Nous passons chaque année environ quarante magasins en location-gérance

Alexandre de Palmas


Le groupe s’est-il fixé un seuil maximal ?


A. de P. - Alexandre Bompard, le PDG du groupe, a placé la franchise au cœur du plan Carrefour 2026. Nous allons continuer d’utiliser la location-gérance en proximité comme un outil d’expansion et un marchepied pour nos partenaires vers l’acquisition d’un magasin franchisé. Les deux tiers des locataires-gérants parviennent à devenir propriétaires et franchisés de leur magasin dans un délai de quatre ans. Aucun autre modèle ne permet une telle opération avec un investissement initial de seulement 7 500?euros. La location-gérance, c’est aussi une solution pour redresser de plus grands magasins en difficulté. Nous passons chaque année environ quarante magasins en location-gérance, ce qui inclut une quinzaine d’hypermarchés et une vingtaine de supermarchés. Nous avons amorcé le 1er?avril la vague 2025 avec quatre hypermarchés et deux supermarchés qui sont passés en location-gérance. Pour les hypermarchés, ce sont les magasins d’Évreux, de Dijon à la Toison d’Or, de Château-Roussillon à Perpignan et de Trans-en-Provence, dans le Var. Pour l’année en cours, nous prévoyons la bascule de 15 hypermarchés et de 24 supermarchés.

Pour l’année en cours, nous prévoyons la bascule de 15 hypermarchés et de 24 supermarchés.

Alexandre de Palmas


Alexandre de Palmas


À raison de quarante magasins par an et de 200 unités déjà concernées, restera-t-il encore des magasins intégrés dans le parc de Carrefour ?


A. de P. - Alexandre Bompard a déclaré lors de la présentation de Carrefour 2026 que les hypermarchés resteraient majoritairement intégrés. En 2026, en poursuivant à ce rythme, la majorité de nos hypermarchés seront toujours intégrés. 

La franchise apporte l’énergie, l’agilité et la flexibilité de l’entrepreneur, ainsi qu’une proximité accrue avec le terrain

Alexandre de Palmas


Ne craignez-vous pas de créer de véritables baronnies en région ?


A. de P. - Nous travaillons déjà avec des grands groupes partenaires comme Provencia, qui est le premier franchisé Carrefour de France, ou le groupe Dejean, ainsi que d’autres comme Yabe, Normandie Distribution et Bernard Guillerm en Bretagne. Nous comptons au total une douzaine de grands partenaires régionaux et nous cherchons à leur assurer une certaine cohérence géographique. Le risque n’est pas de les voir devenir trop gros. Au contraire, nous souhaitons nourrir ces partenariats pour créer des synergies productives. Il est important d’éviter de recréer de la bureaucratie intermédiaire ou un nouveau système centralisé. 


Ce sont donc des partenaires avec qui vous vous sentez en confiance ?


A. de P. - Une très grande confiance même. Nos partenaires sont de grands entrepreneurs et des commerçants. Ce n’est pas la première fois qu’ils gèrent des contrats de location-gérance. Ils en connaissent les avantages et sont capables d’être vite opérationnels. Ce qui nous fait gagner en efficacité lors du passage en location-gérance. Mais cela ne signifie pas que les quinze prochains hypermarchés iront tous à de grands groupes.


Qu’apporte la franchise à Carrefour France ?


A. de P. - La franchise apporte l’énergie, l’agilité et la flexibilité de l’entrepreneur, ainsi qu’une proximité accrue avec le terrain. L’horizon professionnel de l’entrepreneur ne se limite pas à deux ou trois ans d’exploitation comme pour un directeur de magasin, mais s’étend sur quinze à vingt ans. Cela les incite à investir dans le magasin et le territoire sur le long terme. Carrefour France est une entreprise hybride avec, à la fois, des magasins intégrés qui nous donnent un contrôle plus direct lorsqu’il s’agit de tester des innovations produits ou de nouveaux concepts, mais aussi des franchisés. Allier intégration et franchise, c’est bénéficier du meilleur des deux mondes. 

L’expansion de la proximité se fait aussi de manière organique à raison de 150 à 200 nouvelles créations nettes par an

Alexandre de Palmas


Alexandre de Palmas


La franchise représenterait aussi l’essentiel de votre rentabilité, les deux tiers selon certains analystes. Est-ce le cas ?


