Aux murs, de gros phallus tagués, dont un pénétrant une vulve, ont remplacé les photographies. La plupart gisent au sol, arrachées de leurs cadres, déchirées et piétinées. D’autres, toujours sur leurs cimaises, apparaissent défigurées de long en large par des sexes masculins tracés sommairement à la bombe. Présentée depuis le 11 avril au centre d’art et de photographie NegPos, au sein d’un bâtiment conçu par l’architecte Jean Nouvel à Nîmes, l’exposition « Benzine Cyprine » de la photographe Kamille Lévêque Jégo a été saccagée dans la nuit du 25 au 26 avril.

Le ou les vandales, qui ont détruit 90% des tirages exposés, semblent ne pas avoir apprécié le puissant message féministe véhiculé par cette série. Primée au festival Manifesto à Toulouse en 2018, puis exposée en 2019 sous forme de projection lors de la Nuit de l’année des Rencontres d’Arles, celle-ci déroule un faux reportage photographique, à la fois intense et teinté d’humour, au sein d’un gang fictif de femmes combatives, les « Benzine Cyprine », qui expriment un cri de révolte contre les violences faites aux femmes et les stéréotypes associés au genre féminin.

Des photographies qui déjouent les stéréotypes

Arborant piercings, tatouages et vestes en cuir, les protagonistes se livrent à des actes de rébellion et affichent des attitudes ou des traits considérés comme « masculins », « à rebrousse-poil des figures mièvres », précise l’artiste : elles se bagarrent contre des hommes, déclenchent un incendie, font de la musculation ou dessinent des tags féministes, tandis que l’une d’elles, enceinte, nous regarde frontalement avec une colère contenue.

Vue de l’exposition « Benzine Cyprine, » de Kamille Lévêque Jégo au NegPos de Nîmes avant d’être saccagée

Vue de l’exposition « Benzine Cyprine, » de Kamille Lévêque Jégo au NegPos de Nîmes avant d’être saccagée, 2025

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© Kamille Lévêque Jégo,

L’artiste Kamille Lévêque Jégo, qui développe son travail depuis dix ans, a déploré « une réaction haineuse et réactionnaire à l’expression d’une féminité émancipée et souveraine ». « D’un côté, je ne suis pas vraiment étonnée, parce que ce comportement agressif est systématique, permanent, présent tout autour de nous. Et en même temps, je suis consternée face à cette médiocrité », a-t-elle précisé au micro de France Inter.

Une radicalisation de la haine contre l’émancipation féminine

L’exposition de Kamille Lévêque Jégo au NegPos de Nîmes après l’intrusion

L’exposition de Kamille Lévêque Jégo au NegPos de Nîmes après l’intrusion, 27 avril 2025

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« C’est hallucinant. On est dans une époque où les gens se lâchent complètement sur les réseaux sociaux, où la haine s’exprime derrière des écrans et des pseudos, ce qui déclenche des comportements dans la vie réelle », nous répond de son côté, atterré, le directeur du centre, Patrice Loubon qui a porté plainte contre X pour outrage sexiste, intrusion et dégradation d’un lieu d’art et destruction d’œuvres d’art. Un acte également révélateur pour lui d’une radicalisation croissante des opinions réactionnaires et d’un rejet de plus en plus violent du féminisme. « Il y a un conservatisme grandissant, avec plusieurs grands de ce monde qui font barrage pour maintenir le patriarcat et ramener les femmes à un rôle traditionnel aliénant », déplore-t-il.

« Le masculinisme est un courant en pleine expansion, en particulier chez les jeunes, et se développe en parallèle du mouvement des tradwives [né dans les pays anglo-saxons dans les années 2010, ndlr], qui véhicule une image très dégradée de la femme », poursuit le directeur. « Il y a une multiplication des forces réactionnaires qui s’expriment de diverses manières, dans toutes les couches de la société, des plus riches et puissants, comme Trump et Musk, aux plus démunis ».

« Je n’hésite pas à montrer des artistes qui ont des choses à dire, à rentrer un peu dans les brancards, mais en faisant quand même toujours attention à ne pas trop provoquer dans des lieux inappropriés », nous dit le directeur, qui a « déjà subi plusieurs attaques », de graffitis d’extrême droite homophobes à Rennes à un courrier d’une ligue moralisatrice le sommant de décrocher des œuvres d’une exposition à Aurillac. En 2024, lui et l’artiste Fatima Mazmouz avaient également été agressés et insultés lors de l’exposition « Sexe et sorcellerie », par un voisin jugeant que cette dernière contrevenait aux valeurs de l’islam, et qui reproche régulièrement au centre la consommation d’alcool lors des vernissages.

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L’exposition bientôt remontée

« Je suis dégoûté, mais on ne veut pas se laisser abattre. On est déterminé à tout faire pour remonter l’expo dans les plus brefs délais, et pour qu’elle puisse être montrée plus longtemps que prévu, pendant plusieurs mois, pour bien marquer le coup », insiste le directeur. Pour l’instant, le centre NegPos reste porte close, et recevra ce mardi 6 mai une visite des assureurs pour évaluer les dégâts. Une campagne de financement participatif est également en train d’être mise en place afin de permettre le remontage. Entretemps, un lien est disponible pour faire un don au lieu et une souscription proposée pour soutenir l’artiste dans son projet de livre sur la série montrée dans l’exposition.

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