Peut-on considérer « L’Aventura » comme le deuxième volet d’une trilogie ?

Sophie Letourneur : Oui. « Voyages en Italie », c’est le couple, puis « L’Aventura », le couple avec ses enfants. Le troisième volet, ce sera « Divorce à l’italienne », joué par d’autres acteurs que nous, même si nous y ferons des apparitions. Le décalage va être marrant.

Notre rubrique cinémaComme pour « Énorme » et « Voyages en Italie », c’est la vie qui vous inspire…

« Énorme », ce n’était pas ma vie non plus mais une facette du ressenti de la maternité et de la paternité, basé sur des enregistrements, faits en 2016. Ensuite, c’est ma fille qui, après « Voyages en Italie », voulait enregistrer les vacances. Je me suis appuyée sur mes bandes-son. « L’Aventura », c’est encore plus une reconstitution : les endroits où nous sommes allés, les gens… Avec, comme toujours, un peu d’autofiction : si Francesco existe, je n’ai pas fumé de joints avec lui, comme dans le film (rires).

Sophie Letourneur a choisi Philippe Katerine pour jouer son mari pour son film « L’Aventura ».Sophie Letourneur a choisi Philippe Katerine pour jouer son mari pour son film « L’Aventura ». (Tourne Films/Atelier de Production)Dans « L’Aventura », on a l’impression que les dialogues sont improvisés. Ce n’est pas le cas ?

Non, c’est très écrit. On joue avec des oreillettes et des bandes-son que j’ai enregistrées pour Bérénice (Vernet, la jeune actrice qui joue la fille dans le film, NDLR), Philippe (Katerine) et moi. Je voulais, dans cette trilogie, aller au bout, dans ces histoires d’autofiction, de souvenirs et de récit.

Ce sont vos enregistrements et vos films de vacances qui figurent dans le film ?

Oui, à la fin, on voit ma mère, mon père, mon fils, vivre les mêmes scènes, faire les mêmes gestes. C’est un film sur les mères, la fatigue extrême, quand le corps est complètement accaparé par les enfants : tout cet amour, tout ce qu’on donne. Mais c’est aussi, sur le temps qui passe, ce kaléidoscope d’instants, cette obsession de vouloir reconstituer, revenir en arrière, ces étapes qu’on passe dans nos vies, inexorables, ces images sont là pour ça.

C’est une analyse du lien conjugal, aussi…

De la famille en général. Les grandes vacances sont une étape vers différents âges. Pour Claudine, qui ne veut pas lâcher l’enfance mais qui entre en sixième et va vers l’adolescence. Pour Raoul, dont le tissu sonore n’est pas du tout articulé, mais, au fur et à mesure, il va vers le langage, c’est l’étape avant la maternelle. Et l’autonomie des enfants fait bouger les lignes du couple. Ces vacances ne sauveront rien mais, en même temps, il n’y a pas beaucoup d’espace pour l’amour passion. Il y a une tension, une résignation à leur relation, comme beaucoup de couples qui restent ensemble, on ne sait pas trop pourquoi…

Pourquoi avoir choisi Philippe Katerine comme partenaire ?

J’adore ses chansons depuis 20 ans. C’est un grand artiste, un grand poète, je l’admire énormément. Je viens de le voir en concert au Zénith, je trouve ça dingue comment il arrive à être populaire et expérimental. Il n’a pas abandonné sa radicalité, il continue d’être libre, pas snob et prétentieux dans son expression. Je me sens assez proche de ça. On se comprend sans avoir besoin de s’expliquer.

Vous jouiez dans votre précédent film, ce qui n’était pas arrivé depuis « Les Coquillettes ».

C’est vrai et, là, je continue, c’est plus simple. Même si une actrice connue, ça aurait été bien ! Mais mon ancien associé m’avait dit : « Il faut que tu joues dedans parce qu’elle va être trop insupportable, sinon » (rires). Mais j’aime bien ça. D’ailleurs, j’aimerais bien jouer dans les films de Christophe Honoré.

Vous avez, comme lui, des origines bretonnes !

Oui ! Ma mère vit à Rennes. Ma grand-mère maternelle est née à Rennes aussi, mon frère vit à Quimperlé (29). J’y vais très souvent. D’ailleurs, mon premier court-métrage, « Le marin masqué », se passe à Quimper.

Vous allez boucler la trilogie. Avez-vous des projets pour la suite ?

Je suis dans l’écriture d’un nouveau film de studio, une commande, avec des actrices connues. Mais j’ai aussi un projet au long cours sur le langage et les questions de genre, dont le pilote sera tourné à Austin, au Texas, avec la Villa Albertine (un programme de résidences aux États-Unis mis en place par le gouvernement Français pour soutenir la création, NDLR). Le sujet sera sur la masculinité, à travers le choix de la vasectomie.

Votre film fait l’ouverture de l’une des sélections de Cannes, celle de l’Acid. Est-ce une fierté ?

Bien sûr, on était super contents d’être sélectionnés à Cannes. Un film, c’est beaucoup de travail, avec très peu d’argent et, donc, un investissement personnel de toute l’équipe, un don de soi, sans regarder le temps et les moyens. Je suis contente pour nous tous, même si l’Acid est la seule sélection qui a pris mes films (Rires). J’y avais déjà présenté « La vie au ranch », en 2009. C’est une sélection qui me ressemble, qui se positionne aussi comme un courageux et important lieu de contre-pouvoir, libre. Je suis hyperfière d’y être !

« L’aventura », sortie en salles le 2 juillet.