A. de P. - Nous ne divulguons pas de détails spécifiques par format ou mode de gestion, mais il est certain que la franchise est un succès économique et un contributeur majeur à l’amélioration de la performance de Carrefour France, à la fois en termes de croissance des ventes et de résultat opérationnel courant. 

Même sans compter l’apport de Cora et de Match, nous sommes à nouveau positifs en gain de parts de marché en volume depuis la fin de l’année dernière et stables en valeur

Alexandre de Palmas


Quels objectifs poursuivez-vous avec ce mode d’exploitation ?


A. de P. - La franchise sert deux objectifs très distincts chez Carrefour France. D’une part, il y a la franchise offensive qui est un vecteur de croissance. Elle inclut la franchise de proximité, avec une stratégie d’expansion très active comme en témoignent le ralliement de Puig et l’acquisition du groupe Magne que nous annonçons aujourd’hui. L’expansion de la proximité se fait aussi de manière organique à raison de 150 à 200 nouvelles créations nettes par an. D’autre part, il y a aussi une franchise défensive. Celle qui permet de redresser des magasins en difficulté grâce à l’action d’entrepreneurs locaux. C’est grâce à cette franchise défensive que nous n’avons fermé aucun hypermarché depuis 2018.


Sur la franchise dite défensive, avez-vous un horizon à partir duquel il n’existera plus de magasins en difficulté ?


A. de P. - Le commerce est une activité toujours vivante. Il n’existe aucun réseau au monde qui ne rencontre pas ce type de situation. Mais les résultats de Carrefour France en 2024 montrent des progrès significatifs. Alexandre Bompard a parlé d’une « année remarquable », avec notamment la croissance significative du résultat opérationnel. Nous avons franchi la barre du milliard d’euros en 2024. C’est la première fois en dix ans que Carrefour France dépasse ce cap. Je rappelle également que Carrefour France a repris sa marche en avant commerciale. Même sans compter l’apport de Cora et de Match, nous sommes à nouveau positifs en gain de parts de marché en volume depuis la fin de l’année dernière et stables en valeur. 


Combien faut-il de temps pour qu’un magasin en location-gérance soit viable ?


A. de P. - Lorsque nous passons un magasin en location-gérance, nous établissons avec le locataire-gérant un calendrier d’amélioration sur trois ans. L’objectif est principalement de relancer la dynamique commerciale. Les locataires-gérants ne sont pas que de simples gestionnaires, ce sont d’excellents chefs d’entreprise qui ont une vraie logique de croissance. Je pense notamment à Lionel Véricel à Lyon, Yann Le Diouris dans le Centre, Yannick Rambeau sur la côte basque, ou encore Jean-Claude Dejean dans le Sud, Nicolas Catrix en Bourgogne et Guillaume Halley en Aquitaine.


Alexandre de Palmas


Cette règle ne s’applique-t-elle qu’aux magasins en difficulté ? 

Nos magasins de proximité sont, dans l’ensemble, tous rentables. C’est le segment qui, avec l’e-commerce, connaît la plus forte croissance sur le marché

Alexandre de Palmas


A. de P. - Oui, nous définissons avec notre partenaire un plan triennal de relance commerciale, basé sur son expérience et son expertise. Ce plan peut inclure des investissements, car je vous rappelle que le fonds de commerce continue de nous appartenir. Il est donc logique que les investissements soient à la charge du propriétaire. L’objectif de la location-gérance, c’est le redressement, mais il faut la voir comme une période de transition avant d’envisager un passage en franchise. C’est aussi souvent une période de découverte réciproque entre Carrefour et l’entrepreneur local. 


Et après ces trois ans qu’advient-il ?


A. de P. - Nous pouvons d’abord convenir que le partenariat est satisfaisant, mais que le locataire-gérant a manqué de temps ou d’opportunités, notamment du fait de perturbations très particulières comme l’a été la période du Covid. Dans ce cas, nous pouvons redéfinir une nouvelle période de location-gérance sur deux ou trois années supplémentaires. Il se peut aussi que le magasin connaisse un redressement spectaculaire. Alors nous envisageons de vendre le fonds de commerce au locataire-gérant et de le passer en franchise.


