Par

Margot Nicodème

Publié le

11 mai 2025 à 6h26

On y passe sans vouloir s’y attarder, c’est ainsi que l’on pourrait résumer l’effet que fait la place Richebé à Lille (Nord). Pourtant centrale dans la ville, pourtant optimisée avec son parc arboré, pourtant ornementée avec sa statue du général Louis Faidherbe (qui n’en reste pas moins décriée), elle n’inspire pas la quiétude et se fait même grignoter par l’insécurité. Les témoignages abondent en ce sens. Comme celui de Vanessa Duhamel, conseillère municipale d’opposition à Lille, qui cherche, depuis 2 ans maintenant, à faire reconnaître les dérives qui se jouent sur la place, ou celui de Cyril*, riverain depuis 10 ans, sur le point de déménager. Agressions sur fond de trafic de stupéfiants, clochardisation criante, nuisances en tous genres : les incidents y seraient quotidiens, et la répression sinon inexistante, largement insuffisante. Du côté de la mairie, l’adjoint à la Sécurité assure que la police municipale intervient à chaque fois qu’elle est sollicitée, ou quand des infractions sont constatées via la vidéosurveillance.

Avec son parc arboré et son emplacement idéal dans le centre-ville de Lille (Nord), la place Richebé a des atouts indéniables. La réalité serait pourtant moins reluisante.
Avec son parc arboré et son emplacement idéal dans le centre-ville de Lille (Nord), la place Richebé a des atouts indéniables. La réalité serait pourtant moins reluisante. ©Margot NicodèmeDélinquance place Richebé à Lille : « Ça monte en puissance, c’est insupportable »

C’est un ras-le-bol qui sonne comme celui formulé par les habitants du quartier Masséna-Solférino, depuis des années. À la différence que les plaintes au sujet de la place Richebé, idéalement située entre le palais des Beaux-arts et la très commerçante rue de Béthune, trouvent un écho bien moindre.

L’élue d’opposition à la Ville de Lille Vanessa Duhamel en a fait un cheval de bataille : en 2023 déjà, elle avait tenté d’attirer l’attention de l’adjoint à la Sécurité, Jean-Claude Menault, sur la dégradation visible des lieux. « À l’époque, les toilettes publiques étaient tenues par les dealers de drogues. On l’avait documenté : sur les images, on voyait les dealers rentrer dans les WC et en sortir avec de la drogue », se remémore Vanessa Duhamel. En 2025, la combine est toujours d’actualité, selon Cyril, habitant de la place. 

Avec ces allers-retours, « les WC sont constamment dégradées, explique-t-il. Et les services de la Ville les remettent en état chaque jour. » Occupant un appartement de la place Richebé depuis 10 ans, il dit avoir « vu comment les choses ont changé ». Les agressions successives – celle d’un coiffeur et celle dont il a lui-même été victime, alors qu’il s’était opposé à un homme douteux qui importunait des adolescentes à la station de métro – et les nuisances grandissantes. À quoi il faut ajouter « la clochardisation qui a explosé », faisant régner, en plus, une atmosphère de « pauvreté ». 

Aujourd’hui, la lassitude l’a gagné : « Ça monte en puissance, c’est insupportable. » À 65 ans et fort d’une carrure qui a souvent impressionné les fauteurs de troubles, Cyril avait pourtant le cuir épais. Mais face à la délinquance, « au bruit et à la déchéance » qui gangrènent son environnement, il jette l’éponge et projette surtout sa vie ailleurs. « Moi, je vais partir, de toute façon. »

Cyril, habitant d'un appartement depuis 10 ans, prévoit de déménager. Il a été, comme un commerçant, agressé, alors qu'il empêchait un homme douteux d'importuner des adolescentes.
Cyril, habitant d’un appartement depuis 10 ans, prévoit de déménager. Il a été, comme un commerçant, agressé, alors qu’il empêchait un homme douteux d’importuner des adolescentes. ©Margot Nicodème

Cette violence latente, Vanessa Duhamel l’a elle-même observée, alors qu’elle essayait justement d’apporter les preuves des dangers encourus par les passants. Elle se rappelle, avec indignation, du « soir où je voulais faire des photos, en sortant du cinéma. J’ai traversé le parc avec un ami, on nous a suivis. Je n’ai même pas osé sortir mon téléphone. » Récemment, elle a publié sur son compte X une vidéo d’une échauffourée entre plusieurs hommes, autour d’un vélo. Une initiative qui a suivi de peu le conseil municipal du 28 avril, au cours duquel l’élue a à nouveau interpellé l’adjoint à la Sécurité.

