L’exposition collective présentée au Magasin Cnac revisite l’art du XXe siècle pour mieux le faire résonner avec notre présent et saisir les évolutions du monde.
Les obsessions des artistes des quarante dernières années peuvent-elles encore nous concerner au XXIe siècle ? Les transformations du temps ont-elles tendance à rendre désuètes des œuvres d’art censées éclairer l’époque dans laquelle elles ont surgi ?
Réfléchissant à ce qui relie le passé artistique récent à aujourd’hui, l’exposition collective Good Service, Good Performance, au Magasin Cnac de Grenoble, suggère que l’art questionne toujours ce qui vient. En puisant dans la collection de l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne des pièces-clés d’artistes des trente dernières années, Céline Kopp, directrice du Magasin, explique que les œuvres exposées “rappellent à quel point l’art éclaire notre présent et demeure essentiel pour en penser les transformations”.
Les artistes explorent ici autant l’idée d’utopie en berne que l’individualisation des modes d’existence, les impératifs de performance régissant nos vies que les possibilités d’y résister, l’imaginaire de la guerre que les impasses du langage… Bref, un état du monde dont l’art formalise continuellement les fissures et les élans.
À l’image de la grande galerie abritant trois œuvres majeures des années 1980, 1990 et 2000 : une installation de Hans Haacke (Creating Consent, 1981) représentant un baril de pétrole sur lequel est posée une antenne de télévision (ou comment les entreprises capitalistes dévorent l’espace de l’information), une vidéo de Gillian Wearing (Dancing in Peckham, 1994) où l’artiste danse au cœur d’une galerie commerciale, prisonnière de son monde intérieur au sein d’un espace public, et Utopia Station, projet conçu par Hans Ulrich Obrist, Rirkrit Tiravanija et Molly Nesbit en 2003, à la Biennale de Venise, sous forme d’invitation faite à plus de 300 artistes à réfléchir sur l’utopie dans un monde post-11-Septembre (projet dont il reste des posters, exposés pour la première fois en 2004 à Munich, d’Annette Messager, Ed Ruscha, Agnès Varda…).
La vidéo de Hiwa K (Pin-Down, 2017), captant la façon dont une discussion philosophique dérive sur un combat physique, comme si les mots échouaient à rassembler les êtres, mais aussi la vidéo de Carey Young dans le cabinet d’un psy (Product Recall, 2007) enregistrent les échecs du langage que notre époque vide de sa substance vitale.
Dans son installation glaçante Fantasia (Empty Flag, Black) 4 Walls in a Room (2008) – une salle remplie de porte-drapeaux plantés dans les murs, mais sans drapeaux –, Latifa Echakhch suggère la disparition de l’idée de multilatéralisme ; comme Wang Du, avec sa sculpture géante d’une une du Monde métamorphosée en boule de papier froissé (Le Monde, 2001), suggère que les récits du présent se jettent et puis s’oublient. Triste monde, dont les artistes disent aussi qu’on peut échapper à ses normes et ses impositions, faire dérailler ses circuits, comme Pipilotti Rist dans sa vidéo (Entlastungen) Pipilottis Fehler (1988), qui ouvre l’exposition.
Poétiser la vie, élargir un monde de sensations, c’est aussi ce que propose Anne Le Troter avec sa fascinante pièce sonore Plant Assistance, spécialement produite pour l’exposition. L’artiste invite les visiteur·ses à croquer des sculptures (avec des petits bâtons reliés à des câbles audio greffés sur des plantes), comme on croque des pommes d’amour pour écouter des histoires érotiques, vraies lignes de fuite de ce monde de services imposés qui nous étouffent.
Travaillant la notion de “corps vibratile” – ce corps offert à des vibrations sensorielles, par le toucher et la fusion avec le vivant végétal, organique, fantasmatique –, l’artiste détourne, à la mesure de tous·tes les artistes réuni·es par Céline Kopp, l’ordre normatif des plaisirs contrariés du présent. La seule performance qui compte ne répond à aucune injonction autre que celle d’enchanter le regard et l’écoute, d’intensifier le sentiment de vivre.
Good Service, Good Performance au Magasin Cnac, Grenoble, jusqu’au 31 août.