Les investissements font-ils partie des négociations en amont ?


A. de P. - Lorsqu’un locataire-gérant prend un magasin, il effectue une évaluation détaillée. Ce dernier peut conclure que si certains équipements ne sont pas rénovés, il ne pourra pas mener à bien son projet. Nous évaluons alors ensemble s’il est judicieux d’investir ou pas, par exemple, 200 000?euros dans un laboratoire. Le passage en location-gérance peut donc s’accompagner d’investissements dans le magasin.


Est-ce la seule difficulté économique qui détermine le choix de passer un point de vente en location-gérance ?


A. de P. - C’est effectivement le redressement d’hypermarchés et de supermarchés en difficulté qui justifie ce passage. Pour la proximité, en revanche, c’est différent car les magasins sont, dans l’ensemble, tous rentables. C’est le segment qui, avec l’e-commerce, connaît la plus forte croissance sur le marché. 

Nous mettons en place des structures de dialogue, y compris avec ceux qui expriment leur mécontentement

Alexandre de Palmas


Alexandre de Palmas


Paradoxalement, c’est aussi la branche où un conflit, qui prend de l’ampleur, vous oppose à des franchisés regroupés au sein de l’Association des franchisés Carrefour (AFC). Cela affecte-t-il votre modèle ?


A. de P. - Nos derniers résultats montrent que la proximité de Carrefour est plus attractive que jamais. Lors du dernier salon Franchise Expo Paris, le nombre de candidats n’a jamais été aussi élevé. Nous avons reçu 6 000 candidatures pour nos magasins de proximité, alors que nous n’ouvrons que 150 à 200 points de vente par an. Nous parlons d’un réseau de près de 5 000 magasins dont la plupart fonctionnent bien. Comme je vous le disais, deux tiers des locataires-gérants deviennent franchisés en quatre ans, ce qui témoigne de leur satisfaction. Donc, dire qu’il existe un problème d’attractivité globale n’est pas en phase avec les chiffres. 

Je regrette que certains franchisés aient arrêté de dialoguer avec nous dès 2023 pour lancer une procédure

Alexandre de Palmas


Certains analystes estiment que ces tensions pourraient fragiliser le modèle économique de Carrefour. D’autant que l’assignation de Bercy en juin 2024 aux côtés de l’AFC a donné une tournure nouvelle à l’affaire. Le ministère de l’Économie réclame une amende record de 200 millions d’euros.


A. de P. - Le modèle n’a jamais été aussi attractif, jamais aussi fort. Encore une fois, 6 000 candidats postulent tous les ans pour prendre une franchise Carrefour, et nous n’avons jamais eu autant d’écarts de CA au mètre carré par rapport à la concurrence. Néanmoins, je reste à l’écoute des préoccupations de chaque franchisé. Nous mettons en place des structures de dialogue, y compris avec ceux qui expriment leur mécontentement. Avec les membres de l’AFC pris individuellement, nous maintenons un dialogue respectueux, mais le ton change quand ils s’expriment au nom de l’association. Ce qui me gêne, c’est la confusion des arguments. C’est de confondre volontairement prix d’achat et prix de vente, de confondre chiffre d’affaires et marge, et de se prétendre exploité lorsqu’on a de bonnes rémunérations. Nos partenaires ont la possibilité de vendre leur point de vente. Ils sont libres de s’approvisionner auprès de tiers et libres de fixer leurs prix de vente. Je regrette qu’ils aient arrêté de dialoguer avec nous dès 2023 pour lancer une procédure. Quant au jugement du 5 juin devant le tribunal de Rennes, nous sommes très confiants. Il s’agit là uniquement du délibéré sur les aspects procéduraux du dossier. 


Pourquoi Carrefour n’a-t-il véritablement jamais voulu s’exprimer sur ce sujet ?


