Art contemporain –
Le pape, une image pas toujours culte
Quand Maurizio Cattelan, Francis Bacon ou l’artiste de rue Maupal lèvent les yeux sur le saint homme, ce n’est pas que par dévotion.
Publié aujourd’hui à 10h59
«La Nona Ora», sculpture réalisée en 1999 par Maurizio Cattelan, est dans la collection de François Pinault, qui l’a achetée pour 3 millions de dollars aux enchères.
Getty Images
Abonnez-vous dès maintenant et profitez de la fonction de lecture audio.BotTalkEn bref:
- Le portrait du pape, un exercice de style pour Raphaël, Titien ou Vélasquez.
- L’utilisation de la figure papale par l’art contemporain a parfois créé le scandale.
- Superhéros ou puissant sans voix, l’image n’est pas toujours élogieuse.
Tout sourire, il a l’air sympa le nouveau pape! Combien d’esprits à travers le monde ont été traversés par cette pensée au moment de découvrir Léon XIV au balcon? C’est l’image qui compte, en premier, bien plus que ce numéro 267 qui ancre le cardinal américain Robert Francis Prevost dans le marathon historique papal.
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Viendra ensuite le portrait officiel, plus ou moins politique selon les époques, mais passage obligé depuis cinq siècles, qui garnit une galerie de portraits signés des plus grands: Raphaël, Titien, Vélasquez. Une très officielle collection à laquelle plusieurs artistes contemporains ont ajouté une pointe de distance. Florilège.
Le pape à terre de Maurizio Cattelan (1999)
Si le plasticien italien Maurizio Cattelan a une religion, c’est celle de l’ambiguïté! Qu’il scotche une banane à Art Basel Miami comme la plus créative des œuvres d’art, qu’il installe sa cuvette de WC en or massif au Guggenheim de New York ou qu’il représente le pape Jean-Paul II à terre, frappé par une météorite, c’est en professionnel du coup de théâtre qu’il agite les esprits et en instigateur de l’image à double sens qu’il agit. Quand il montre le chef spirituel des catholiques terrassé par ce ciel vers lequel il lève si souvent le regard, on se croirait dans un film de science-fiction! Dans une parabole subversive. Ou face à l’expression caustique d’un mécréant? La sculpture a fait scandale dès sa première apparition en 1999 en Pologne. Maurizio Cattelan s’est défendu, arguant sa – bonne – foi en rappelant ses années d’enfant de chœur. Le plasticien assure aussi que dans cette «Nona Ora», titre qui fait référence à la mort du Christ, il ne fait qu’«interroger le pouvoir de la religion sur la mort.»
Le pape Jean 24 dans le monde d’Aloïse (1960)
«Le pape Jean 24» vers 1960, un dessin (62,4 x 48,4 cm) d’Aloïse Corbaz.
N.Dewitte/LaM
Un pape, deux papes, même trois papes – Jean XXIII, Jean XXIV et Paul VI – autant dire qu’Aloïse Corbaz est une fidèle! La figure papale revient, récurrente, dans son œuvre, qui donne même vie à cet imaginaire Jean XXIV. La preuve que rien n’est impossible dans l’univers de la Vaudoise (1886-1964), figure historique de l’art brut à l’énergie si généreuse. Presque pieuse! Et surtout égalitaire et pacifiste. C’était la vraie religion d’Aloïse qui, même si elle a follement aimé un étudiant en théologie et écrit des chants religieux, met la figure du pape au même niveau que le Père Noël, l’empereur ou les anonymes qui habitent son grand théâtre de la vie.
Le pape omniprésent chez Francis Bacon (1953)
Francis Bacon a peint plusieurs versions du pape Innocent X d’après le portrait réalisé par Vélasquez.
AFP
Parler d’obsession n’est pas loin de la vérité tellement les versions de la représentation d’Innocent X sont nombreuses dans l’œuvre de Francis Bacon. Il y en aurait une quarantaine, ce qui n’indique pas pour autant un intérêt particulier du Britannique pour la personnalité de ce pape. Mais une réelle fascination pour le portrait du saint homme réalisé en 1650 par Vélasquez. L’artiste (à voir chez Gianadda jusqu’au 8 juin) le transpose dans son univers, malaxant le visage du pape comme une matière émotionnelle. Innocent X est sous cloche, enfermé dans une cage de verre, agrippé à son Saint-Siège, la bouche ouverte mais inaudible. «Je peins le cri plutôt que l’horreur», disait l’artiste.
Le pape de la rue dans la rue avec Maupal (2016)
Une œuvre de Maupal dans les rues de Rome représentant le pape François et un garde suisse.
AFP
L’artiste de rue Maupal a amené François là où le défunt pape aimait être, dans la rue. Et c’est l’une de ses œuvres, devenue virale en 2014, «Le super pape», représentant François en Superman, qui a rendu célèbre l’artiste italien. Nombre de commentaires ayant assimilé cette œuvre à la promesse de modernisation de l’église venue avec ce pape élu en 2014. Dans un autre de ses collages, datant de 2016, Maupal met en scène François qui joue au morpion avec les symboles de la paix. Et… gagne!
Le pape en noir et blanc de Yan Pei-Ming (2015)
En 2018, deux représentations du pape, François (à g.) et «Jean-Paul II blessé», accrochées dans l’exposition du franco-chinois Yan Pei-Ming à Ivry-sur-Seine.
AFP
Les gros plans de Yan Pei-Ming jouent avec le monumental, par leur format XXL, mais aussi dans l’envie d’exprimer la force de la peinture dans un fracas de noirs et de blancs. Et comme si cela ne suffisait pas, le peintre français d’origine chinoise convoque des figures marquantes – Picasso, Obama, Mao – pour appuyer cette quête de puissance… tragique. Le pape, les papes font donc naturellement partie de son panthéon avec notamment ce portrait de François priant, seul avec sa charge pontificale.
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Se connecterFlorence Millioud a rejoint la rubrique culturelle en 2011 par passion pour les gens de culture, après avoir couvert dès 1994 la politique et l’économie locales. Historienne de l’art, elle collabore à la rédaction de catalogues d’exposition et d’ouvrages monographiques sur des artistes.Plus d’infos
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