Ceux qui ont déjà traversé le boulevard de Strasbourg l’ont certainement remarqué.

Pour aller d’un bout à l’autre du passage piéton pendant que le feu est vert, il est nécessaire de marcher d’un bon pas. Encore faut-il le pouvoir…

Ce qui n’est pas le cas du mari de Marie-Christine qui, à 86 ans, a quelques difficultés à se déplacer. « Nous sommes des riverains directs du boulevard. Et on s’est rapidement rendu compte qu’il n’avait jamais le temps de le traverser en entier. »

La Toulonnaise écrit à la mairie pour soulever le problème. Laquelle lui répond que cette difficulté est de l’ordre du « ressenti », du « subjectif ». Un retour qui ne la satisfait évidemment pas.

Elle en parle donc à son fils qui se trouve être docteur en sociologie. Nicolas Naïditch décide alors d’étudier scientifiquement le problème. « Mon travail au quotidien consiste à documenter scientifiquement les problématiques rencontrées par des patients », justifie-t-il.

Son objectif: démontrer que la traversée du boulevard de Strasbourg est un enjeu de santé public en rapprochant plusieurs données.

Le contenu de l’étude

« J’ai chronométré la durée du feu vert piéton le plus proche de chez mes parents (à l’angle de la rue Berthelot, Ndlr). Il ne dure que dix secondes. Pendant vingt secondes, ensuite, il y a une latence où le feu est rouge pour les piétons comme pour les voitures. Le piéton a donc trente secondes pour traverser la voie estimée à 18,9 mètres. Dernière donnée prise en compte: le “test de marche de six minutes » qui évalue la capacité fonctionnelle de la marche. Pour un adulte de 68 ans en bonne santé, la communauté scientifique estime que pour traverser 18,9mètres, il faut 19,7 secondes. »

Le constat est simple: il est impossible de traverser entièrement au vert.

Des conséquences sociétales non négligeables

« Je suis parti des données de l’Insee qui comptabilisent que 30% des Toulonnais ont 60 ans et plus. Et donc sont concernés par ce problème. »

Le sociologue insiste, la conséquence directe pour cette frange de la population serait le renoncement aux déplacements. « Or, la marche est importante tant sur le plan physique pour se maintenir en forme que psychologique et même social. »

Et si l’étude ne s’est intéressée qu’aux personnes âgées, il est facile d’imaginer que cette difficulté, d’autres Toulonnais la rencontrent. On pense bien sûr à ceux dont la mobilité est réduite. Mais il y a aussi les jeunes enfants.

Croisée sur le boulevard de Strasbourg, Maëva, 32 ans, l’assure: « Je préfère prendre mon fils de 2 ans dans les bras pour le faire traverser, sinon on finit au rouge. C’est non seulement dangereux mais également stressant. »

Alors que le feu piéton ne dure que dix secondes, le feu voiture, lui, est vert pendant une minute et dix secondes, selon les calculs de Nicolas Naïditch.

De là à conclure que ces chiffres sont révélateurs de la place qui est réservée aux véhicules dans la cité, il n’y a qu’un pas que la mère de famille n’hésite pas à franchir. « Cela interroge vraiment sur l’importance qu’on nous accorde, à nous piétons, dans un monde du tout voiture. »

La problématique va être analysée par la Ville

Sollicitée sur cette étude, la municipalité (qui à la charge des feux et de leur durée) s’est contentée de répondre que « la question a été soulevée dans le passé mais la voirie explique que la durée des feux influe énormément sur la fluidité du trafic et qu’il est compliqué de prolonger le feu piéton sans “emboliser » la circulation. C’est un constant équilibre à trouver. » 

Elle précise toutefois qu’ »à la demande du maire, le sujet est remis sur la table pour voir comment le dispositif peut être amélioré. »

Les feux, comment ça marche?

Les premiers feux tricolores sont installés en France dans les années 1920. Leur but est resté le même depuis: permettre la régulation du trafic entre les différents usagers (voitures, piétons).

La réglementation impose deux choses: les feux rouges pour les voitures ne doivent pas excéder les cent vingt secondes. Quant aux feux verts piétons, ils doivent durer au minimum six secondes. Ce sont les mairies qui sont en charge de choisir la durée des feux.

Sur le boulevard de Strasbourg, il est intéressant de noter que tous les feux piétons n’ont pas la même durée. Nous les avons chronométrés un jour de semaine à 8h30.

Voici les résultats. Au niveau de Blache: onze secondes. Berthelot: neuf secondes. Colbert: onze secondes. Liberté/Pastoureau: quinze secondes. Liberté/Guiol: douze secondes.