A. de P. - Sans doute parce qu’il y a une très grande différence entre la très bonne santé du réseau de franchise et les récriminations d’une minorité. Tout d’abord, les franchisés de l’AFC ne sont pas tous en difficulté, ils ne sont d’ailleurs plus tous franchisés Carrefour. Il y a une grande diversité des situations. Si la proximité était en crise avec une majorité de locataires-gérants en difficulté, nous ne nous développerions plus et il y aurait une fuite vers la concurrence. Ce n’est pas ce que nous observons. Nous avons réalisé un nombre record de ralliements de franchisés en 2024, avec un nombre sans précédent d’ouvertures de magasins supplémentaires. C’est également le cas pour le passage de locataires-gérants à la franchise. Factuellement, tous les indicateurs sont au vert. Je vous rappelle que, l’année dernière, nous avons investi fortement pour baisser les prix de cession, ce qui démontre notre engagement à préserver la compétitivité du modèle. Lorsque nous améliorons nos performances d’achat et que nous négocions de manière plus efficace, nous réinvestissons ces économies dans nos prix de cession. Notre objectif en 2025 est de continuer à réduire les prix, y compris en proximité, pour nos franchisés et pour nos clients. 

Si la proximité était en crise avec une majorité de locataires-gérants en difficulté, nous ne nous développerions plus et il y aurait une fuite vers la concurrence

Alexandre de Palmas


Alexandre de Palmas


 


Vous avez choisi d’avoir recours à la franchise participative et cela fait débat. Est-ce que vous êtes toujours actionnaires dans le capital de vos franchisés ?


A. de P. - Oui, nous conservons une participation minoritaire de 26 % dans les franchises participatives en proximité. Ce sujet suscite une polémique incompréhensible. Je vous rappelle que, au départ, le magasin nous appartient à 100 %. Donc avec la franchise participative, Carrefour cède 74 % du capital d’un magasin qu’il a entièrement financé et développé. L’acheteur sait exactement ce qu’il achète. Tout est clair dans le pacte d’actionnaires et le contrat de franchise. Il est important de garder en tête que la plupart des magasins ont été construits et ouverts par Carrefour. Il est normal que le groupe veuille protéger ces points de vente et ne pas les voir partir chez un concurrent dans un, deux ou cinq ans. Et c’est valable dans tous les réseaux de franchise comparables.


Que répondez-vous à ceux qui affirment, de bonne foi ou non, que les contrats sont tellement compliqués qu’ils les désavantagent ?


A. de P. - Tout est, au contraire, clair depuis le départ. Nous avons établi une politique contractuelle qui sécurise notre réseau, mais cela ne signifie pas que les franchisés ne peuvent pas partir. Personne n’est prisonnier au sein de l’enseigne. Mais comment pourrait-on ignorer qu’on n’achète que 74 % ? Il est de la responsabilité de Carrefour de sécuriser son réseau de proximité. Pour nous, c’est un non-sujet. 

Le prix de cession en proximité ne se limite pas à un tarif brut. Il inclut la logistique qui coûte, en proximité, trois fois plus cher que celle d’un hypermarché

Alexandre de Palmas


Les franchisés frondeurs dénoncent des conditions commerciales défavorables et montrent du doigt des produits achetés plus chers par les magasins de proximité qu’ils ne sont vendus en hyper.


A. de P. - C’est une contrevérité et une simplification erronée. Oui, il est évident que le chocolat en promotion dans un hypermarché est moins cher qu’en proximité, car la mécanique promotionnelle joue en faveur de l’hypermarché. Mais dire que tous les produits en proximité sont plus chers est faux. Si l’on se fixe sur les prix permanents, il devient même rare que l’hyper soit moins cher que le prix de cession en proximité. Le prix de cession en proximité ne se limite pas à un tarif brut. Il inclut la logistique qui coûte, en proximité, trois fois plus cher que celle d’un hypermarché.


Ce coût logistique en proximité est-il alors inclus dans le prix de cession ?


A. de P. - Oui, parfaitement. Si vous êtes franchisé, vous achetez un produit, le prix inclut la livraison au point de vente. Il est également important de rappeler que les services que nous fournissons à nos franchisés ne sont pas toujours facturés. Par exemple, si un chef d’entreprise souhaite rénover son magasin, nous concevons les plans, nous sélectionnons des entreprises pour les travaux et nous apportons des conseils en matière de merchandising, de finance, d’informatique… En d’autres termes, nous fournissons des services sans facturation. Et pour revenir aux notions de prix, rappelons ici que notre façon de générer des revenus pour continuer à investir passe par le prix de cession.