« Les dealers font tomber les gens à vélo quand leur passage ne les arrange pas, ils squattent les chaises du restaurant [Subway, ndlr] qui a fermé juste à côté et dealent ‘à fond les ballons’. Les habitants n’inventent pas tout ça ! »

Vanessa Duhamel, conseillère municipale à Lille

Son agacement est d’autant plus grand qu’il ne semble pas résonner chez l’exécutif municipal. « Monsieur Menault m’a dit, il y a 2 ans, qu’il ne se passait rien, place Richebé. Je lui ai proposé que l’on aille sur la place ensemble, mais ça ne s’est toujours pas fait… » Cyril, de son côté, parle de « déni ouvert de la part de la majorité ». Il a bien été témoin de quelques interventions de police, mais qui n’ont pas eu d’effet sur le long terme.

« J’ai appelé une fois la police, et ils sont intervenus. Mais les dealers sont revenus juste après. Pareil, il y a 2 ans, il y a eu cinq descentes de police le même jour. Les types étaient allés vendre leurs drogues un peu plus loin, ça s’était un peu calmé. Mais je sens que ça revient, et fort. »

Cyril, habitant de la place Richebé

Le sexagénaire ne blâme pas seulement les pouvoirs publics. Les riverains aussi, malheureusement freinés par la peur, déduit-il, pourraient agir, en commençant par faire entendre leurs voix.

Un « carrefour » ultra fréquenté : « ça crée des nuisances, on en a conscience »

Et Jean-Claude Menault s’accorde avec cela : l’adjoint à la Sécurité encourage les témoins de scènes anormales à « solliciter la police municipale et la police nationale ». Il l’assure : des opérations conjointes sont souvent menées sur le secteur, dont la configuration, il le rappelle, implique nécessairement des débordements.

« La place Richebé est un carrefour entre le centre-ville et la place de la République. Avec une station de métro parmi les plus fréquentées du réseau, un jardin public, un Carrefour City, des bars aux abords, les flux de personnes y sont très importants. C’est un lieu de croisements, et ça crée des nuisances, on en a bien conscience. »

Jean-Claude Menault, adjoint à la Sécurité à la Ville de Lille

L’élu appuie sur l’utilité de la vidéosurveillance, qui vient renforcer les « interventions d’initiative » menées par la police municipale. « Dès lors qu’un dysfonctionnement est observé sur les caméras, on intervient immédiatement. » Il cite, par exemple, une altercation entre sans-abri en état d’ivresse « la semaine dernière » : l’incident, repéré sur les écrans, a été très vite pris en charge et résolu.

Au sujet du trafic de drogues, Jean-Claude Menault dit que la place Richebé « n’est pas un lieu de deal reconnu par la police nationale ». Pour autant, il attend des riverains qu’ils prennent contact avec la police municipale, « pas beaucoup sollicitée », en cas de besoin. « Et il faut aussi appeler le 17, qui gère les troubles à l’ordre public. »

Pour les personnes SDF, « on essaie de contenir ». « Mais il y a la liberté de venir. On ne peut pas dire à une personne assise sur un banc, qui ne fait rien de mal, d’en partir. » Enfin, l’élu n’est pas fermé à une « visite » des lieux en compagnie de la conseillère Vanessa Duhamel, mais il signe et persiste : « En ce qui concerne la mairie, nous mettons tout en oeuvre pour éviter que les choses ne se dégradent. »

*Le prénom a été changé

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