au déclenchement de la guerre à grande échelle en Ukraine, Paris et Varsovie étaient divisés sur leur approche de la Russie. Après l’annexion de la Crimée et la guerre dans le Donbass [en 2014], le président Emmanuel Macron a tenté à plusieurs reprises de procéder à une “réinitialisation” [des relations] avec Moscou.

Et la violation de l’État de droit par le gouvernement du PiS et ses bras de fer constants avec Bruxelles ont constitué un obstacle aux relations franco-polonaises.

Le revirement d’Emmanuel Macron sur l’Ukraine

L’ouverture actuelle a été rendue possible par le changement de cap du président français vis-à-vis de la Russie en 2022 et l’arrivée du gouvernement proeuropéen de Donald Tusk, en Pologne, à l’automne 2023. “Le discours d’Emmanuel Macron, en mai 2023, peut être considéré comme un tournant. Il a admis – même si c’était à demi-mot – sa culpabilité d’alors, en reconnaissant que l’Occident avait “oublié” d’écouter les avertissements contre la Russie venant de l’Europe de l’Est”, explique Pierre Buhler, ancien ambassadeur de France à Varsovie entre 2012 et 2016.

Une allusion à peine voilée “à une déclaration bien connue du président Chirac, qui, en 2003, avait reproché à l’Europe centrale et orientale d’avoir ‘manqué une occasion de rester tranquille’”. Il reprochait aux pays de cette région [Pologne en tête] d’avoir soutenu l’invasion américaine en Irak.

Dans son livre intitulé Pologne, histoire d’une ambition. Comprendre le moment polonais, qui vient de paraître en France [aux éditions Tallandier], Pierre Buhler souligne qu’en raison de sa position stratégique, juste derrière la ligne de front, la Pologne est devenue un “pilier de la sécurité européenne”. Les Français sont impressionnés par l’ampleur des dépenses polonaises en matière de défense, qui atteignent déjà 5 % de son PIB. Ainsi, au cours des derniers mois, les médias français ont régulièrement annoncé que “la Pologne devenait une nouvelle puissance militaire en Europe”. Grâce à cette médiatisation, les Français nous considèrent aujourd’hui non pas comme un quémandeur, mais un partenaire sérieux.

L’industrie française de