Certains franchisés disent avoir trouvé un fournisseur prêt à livrer des produits de marque à des prix 10 % inférieurs.


A. de P. - Ils sont libres. En droit français, le franchisé est un entrepreneur. Il a donc une grande latitude concernant son assortiment et ses prix dans le respect des engagements contractuels que chaque franchisé a signés.


Certains disent pourtant être obligés de respecter un pourcentage obligatoire d’achats.


A. de P. - Certains franchisés achètent bien plus de 10 %, 15 % ou 20 % de leurs marchandises à l’extérieur sans que cela ne pose problème et que cela ne fasse les gros titres de l’actualité. De même, certains franchisés pratiquent des prix très variés par rapport à ceux que le groupe recommande. À la montagne ou en bord de mer, en zone saisonnière par exemple, cela se passe sans incident. En revanche, dans le contrat de franchise signé avec Carrefour, le chef d’entreprise s’engage à respecter un modèle commercial. Afficher Carrefour sur votre magasin impose de respecter certaines normes de qualité et de respect du concept. Il y a donc un minimum requis, notamment en ce qui concerne les produits de marque Carrefour.


Alexandre de Palmas


Vous incitez quand même les franchisés à acheter chez vous ?

Notre intérêt commun est évidemment que les franchisés achètent le maximum de produits chez nous

Alexandre de Palmas


A. de P. - Notre intérêt commun est évidemment que les franchisés achètent le maximum de produits chez nous. Pour encourager ceux qui réalisent des achats importants, nous avons mis en place un système de primes. Par exemple, si un franchisé atteint un pourcentage d’achat chez Carrefour de 85 % ou 90 %, il perçoit une prime.


On évoque quand même, en proximité, une dizaine de pourcents du réseau qui ne seraient pas en excellente forme.


A. de P. - Il peut effectivement y avoir quelques magasins en difficulté, surtout face à une concurrence accrue. Lorsqu’une autre enseigne ouvre un point de vente juste en face d’un de nos franchisés, cela impacte logiquement ses performances. Nous soutenons nos franchisés confrontés à des situations difficiles. Toutefois, ces cas restent très marginaux comparés à la taille totale du réseau. 


Vous avez rallié dernièrement le groupe Puig et acquis le master franchisé Magne, tous deux ex-Casino. Reste-t-il beaucoup de potentiel pour des ralliements en France ?


A. de P. - Le marché est très dynamique, mais nous sommes attentifs et opérons de manière sélective. La reprise de magasins Colruyt, par exemple, n’est pas une priorité. Ce type de points de vente ne correspond pas à notre modèle.


Certains distributeurs pensent pouvoir débaucher des franchisés Carrefour. À combien se chiffrent les départs ?


A. de P. - Très peu. Ils se comptent sur les doigts d’une main.


Certes, mais vos contrats sont contraignants avec des minorités de blocage sur les décisions stratégiques.


A. de P. - Encore une fois, nous ne forçons personne. Le terme « minorité de blocage » est en partie vrai, il ne reflète pas la réalité de notre fonctionnement. Oui, nous avons un réseau sécurisé et donc, oui, il y a effectivement peu de départs. La plupart des départs concernent des franchisés possédant 100 % de leur magasin. Ils ont été attirés par d’autres concurrents et, après un contrat de franchise de sept ans, choisissent de nous quitter. Nous en attirons d’autres. C’est la saine vie du commerce et de la concurrence. 

Oui, nous avons un réseau sécurisé et donc, oui, il y a effectivement peu de départs

Alexandre de Palmas


Vous avez pris vos fonctions en septembre?2023. Qu’est-ce que vous avez changé chez Carrefour France ?


A. de P. - Nous menons une véritable révolution culturelle chez Carrefour France. Nous devons cesser de nous vivre uniquement comme un groupe intégré. Nous sommes une entreprise hybride et nous devons transformer la culture de l’entreprise pour placer le service à nos clients et à nos partenaires au cœur de notre fonctionnement. Nous avons également introduit des changements organisationnels significatifs, notamment avec l’arrivée de Tina Schuler et de ses équipes qui pilotent le pôle franchise pour les formats hypermarchés et supermarchés, comme le pôle intégré le fait de son côté. Mes prédécesseurs venaient tous des hypermarchés et du système intégré, alors que je suis issu de la proximité et de la franchise. C’est un détail mais pas un hasard. Je pense qu’Alexandre Bompard, en faisant le choix de me nommer à la tête de la France, souhaitait aussi marquer l’importance qu’il donne à la franchise.


Quel bilan tirez-vous de ces changements ?


A. de P. - La transformation culturelle accomplie au cours de la dernière année et demie est incontestable. On a assisté notamment à une fertilisation croisée entre les équipes des hypermarchés et des supermarchés. Ce réaménagement a favorisé le développement de groupes de franchisés multiformats où des franchisés gèrent à la fois des hypermarchés et des supermarchés. Avant ce changement, cette dynamique n’existait pas vraiment. Nous avons même vu des franchisés de formats plus petits se tourner vers l’hypermarché. Et vice versa.


Alexandre de Palmas


Comment se passe l’intégration de Cora ? Y aura-t-il des conversions en location-gérance ? 

L’intégration de Cora se déroule bien. Nous avons effectué une transformation complète. La partie commerciale regroupant les produits de marque Carrefour est achevée

Alexandre de Palmas

A. de P. - Ce n’est pas d’actualité. L’intégration de Cora se déroule bien. Nous avons effectué une transformation complète. La partie commerciale regroupant les produits de marque Carrefour est achevée. Nous sommes en train d’introduire toute l’offre non alimentaire. Avant l’été, nous allons également procéder à la grande bascule informatique. Tous les outils de commande et de réapprovisionnement seront opérationnels. L’intégration de Cora sera alors terminée. En un mot, nous respectons les délais et tout se déroule bien.


Certains clients se disent déboussolés par les assortiments et se plaignent de ne pas retrouver certaines marques.


A. de P. - C’est vrai que des clients des anciens Cora se perdent parfois dans la nouvelle implantation. C’est un phénomène classique lors de changements dans un magasin. Néanmoins, nous avons fait un travail spécifique pour référencer toutes les PME qui collaboraient avec Cora et leur proposer un contrat Carrefour pour préserver leur place. Nous avons même accentué la protection des assortiments régionaux par crainte de décevoir nos clients dans le nord et l’est de la France.


Qu’en est-il de Match ?


A. de P. - Nous voulons préserver l’identité de cette enseigne. C’est vraiment une pépite avec un concept très différent. Nous sommes chanceux de disposer de ce format supplémentaire et de cette marque si particulière.


Est-ce qu’on pourrait voir des créations de nouveaux magasins Match, notamment dans les centres-villes ?


A. de P. - Nous ne nous interdisons rien. Nous ne fermons pas la porte à de potentielles implantations en centre-ville. Le format Match, axé sur les produits frais, propose une zone de marché et un concept de préparation sur place, extrêmement puissants. Les magasins affichent des quotas de plats cuisinés de l’ordre de 40 à 45 % des produits frais. C’est impressionnant. Ce modèle démontre son habileté à répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.


Vous lancez une nouvelle campagne de baisse des prix de 10 %, après d’autres actions similaires l’an dernier. Qu’en espérez-vous ?


A. de P. - Carrefour a été l’enseigne qui a le plus réduit ses prix en 2024. Nous avons réalisé un effort sans précédent, avec un investissement massif sur près de douze mois. Cela ne s’était jamais vu depuis 2011, avec des baisses de prix significatives sur tous nos formats, intégrés et franchisés. Et c’est la principale clé de notre relance commerciale, du retour des clients et de l’augmentation de notre part de marché, tant en volume qu’en valeur. 

Carrefour a été l’enseigne qui a le plus réduit ses prix en 2024. Nous avons réalisé un effort sans précédent, avec un investissement massif sur près de douze mois

Alexandre de Palmas


Carrefour a longtemps été coutumier de l’effet yoyo sur les prix. Ne craignez-vous pas de retomber dans vos vieux travers ?


A. de P. - Lorsque nous avons baissé les prix au premier semestre 2024, certains ont anticipé une hausse au second semestre. Ce n’est pas arrivé. Nous n’avons pas augmenté les prix sur les derniers six mois de l’année, nous avons stabilisé notre position et même gagné légèrement.


Et sur l’offre quelles ont été vos priorités ? Alexandre Bompard avait d’importantes ambitions sur la MDD. Est-ce toujours le cas ?


A. de P. - La marque de Carrefour (MDC) est une priorité stratégique. Lorsque nous visons 40 % de MDC d’ici à 2026, c’est bien plus qu’un simple chiffre symbolique. La MDC fidélise nos clients. Un client qui achète nos produits visitera plus souvent nos magasins, car les MDC engendrent une fréquence d’achats plus élevée. Donc oui, c’est une de nos grandes priorités, avec le retour du choix en magasin qui n’est en rien un objectif contradictoire. Par ailleurs, nous devons également nous concentrer sur les produits libre-service qui ont représenté l’essentiel des baisses de prix en 2024. En 2025, nous continuerons à faire un effort particulier sur cette catégorie qui concerne les familles, cœur de notre clientèle.


Quid des produits frais ?


A. de P. - Les produits frais sont également au centre de notre attention dans le cadre de notre initiative Act for Food. De même, le Club Carrefour, lancé en janvier, vise à promouvoir ce type de produits. Les clients bénéficient de 10 % de réduction sur les fruits et légumes. Nous avons également poursuivi notre opération 3, 2, 1, Frais ? Partez !, ces menus de produits frais lancés pendant les Jeux olympiques et paralympiques. Ça cartonne et cela permet de pousser les produits frais français et locaux.


Et le non-alimentaire ?


A. de P. - Continuer à travailler sur cette catégorie qui perd du terrain depuis des années est l’un des grands axes de travail de 2025. Un hypermarché ne saurait exister sans une offre non alimentaire puissante pour attirer sa clientèle. Nous réinventons continuellement notre approche. Nous avons déjà travaillé les top « UB » [pour unités de besoin, NDLR], c’est-à-dire les grands produits non alimentaires en promo. Pour vous donner une idée, en France, un airfryer sur deux aujourd’hui est vendu par Carrefour. On fait un malheur avec les « pots boules » [pots en plastique pour les fleurs, NDLR] actuellement. Nous sommes redevenus forts sur les événements non alimentaires, mais ce n’est pas suffisant. Nous devons nous assurer désormais que l’offre permanente de Carrefour en non-alimentaire est tout aussi pertinente. Il est vital de se renforcer dans les segments bricolage, auto, maison et décoration. 

Pour vous donner une idée, en France, un airfryer sur deux aujourd’hui est vendu par Carrefour

Alexandre Bombard


Autre sujet d’actualité. Comment attirer les clients si vous ne pouvez plus distribuer les prospectus depuis le 31?mars ?


A. de P. - Nous avons décidé d’atteindre un an plus tôt cet objectif initialement fixé en 2026. Nous avons la bonne maturité pour nous le permettre et nous n’arrêtons pas les prospectus en tant que tels. Ils seront toujours disponibles à l’entrée des magasins et en sortie de caisse. Ils ne seront plus envoyés dans les boîtes aux lettres. Il faut savoir que le taux de distribution des prospectus en boîte aux lettres est d’environ 50 % et que la moitié va à la poubelle directement, donc seulement 25 % sont lus par les destinataires. Il s’agissait d’une perte considérable tant en matière de gaspillage de papier que d’argent. Cela n’avait plus de sens.


Avez-vous néanmoins réussi à améliorer votre capacité à atteindre vos clients ?


A. de P. - Notre application Carrefour est l’application commerciale la plus téléchargée en France actuellement. Nous avons également renforcé le Club Carrefour, qui représente 14 millions de membres. Nous travaillons pour en recruter encore davantage. Finalement, un prospectus traditionnel en papier affichait un assortiment général comprenant des produits qui n’étaient pas toujours pertinents pour chaque client. Demain, grâce à nos avancées en matière de personnalisation, chaque consommateur ne recevra que des offres qui l’intéressent. Cette conception de la promotion individualisée n’est pas une simple hypothèse. C’est devenu une réalité. 

Demain, grâce à nos avancées en matière de personnalisation, chaque consommateur ne recevra que des offres qui l’intéressent

Alexandre de Palmas


On parle beaucoup d’IA en ce moment. Est-ce un grand défi pour Carrefour ?


A. de P. - Carrefour a été pionnier en matière d’intelligence artificielle dans le retail. Aujourd’hui, les assortiments qui descendent dans les magasins, après les négociations, ont été élaborés à l’aide de l’IA. C’est elle qui nous aide à déterminer le meilleur assortiment ainsi que la meilleure allocation linéaire des produits en tenant compte de toutes les données disponibles. Nous utilisons un outil, appelé Store Adaptor, extrêmement puissant. Il évalue le potentiel de tous nos magasins et indique la meilleure allocation pour chaque étagère et chaque mètre linéaire. Cela nous permet d’optimiser le rendement de nos points de vente en fonction du profil des clients.


Certains pourraient craindre que l’IA s’impose comme une norme. Y a-t-il un risque qu’elle entraîne une centralisation excessive ?


A. de P. - Si vous pensez à nos franchisés, il n’y a aucun risque. C’est le chef d’entreprise qui a le dernier mot. L’IA peut suggérer des options et déterminer ce qui semble le plus approprié, mais le franchisé est en mesure de refuser les suggestions proposées par l’IA. L’esprit commerçant prime, c’est l’essentiel.


Comment se porte la livraison à domicile chez Carrefour ? Est-ce rentable ?


A. de P. - Nous sommes leaders en France dans ce secteur. Elle est rentable, car c’est un service que nous facturons au client. La rentabilité est difficile sur les modèles qui impliquent une préparation lourde. Mais dès que nous facturons la livraison, elle devient économiquement viable. Dans le domaine de l’e-commerce, la France est une exception en Europe, avec un drive représentant 80 % du marché, alors que, dans d’autres grands pays, c’est l’inverse, la livraison à domicile domine. Est-ce que la livraison à domicile va finir par monter en puissance demain en France et capter de plus nombreuses parts de marché ? C’est une question qui se pose.


Concernant Atacadão, le succès n’est pas encore au rendez-vous. Le modèle a-t-il encore de l’avenir ?


A. de P. - Lancer un nouveau concept est toujours un défi et nous apprenons beaucoup de cette phase de test. La montée en puissance du magasin d’Aulnay-sous-Bois [en Seine-Saint-Denis, NDLR] se poursuit au rythme prévu, après la pause liée aux JOP de Paris 2024. Il faut continuer de convertir les consommateurs à la marque et à la proposition de valeur. De plus, il s’agit d’un hybride entre BtoC et BtoB dans un marché français historiquement cloisonné. Nos partenaires industriels font de leur mieux pour maintenir cette séparation. 

Sur le bio, la reprise est là, même si son rythme est plus lent dans la grande distribution

Alexandre de Palmas


Et pour ce qui est de Supeco, comment se comporte l’enseigne ?


A. de P. - La tendance s’améliore en raison des tensions actuelles sur le pouvoir d’achat. Et parce que l’enseigne s’appuie non seulement sur sa trentaine de magasins Supeco, mais aussi sur son activité de grossiste qui fournit en PGC des chaînes de magasins discount, comme Marché frais ou Hmarket. 


Le bio reprend chez les spécialistes, et qu’en est-il en grande distribution ?


A. de P. - La reprise est là, même si son rythme est plus lent dans la grande distribution. Nous enregistrons des performances à deux chiffres avec des enseignes comme So.bio et Bio c’Bon, tandis que, dans les magasins Carrefour, la croissance sur le bio reste à un chiffre pour le moment. Mais il y a des signes positifs de reprise en France, et c’est une très bonne nouvelle pour Carrefour qui a mis le bio au cœur de sa promesse Act for Food.


Propos recueillis par Nicolas Monier, Jérôme Parigi et Yves Puget. Photos Laetitia Duarte.


Chiffre d’affaires du groupe en France


Total France : 44 Mrds € TTC en 2024, à - 2,3 % en organique vs 2023


  • Hypermarchés : 21,6 Mrds €, à - 4,2 %

  • Supermarchés : 14,6 Mrds €, à - 1,4 %

  • Proximité et autres formats : 7,8 Mrds €, à + 0,7 %


Un peu plus de 46 % : la part du CA groupe réalisée en France avec 6 468 magasins à fin 2024 (42 % du parc du groupe)


Sources : Carrefour et LSA